"Succomber ou Résister ?"

Mon troisième roman, le second publié. Vous pouvez les trouver tous les deux sur le site de amazon entre autres, vous avez les liens sur la page Liens importants ou bien la page Actualités. Voici la couverture pour le i-book. Je ne voulais pas écrire d'histoire d'amour parce que je trouve qu'il y en a déjà beaucoup trop. Cependant, un jour j'ai commencé à écrire cette histoire, d'un garçon qui en rencontre un autre et qui commence à vivre, à ressentir des choses d'une puissance qu'il n'avait jamais connu avant et qui l’effraie infiniment. Donc au fils des pages on suit une quête d'identité compliqué vu que les certitudes volent en éclats, et la découverte d'un monde inconnu auparavant, la difficile acceptation de son homosexualité.



Celle-là c'est la couverture du même roman, publié sur papier. Vous pouvez préciser laquelle des deux vous préférez si vous le souhaitez. Je mets aussi la photo des marques pages qui ont été fait. Tout en bas de la page, retrouvez d'autres romans sur le même sujet. Et maintenant, l'histoire (en partie).










Prologue
Salut à vous lecteurs ! Je vais vous raconter mon histoire, enfin une partie en tout cas, mais d'abord une petite présentation de ma vie s'impose.
Alors, je m'appelle Morgan Jamison, je suis né à Londres où j'ai vécu pendant dix ans. Ensuite, mes parents, qui travaillent tous les deux à l'ambassade des États-Unis, ont eu une mutation pour la Californie où habite une grande partie de ma famille maternelle. Je suis bilingue, je parle couramment le français que j'ai appris avec mon père, car mon grand-père paternel est français. Pour le moment, nous vivons encore à Los Angeles, mais plus pour très longtemps. Mes parents m'ont annoncé, au début du mois, qu'on déménageait pour la France le 30 octobre 2009, donc de cette année.
Je commencerai les cours dans mon nouveau lycée le 2 novembre ; c'est un lycée privé un peu particulier. Apparemment, il fonctionne presque comme les lycées américains : ils ont une équipe de basket et une équipe de pom-pom girls. Et l'autre particularité c'est que tout le monde commence et finit les cours en même temps, chaque jour.
Sinon, ce qu'il y a à savoir sur moi, c'est que... heu ! je mesure 1,80 m, je suis brun, j'ai les cheveux un peu longs comme les rockeurs anglais, et j'ai les yeux bleus. Je suis passionné de musique et de chant. Heu... ! Je suis très proche de ma cousine, Sophie, qui a un an de moins que moi, elle va donc avoir 18 ans. Parce que moi j'aurais 19 ans le 25 mai.
Voilà. Ah oui, il y a eu un événement tragique dans ma vie il y a presque un an. Ma meilleure amie Kimberly s'est suicidée ; elle est morte dans mes bras. L'ambulance a mis une demi-heure pour arriver, et ce fut un quart d'heure trop tard. Je n’ai pas pu dormir pendant quatre jours après ça ; je revoyais sans cesse son visage à chaque fois que je fermais les yeux, je la revoyais m'appeler au secours, c'était horrible. Mes parents m'ont emmené voir un médecin spécialisé à qui j'ai raconté tout ça, ce que j'ai ressenti sur le moment et après qu'elle soit partie, parce que je me sentais coupable de n'avoir rien pu faire.
Je l'avais aidée à plusieurs reprises avant ça. Ce n’était pas la première fois qu'elle faisait ce genre de chose, mais là, c'était tellement inattendu, il n’y avait aucune raison pour qu'il se passe un truc pareil.
Enfin, bref, après plusieurs mois, j'ai enfin réussi à surmonter ça, je vais mieux et je dors comme un bébé, même s'il m'arrive parfois d'en faire des cauchemars cela ne me perturbe plus autant qu'avant, j'arrive à faire face à mes démons.
Voilà pour ce qui est du passé, maintenant, le présent et l'avenir : nous sommes dimanche soir, le premier novembre 2009, je n’arrive pas à dormir, je suis un peu stressé. Je n’aime pas débarquer dans un nouvel endroit parce que, qui dit nouveau lycée, dit nouveaux amis, et on va dire que me faire des amis n'est pas une de mes spécialités. Kimberly était ma seule véritable amie, j'avais pleins de potes mais ce n’était pas pareil.
Ma mère débarque dans ma chambre en criant :
  • T'es toujours pas debout, il est 9 heures, Morgan !
« Oh génial ! » Je suis censé commencer les cours à neuf heures ce matin. Arriver en retard le premier jour, il y a mieux pour passer inaperçu.
Je m'habille en vitesse, attrape un truc à grignoter et saute dans ma voiture. Heureusement que j'ai mon permis, ça me permettra de ne pas être trop en retard.

1
J'arrive donc en courant devant la salle de cours à neuf heures trente cinq, tente de calmer ma respiration et frappe à la porte. On m'autorise à entrer, je passe la porte et commence à m'excuser de mon retard :
  • Heu, bonjour, désolé du retard, heu, le décalage horaire, enfin désolé !
Et la prof me balance :
  • Et… vous êtes qui ?
Il me faut un temps de réaction, je ne comprends pas bien comment ça se fait qu’elle ne sait pas qui je suis, mais bon.
  • Alors, j'attends !, reprend-elle.
  • Ouais heu, je m'appelle Morgan Jamison, et je viens de débarquer ici, on... on vous a pas mise au courant ? Le proviseur m'a donné cet emploi du temps et mon premier cours c'est le vôtre, dis-je en le lui montrant.
  • Ah oui d'accord, veuillez me pardonner, j'avais oublié votre venue.
  • Ok !- « Elle n’est pas à la ramasse la prof déjà ! »-.
  • Alors bienvenue dans notre établissement, allez vous asseoir, il reste de la place au fond.
Je me retourne vers l'endroit qu'elle m'indique et mon regard se pose instantanément sur une jolie brune, qui me regarde aussi avec un grand sourire. Elle est tout à fait mon style de fille. Je me dirige vers elle, feintant de ne pas remarquer que toutes les autres ont les yeux rivés sur moi, mais son aplomb à elle me perturbe un peu. Alors, je continue mon chemin de quelques pas, vers son voisin de derrière, un garçon blond qui dessine assis de travers et qui ne s'est même pas aperçu que le cours avait été suspendu. Je jette mon sac sur la table et il réagit enfin. Relevant la tête en plongeant son regard vert émeraude au plus profond du mien.
Un frisson me parcourt, jamais personne ne m'avait encore regardé de cette manière. Son visage prend un air perplexe quelques secondes avant qu'il n'affiche un large sourire.
Je m'assois enfin à côté de lui en lui rendant son sourire et la prof recommence son cours comme si je ne l'avais jamais interrompue. Il reprend son dessin et j'essaye de trouver dans le livre d'histoire le chapitre dont la prof est en train de parler, puis me dis que ça doit pas être dedans parce que l'étude des rois de France n'est pas au programme de terminale.
Et puis, je me fous éperdument de ce qu'elle raconte, et de la vie de Louis XIV que, de toute façon je connais par cœur. Étant un fan des rois de France, je les connais tous, ainsi que l'histoire de chacun d’entre eux.
Je préférerais parler avec mon voisin, mais apparemment ce n'est pas dans ses projets, il a l'air de se foutre complètement de ce qui l'entoure, moi y compris. La tête plongée dans son dessin, une météorite pourrait s'écraser qu'il l'a remarquerait même pas.
En tout cas il dessine super bien. J'aimerais bien savoir dessiner comme ça. Moi c'est limite si quand je dessine une maison elle n’a pas l'air d'être en démolition.
Le cours se finit une demi-heure plus tard ; aussi rapide que l'éclair, il range ses affaires et sort de la salle. Je tente:
  • Hey attends !
Mais, à cause du brouhaha que cause toujours la fin d'un cours, il ne m'entend pas et continue de s'éloigner.
Je le suis du regard jusque dans le couloir où une bande de mecs se dirige vers moi. L’un d'eux me dit :
  • Tu devrais pas trop t'approcher de lui !
  • Et, pourquoi ça ? demandé-je en me tournant vers mon interlocuteur.
  • Il est complètement taré !
  • Ouais et en plus il est homo, ajoute l'un de ses potes.
  • Et alors, t'es homophobe ?, demandé-je en levant un sourcil.
  • Pfft, laisse tomber, me répond le premier gars avant de partir avec son groupe de copains.
  • Hey attends, c'est où le prochain cours ?
  • Ben là, déjà, c'est l'heure de la pause donc tout le monde dehors et après on a sport. Le gymnase est de l'autre coté de la rue.
  • Merci.
J'attends que le couloir se vide pour voir s'il n'est pas dans le coin mais, au lieu de le trouver, un groupe de filles me tombe dessus.
  • Salut Morgan ! Ton entrée a été remarquée !
Comme je ne réponds pas, une autre ajoute :
  • Heu, ça fait longtemps que t'es dans notre ville ? T'as une copine ?
J'éclate de rire et me dis tout haut :
  • Bordel ! Où est-ce que j'ai atterri ?
Je les plante là et rejoins le gymnase, là au moins je devrais être tranquille. Mon regard est instantanément attiré vers les gradins qui sont à ma gauche. Il est là.
Allongé sur un banc, les yeux fermés, un casque sur les oreilles, j'entends la musique d'ici. Je ne peux pas l'expliquer mais, je n'arrive pas à en détacher mes yeux Je voudrais aller lui parler, sauf que je ne sais pas quoi lui dire. Alors je reste là, me laisse tomber contre le mur et l'observe…jusqu'à ce que la porte du gymnase claque et me fasse sursauter. Une fille entre et s'arrête près de moi. Elle est grande, a de jolie yeux bleus et de longs cheveux blonds qui tombent en cascade jusque dans son dos. Je me relève, elle demande :
  • Tu connais mon frère ?
  • Oh, c'est ton frère ?
  • Ouais, mon grand frère.
  • Heu, je viens d'arriver, alors en fait, je connais personne, et je m'appelle Morgan !
  • D'accord, alors moi c'est Sarah et l'endormi là-bas, c'est Tom.
Je suis content qu'elle ne me demande pas pourquoi j'avais les yeux rivés sur son frère et enchaîne :
  • Je suis ravi de te connaître. On est dans la même classe ?
  • Non, je suis en première, on a un an de différence lui et moi. Mais on s’entraîne en même temps que vous. Je fais partie de l'équipe des pom-pom girls, mais surtout ne crois pas que je suis une pouf comme toutes ces filles qui risquent de te courir après.
  • Elles ont déjà commencé, dis-je en riant.
Elle sourit, puis mon regard se porte sur Tom, je demande :
  • Pourquoi il est tout seul ?
  • Je préfère pas te l'expliquer, il te le dira si vous faites connaissance. Moi, je ne te dirai rien.
  • D'accord, je comprends.
  • Surtout ne crois pas tout ce qu'on pourra te dire sur lui.
  • Promis.
Les autres commencent à arriver sans que j'y prête vraiment attention, jusqu'au moment où le mec de tout à l'heure vient vers nous et dit à Sarah :
  • Alors, chérie, tu veux toujours pas sortir avec moi ?
Elle n'a pas le temps de lui répondre qu'une voix grave balance :
  • T'as une demi-seconde pour t’éloigner de ma sœur !
Je me retourne et le vois, se tenant juste à côté de moi, l'air furieux.
  • Tu m'emmerdes Mendel !
  • Casse-toi, dit-il un peu plus fort, les poings serrés.
Le mec s'en va, Sarah dépose un bisou sur la joue de son frère qui ferme les yeux une seconde et elle s'éclipse à son tour.
  • Il faut qu'on se change, viens, dit-il sans même me regarder.
Je le suis jusqu'au vestiaire sans dire un mot. Il s'arrête devant un casier, l'ouvre et me tend un survêtement qui devrait m'aller, je pense, parce que Tom fait la même taille que moi.
  • Heu, merci, mais toi tu...
  • J'en ai deux, c'est le lycée qui les fournit, faudra que tu les demandes au prof.
  • Ok ! Et on se change où ?
Il rit doucement mais ne répond rien, alors je me dirige vers les toilettes. Je déteste me déshabiller devant tout le monde ; comme je suis pas du tout musclé, et en vérité plutôt squelettique, ça me gêne que les autres me voient.
Lorsque je reviens, Tom a disparu mais les clés du casier sont accrochées au cadenas. Je dépose donc mes affaires dedans et le ferme avant de me diriger vers la salle. Ils sont déjà tous en train de courir et le prof me jette :
  • Hé le nouveau, évite de faire concurrence aux filles quand tu te changes, on a que deux heures de sport, pas une semaine !
Certains rigolent. « Super, je vais me faire plein d'amis cette année ! ». Je me mets à courir et le rejoins pour lui rendre ses clés.
  • Tiens !
J'ai juste droit à un sourire, il n’est vraiment pas bavard ce mec. Après une vingtaine de minutes, le prof demande de faire quatre équipes pour des matchs de handball. Je me retrouve dans la même équipe que Tom et devoir lui faire des passes me trouble, il y a dans ses yeux quelque chose de magnifique et de terriblement triste. Un frisson me parcourt quand je me surprends à penser que j'adore la façon dont il me regarde. Je secoue la tête, comme pour en chasser cette idée.
Lorsqu'on sort du gymnase à midi, Sarah nous attend devant l'entrée, elle me demande :
  • Tu veux venir manger avec nous ?
  • Vous mangez pas au lycée ?
  • Pas le lundi, ce jour-là, on va manger dehors, un endroit différent chaque semaine. Alors tu viens ?
  • Je ne voudrais pas avoir l'air de squatter !
Tom sourit, les yeux fixés sur le sol et Sarah rigole avant de dire :
  • Ne sois pas bête, viens !
  • D'accord !
Je les suis, marchant un peu en retrait pour pouvoir les observer : ils ne se disent rien, ils se tiennent seulement l'un à coté de l'autre.
À un moment, Sarah lui chuchote quelque chose à l'oreille et Tom se met à rire. Cela me fait sourire, comme si le fait qu'il soit heureux me rende heureux aussi. C'est assez étrange en fait ! Je secoue la tête encore une fois comme si je voulais me débarrasser de ces pensées bizarres.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant un bar canadien et elle me dit :
  • Tu verras, ils font des hamburgers énormes, enfin comme t'as l'air de beaucoup manger ils font aussi des salades !
Tom se marre une nouvelle fois et dit à sa sœur :
  • Laisse-le tranquille !
Nous allons nous asseoir dans un petit coin un peu à l'écart des gens. Je m'installe à coté de lui, nous sommes très très près l'un de l'autre. Un frisson me parcourt de nouveau. Après avoir commandé, je discute avec Sarah, Tom restant encore muet.
Mes yeux s'écarquillent quand je sens sa main caresser doucement la mienne. « Qu'est-ce qu'il fait ? ». J'essaye de retirer mon bras, mais il est comme paralysé. Mon cœur s'affole, les mots m'échappent et Sarah continue de parler comme si elle ne se rendait pas compte de mon état. Tout mon corps tremble sans que je puisse le contrôler. Ses doigts s'éloignent, mes yeux se ferment et je respire profondément pour me calmer. J'ai un mal fou à reprendre le fil de mes idées. J'ai jamais été aussi troublé et mal à l'aise à cause d'une caresse. Je me force à poursuivre la discussion, racontant que je suis fils unique, que mes parents travaillent à l'ambassade d'Amérique et que nous avons pas mal voyagé depuis que je suis né. Mais que cette fois, nous devrions rester ici définitivement. Juste avant que je puisse retirer ma main, ses doigts reviennent délicatement. Cette fois, je fais comme s'il ne se passait rien du tout, enchaînant mes phrases à une vitesse effrénée. « Pourquoi il fait ça ? ».
Nos commandes arrivent enfin et me délivre de ce contact brûlant. « Bordel, mais il est dingue ce mec ! Je le connais même pas et... en même temps c'est pas désagréable. Quoi ? Non, sérieux, je perds la tête. Maman, je veux retourner à L.A ! » Pour chasser mes pensées tordues et trop perturbantes pour mon esprit, je mords avidement dans mon hamburger.
Le silence s'installe pendant que nous mangeons, me laissant seul avec moi-même et cela me rend nerveux. Je me force à faire dévier mon cerveau sur autre chose, sur les cours qui nous attendent cette après-midi. Je rigole intérieurement, me disant que je suis ridicule d'en venir à imaginer comment seront les cours pour ne pas penser à cette tornade de sensations qui s'est écrasée sur moi, il y a cinq minutes.
À la fin du repas, je laisse mes mains sur la table, jouant nerveusement avec la serviette en papier posée devant moi, j'ai tellement peur qu'il recommence. Mais la question que je me pose est surtout de savoir de quoi j'ai peur en fait ? Qu'il recommence ses caresses ou de ressentir ces choses étranges à nouveau ? Sarah me tire de mon questionnement douteux :
  • Morgan !
  • Hein ?
Tom se marre, mais ne fait aucun commentaire, elle reprend :
  • Je te demandais si tu avais des passions !
  • Ah, heu oui.
  • Et... t'as pas l'intention de me dire ce que c'est ?
  • Heu si, si tu veux. Alors, j'adore la boxe, je suis accroc aux voitures de courses, j'adore me bourrer avec des potes et heu...
Tom me regarde dans les yeux pour la seconde fois de la journée et dit :
  • C'est pas vrai !
Je fixe son regard et mon trouble revient, je tente de le cacher mais, bafouille en essayant de demander :
  • Com... comment... comment... tu peux... en être sûr ?
Il sourit devant ma gêne et répond simplement :
  • Tout ça, ce n’est pas toi.
  • C'est vrai, c'est des conneries. Je voulais juste voir si ça pouvait être crédible.
- Bah, ça ne l’est pas, dit-il en effleurant ma cuisse du bout des doigts.
Je fixe le tableau absolument laid derrière lui, tentant d'oublier les sensations que me provoque ce simple geste. « Mais qu'est ce qui m'arrive ? Bordel ! Pourquoi ça me fait cet effet-là quand il me touche ? »
  • Et alors, en réalité tu aimes quoi ?, demande Sarah qui n'a pas conscience qu'elle vient de me sauver la vie.
  • Je passe beaucoup de temps à écrire des chansons et à les chanter, j'aime lire, écouter de la musique surtout du rock, aller au ciné et me balader en forêt, rien de vraiment passionnant en fait.
  • Chacun ses passions, dit Tom qui semble sorti de son mutisme.
Alors profitant de l'occasion, je demande :
  • Et toi, c'est quoi tes passions ?
  • Rien d'intéressant !, balance-t-il froidement.
  • Tom !, s'exclame Sarah choquée du comportement de son frère.
  • Pardon... en vérité je suis guitariste-compositeur. J'avais un groupe... je vivais que pour la musique et ça fonctionnait super bien, mais certaines personnes étant stupides, on m'a foutu dehors il y a trois jours.
Un étrange silence tombe à la fin de sa phrase mystérieuse qui semble vouloir dire beaucoup plus que ce que j'ai compris. Je finis par dire :
  • On devrait peut-être y aller, il est déjà une heure et quart.
  • Allons-y, rajoute Sarah.
Je lui ouvre la porte et attends que Tom passe, mais avec un autre de ses sourires il me dit :
  • Après toi !
Déposant au passage sa main dans le bas de mon dos pour accompagner ma sortie. Un violent frisson me parcourt le corps, mes yeux se ferment une seconde, histoire de reprendre pied, il faut qu'il arrête ça, c'est beaucoup trop perturbant pour moi. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, j'ai jamais ressenti des choses pareilles, je ne suis pas attiré par les garçons, je ne suis pas gay ! Je n'ai rien contre les homosexuels, ne vous méprenez pas mais, jusqu'à présent, il n'y a eu que des filles dans ma vie et je n'ai pas l'intention que ça change !
Au lycée, Sarah se dirige directement vers sa salle de classe et nous faisons de même de notre coté. À mon grand soulagement, rien ne se passe le reste de la journée. Certaines personnes, notamment les mecs qui m'ont parlé ce matin, me balancent des trucs du genre « t'as pas choisi le bon camp » ou encore « Je le savais, t'es comme lui ! ». Ce qui a pour réaction de mettre Tom dans une colère incroyable qu'il contient tant bien que mal pour la déverser dans ses dessins.
Ce mec est génial, il écoute aucun cours, il a l'air de se foutre complètement de toutes les matières, je ne sais pas comment il fait pour les exams.
Quinze heures arrivent après s'être fait largement attendre ; nous retrouvons Sarah à la sortie et je demande :
  • Vous rentrez comment ?
  • En bus. Et toi ?
  • J'ai une voiture. Vous habitez où ? Je peux peut-être vous ramener ?
  • On habite rue Pasteur, derrière la mairie.
  • C'est pas vrai ? On est voisin !
  • Tu veux rire ? C'est toi qui as emménagé dans l'immense baraque au bout de la rue ?
  • Et ouais !
  • J'ai toujours imaginé qu'elle était hantée, dit Tom en regardant ailleurs.
Je souris. « C'est le mec le plus bizarre que j'ai jamais rencontré. Bon après, ça me dérange pas. Je dirais même que ça m'attire, même si ça ne devrait pas, enfin pas de cette façon. Oh, je recommence à avoir des pensées tordues ! »
  • Bon alors, cher voisin je vous ramène, en route !
Il monte à coté de moi et Sarah à l'arrière. Quand je change de vitesse, je frôle parfois la jambe de Tom, ça me met mal à l'aise, mais lui par contre, ça n'a pas l'air de le perturber. Il me montre leur maison, je me gare devant, leur dis que je peux passer les prendre tous les matins à 7h30. Sarah me remercie et me souhaite une bonne fin d'après-midi avant de descendre de la voiture. Mais Tom reste encore quelques secondes, ses yeux plongés dans les miens en silence. Puis, effleurant ma main posée sur le pommeau de vitesse, il sort de la voiture.
Je soupire et rentre chez moi plus perdu que jamais. Je passe la porte complètement absorbé par mes pensées, la voix de ma mère me fait sursauter :
  • Alors cette première journée, c'était bien ? Tu t'es fais des amis ?
  • Heu, des amis je ne sais pas, mais des ennemis c'est probable !
  • Morgan, tu ne vas commencer ? se plaint-elle.
  • Ça va, il ne s'est rien passé, mais j'ai fait la connaissance d'un garçon et de sa sœur, le truc c'est qu'il se trouve être gay et qu'au moins la moitié de notre classe est homophobe. Donc ils s'imaginent que parce que je lui parle, je suis gay et ils nous balancent des insultes et d'autres conneries. Ce mec à l'air super sympa et je n’ai pas l'intention de les laisser nous pourrir la vie !
  • Mon fils, tu ne dois pas te battre avec ces gens, me dit mon père.
  • Papa, tu viens là de me donner un conseil précieux, parce que tu sais moi, avec ma carrure d'athlète, je fonce dans le tas sans réfléchir ! Je tâcherais de m’en souvenir !
Puis j'éclate de rire, suivie par mes parents qui savent très bien que je ne me bats pas, enfin, seulement avec des mots. Puis ils me laissent enfin fuir vers mon monde.
Je referme la porte derrière moi, jette mon sac au pied de mon bureau et me laisse tomber sur mon lit. Mon esprit est saturé de Tom. Je repense à cette journée, à ses caresses, ses regards et surtout à tout ce que j'ai ressenti, toutes ces choses que je n'ai jamais ressenties aussi intensément. Ça me perturbe, je veux pas ressentir ça, pas pour lui. Pour sa sœur à la rigueur, non, je crois qu'il me tuerait. Du coup, j'ai un peu peur de les retrouver demain, je ne suis pas certain de vouloir rester avec eux. Et en même temps, je me suis engagé à passer les prendre tous les matins. OK, je ne reviendrai pas là-dessus, très certainement parce qu'il y a un truc étrange qui m'y pousse, qui m'empêche de fuir ces deux spécimens.
Sans vraiment le vouloir j'improvise une petite mélodie et chante :
« Ton regard m'hypnotise,
Ton silence est une vraie surprise,
Mais tes caresses m'électrisent.
Apprend moi qui tu es,
Dévoile moi tes secrets. »
Je secoue la tête en soupirant et me dis : « C'est n'importe quoi, je déraille complet ! »
Quelques heures plus tard, je me décide à aller prendre une douche pour me détendre et tenter de faire disparaître mes pensées, mais en vain. Le lendemain, quand je les retrouve, mon cœur s'affole en voyant Tom. Je me calme, me trouvant idiot et me dis que, comme je n'ai pas répondu à son geste, il ne recommencera pas. Bien au contraire. Chaque jour, j'ai droit à de nouvelles caresses, de nouvelles attentions qui me figent sur place. Malgré leurs douceurs et leurs tendresses, ses mains n'ont de cesse de trouver les miennes ou mon corps. Comme ce midi au self où ses doigts sont venus, tout en douceur certes, caresser ma cuisse. Je suis incapable de réagir, de le repousser. Et surtout, le plus perturbant, incapable d'empêcher mon corps de réagir à ce qu'il fait. J'ai beau me dire : « la prochaine fois, je lui dis d'arrêter » j'y arrive pas. Je suis paralysé quand il pose ses mains sur moi. Et faire une phrase devient la chose la plus compliquée du monde.
Les semaines suivantes ne sont pas plus calmes pour mon cœur et mon esprit. À chaque fois que Tom me frôle, mon corps frissonne. Lorsqu'il me touche mon cerveau est sur orbite, incapable d'avoir une pensée claire, je n’arrive pas à le repousser. Je ne suis pas quelqu'un de violent mais, c'est surtout que je suis complètement perdu sous son regard, complètement vulnérable. Il me touche et je me transforme en guimauve, je peux plus faire un mouvement. Je ne veux pas ressentir ça, c'est trop puissant, ça me fait peur.
J'ai pas l'habitude, je ne devrais pas être comme ça avec lui, j'aime les filles... enfin, je crois !
Ce qui m'effraie encore plus c'est que, parfois, lorsqu'il cesse ses caresses volées, je ressens une profonde frustration, comme un manque, je me suis surpris à apprécier ce qu'il fait. Et j'aime pas du tout cette idée.
Je ne devrais pas ! Je ne veux pas ressentir ces choses-là ! Pas pour un garçon.
« Pourquoi pas ? Ça suffit les questions là, stop ! Je suis perdu ! On fait une pause ! »
Vendredi, le 27 novembre, lorsque je les dépose devant chez eux, Tom demande :
  • Demain après-midi on va au ciné, tu viens avec nous ?
  • Heu, oui, si vous voulez !
  • Tes réponses m'étonneront toujours, dit Sarah en me faisant la bise avant de descendre de voiture.
Comme tous les soirs, Tom reste quelques secondes à me regarder dans les yeux en silence, mais ce soir c'est différent.
  • Je... commence-t-il dans un murmure.
J'attends sans rien dire et sans le lâcher du regard mais, il soupire et sort de la voiture.
Ça c’est le comble de sa bizarrerie, à croire qu'il a un quota de phrases à dire, à me dire, dans une journée. Enfin, j'essaye de ne pas trop y penser et rentre chez moi, impatient et anxieux d'être demain.
Ma nuit est agitée, je n’arrive pas à dormir, je ne peux empêcher mon cerveau de m'envoyer des images de Tom.
« Ce n’est pas possible ! Mais, qu'est-ce qui m'arrive ? Il faut que je me trouve une fille ! »
Il est 13h00, je patiente devant chez Tom et Sarah qui arrivent quelques secondes après moi. Sarah me fait la bise et Tom, comme toujours, se contente de me regarder avec un large sourire. Nous marchons tout en discutant ; enfin, Sarah et moi parlons de tout et de rien de mon ancienne vie à Londres et à Los Angeles, pendant que Tom à l'air d'être pris d’une sorte de fascination pour le sol. Il arrive que sa main vienne effleurer la mienne et, chaque fois, je ne peux retenir une vague de sensations étranges. Chaque fois, ma réaction est de plus en plus violente, mes mots s'effacent et il me faut quelques secondes pour réagir, je risque d'avoir du mal à le cacher si je ne trouve pas rapidement un moyen d'arrêter ça ou de m’empêcher de ressentir ces choses !
Tout ça me met extrêmement mal à l'aise parce que, du coup, quand il me regarde ça me trouble encore plus, je n'arrive pas à comprendre ses intentions, je ne peux toujours pas le repousser, je n’en trouve pas la force. Et au final, j'ai vraiment très peur de comprendre ce que cela signifie.
Ils me font découvrir leurs endroits préférés de la ville. En longeant un grand parc, Tom dit doucement :
  • Ça te plairait sûrement ici, ce parc est magnifique, il faudrait qu'on... que tu y ailles un de ces quatre.
  • D'accord, j'irais y faire un tour, lui répondis-je, faisant croire que je n'ai pas remarqué son hésitation.
J'irais volontiers avec lui si c'est ça qu'elle signifie.
Lorsque nous arrivons au cinéma, plusieurs personnes attendent déjà ; nous rejoignons la file et patientons.
  • Il faut que je m'arrête boire un coup vite fait, je vous rejoins !
  • Faut que j'y aille aussi, tu choisis de bonnes places ? dit-il à sa sœur.
Je rentre le premier, Tom verrouille la porte derrière lui. « Si d'autres personnes veulent entrer, c'est raté ! », tenté-je d'ironiser en moi-même, car l'inquiétude me gagne. Je respire doucement et me calme un peu. Il s'approche de moi avec un sourire plein de tendresse, me prend dans ses bras pour, lentement, m'amener contre le mur et m'y bloquer sans aucune violence, son geste est juste délicat et tendre mais, mon cœur s'affole tout de même.
Il vient déposer quelques baisers dans mon cou pendant que ses mains glissent de mon torse à mon ventre avec lenteur.
  • Tom, non... soufflé-je sans aucune forme d'autorité, ni bribe de résistance.
  • Tu n'aimes pas ?, murmure-t-il à mon oreille.
  • Je ne suis pas comme toi, dis-je tout bas de peur de le blesser.
Il dépose un baiser au coin de mes lèvres puis demande :
  • Et alors, tu n'en as pas envie ?
Voilà, la vraie question est posée. Aucune importance de savoir ce que je suis ou non, ce qu'il faut savoir c'est si j'en ai envie ou pas ?
Et, le plus effrayant, c'est qu'une partie de moi meurt d'envie de s'abandonner dans ses bras, cette partie de moi aurait voulu qu'il m'embrasse vraiment mais, l'autre réfléchie, se questionne, un peu trop peut-être, et rêve de s'enfuir en courant loin de mes sentiments.
Il continue ses baisers sans jamais vraiment m'embrasser. Je reste là, complètement soumis à ses attentions. Il m'en donne suffisamment pour me perturber mais pas suffisamment pour que je sache si je suis en train de changer.
Tout à coup mon portable vibre dans ma poche, je sursaute comme si on venait de me surprendre, je le récupère et décroche :
  • Allô !
  • Morgan, c'est maman !
  • Maman ! Qu'est-ce que tu veux ? Je suis au ciné là !
  • Est-ce que tu pourras...
Je n'entends pas la suite de sa phrase, Tom vient de passer ses mains sous mon tee-shirt et beaucoup trop de choses se réveillent en moi. Mon cœur cogne dans ma tête. « Ça ne peut pas être vrai ! Je dois rêver ! Il faut que je me réveille ! »
Puis soudain tout s'arrête, il attrape ma main, qu'inconsciemment, j'avais glissé autour de sa taille, y dépose un baiser et sort.
Je ferme les yeux en soupirant, quand j'entends ma mère hurler :
  • Morgan, tu m'écoutes ?
  • Oui ! Tu veux quoi ?
  • Mais, qu'est-ce que tu es en train de faire ? tu as l'air bizarre !
  • Si j'ai juste l'air alors tout va bien ! Qu'est-ce que tu veux ?
  • Tu pourras aller chercher du pain avant de rentrer ?
  • C'est pour ça que tu m'appelles ?
  • Bien oui ! Pour quoi d'autre ?
  • Laisse tomber, à tout à l'heure !
Je raccroche. « Ah les parents ! »
Je me passe de l'eau sur le visage et vais rejoindre les autres dans la salle, le cœur encore un peu affolé. Il faut vraiment que je sorte avec une fille, il faut que j'arrête de ressentir ces choses. Ça se peut pas ! Je ne veux pas !
Les publicités ont commencées mais je les trouve sans difficulté et m'assois à coté de Sarah, quand une main me tire brutalement pour que je me retrouve assis entre eux. Sarah se marre mais ne commente pas.
J'ai la tête qui va exploser. Trop de choses s'y bousculent. J'irais bien prendre l'air si je pouvais, sauf que le film commence, alors je respire profondément et essaye de me détendre. Je me cale dans le siège puis fixe mon attention sur le film. Jusqu'au moment où Tom s'approche de moi, souffle délicatement dans mon cou, je ferme les yeux une seconde, rien ne se passe. Il pose simplement sa tête sur mon épaule tout en continuant de regarder le film. Je m'y replonge également, essayant de faire abstraction de ses cheveux qui me chatouillent.
Deux heures plus tard, le film se termine, les lumières se rallument. J'attends que Tom se relève, mais il ne bouge pas, et je remarque qu'il s'est endormi. Sarah commence à partir, je l'interpelle :
  • Heu Sarah !
  • Vous faites quoi ? Il faut y aller, dit-elle en revenant vers nous.
Elle sourit en voyant son frère endormi contre moi, je demande :
  • Ça lui arrive de dormir la nuit ?
  • En ce moment c'est un peu dur, mais ça finira par passer.
  • L'un comme l'autre vous avez le don de me sortir des phrases qui ne veulent rien dire !
  • Je te répète que je ne te dirai rien tant qu'il le fera pas !
  • Ouais ! En attendant tu pourrais le réveiller ?
  • Non, dit-elle en riant.
  • Quoi ? Mais c'est ton frère !
  • C'est aussi ton épaule ! Donc tu te débrouilles !
Je grogne et commence à appeler :
  • Tom, Tom réveille-toi !
Mais rien ne se passe. Je tente alors autre chose et doucement fait glisser le revers de ma main sur sa joue, sentant le regard brûlant de Sarah sur moi.
Il remue un peu, et finit par ouvrir les yeux, je retire ma main à la vitesse de l'éclair et pour cacher ma gêne lui dit :
  • Le film t'a plu ?
  • Il... il est fini ?
  • Remarque pertinente Sherlock !, balance sa sœur.
Tom se redresse complètement et lui tire la langue, à cet instant j'ai une irrépressible envie de me jeter sur ses lèvres, alors je me lève comme piqué par un cactus, et dis :
- Bon aller, il faut qu'on sorte, le prochain film commence dans 10 minutes et on va se faire jeter si on nous trouve encore ici.
Nous sortons enfin du cinéma, je passe faire la course que ma mère m'a demandée, puis, doucement, nous nous dirigeons vers nos maisons respectives.
Une demi-heure plus tard, nous sommes arrêtés devant chez eux, continuant de discuter du film, je finis par dire :
  • Bon, il faut que je vous laisse, je dois rentrer. J'ai vraiment passé une super après-midi, j'espère qu'on n'attendra pas trop longtemps avant de remettre ça !
  • Attends ! Tu ne veux pas passer la soirée avec nous ? Nos parents ne sont pas là, on pourrait se faire un truc sympa !
  • C'aurait été avec plaisir, mais on a de la famille qui a dû arriver de Los Angeles il y a quelques heures et je dois rester à la maison.
Son regard se baisse tristement sur le sol et il murmure :
  • Tant pis, une autre fois !
Un courage inattendu me pousse à poser ma main sur son épaule tout en disant :
  • Une autre fois, c'est promis !
Un sourire illumine alors son visage, je m'éloigne un peu de lui et dit :
  • À lundi !
  • À Lundi, répond Sarah tandis que Tom ne me lâche pas du regard.
Je n'ai jamais été aussi heureux de voir de la famille débarquer chez nous. J'ai eu mon compte de sensations fortes et surtout perturbantes pour les dix années à venir en une après-midi. Alors passer la soirée chez eux, je n’aurais pas pu.
Il faut absolument que je mette mes sentiments au clair, j'aime les filles et pas les garçons. « Oui mais lui... Ah non ! Lui rien du tout ! Il faut que ça cesse ! Je suis ridicule, je n’ai pas la force de le repousser. En ais-je vraiment envie ? Dès qu'il me touche, toute pensée cohérente fond comme neige au soleil. Il faut que je reprenne le contrôle, à chaque fois il me prend par surprise et je perds tout mes moyens entre ses bras. Il faut reconnaître qu'il est d'une délicatesse et d'une tendresse incroyable avec moi. Oui bon ça va ! Je ne veux pas continuer ! Je veux que ça s'arrête ! Ce n’est pas moi ! Ce n’est pas ma façon de voir les choses ! À chacun son amour, mais ce n'est pas le mien, voilà tout ! »
Je déconnecte mon cerveau à l'instant où je passe la porte et entends des voix familières qui s'élèvent du salon.
  • Morgan, te voilà enfin, me dit ma mère.
  • Hum, lui répondis-je complètement ailleurs.
Parce que, malgré tous mes efforts, Tom ne quitte pas mes pensées et les images de ce qui s'est passé tout à l'heure me hantent. Il y avait cette partie de moi qui mourrait d'envie qu'il m'embrasse et oh...
Un frisson me parcourt lorsque je m'assois avec eux. Je préférerais être seul tellement ce qui m'arrive me rend dingue, mais par obligation et politesse je reste là, essayant d'avoir l’air présent.
Les heures passent, il est 20h30 et ils sont toujours en train de discuter alors que je meurs de faim. En plus la question de Tom ne cesse de revenir dans mes pensées « tu n'en as pas envie ?» ; un nouveau frisson me traverse au souvenir de ce que j'ai ressenti quand il me l'a posée. J'ai infiniment peur de cette partie de moi qui ne rêve que de s'abandonner dans ses bras. Je ne comprends pas comment je peux changer si vite. Mes pensées m'accaparent tellement que je n'entends que vaguement ma mère proposer de faire livrer quelque chose pour le dîner, et je ne peux m'empêcher de sursauter lorsque ma cousine demande :
  • Tu n'en as pas envie ?
  • Hein ?... heu... quoi ?
Cette question semble me poursuivre. Suis-je obligé d'y trouver une réponse, là, tout de suite ? Tous me regardent étrangement, ma mère s'approche de moi, pose sa main sur mon front et dit :
  • Tu es sûr que ça va ? Déjà tout à l'heure tu avais l'air bizarre quand je t'ai téléphoné.
J'ai enfin mon issue de secours.
  • Non, je me sens pas très bien, je crois que je vais allez me coucher, ça ira mieux demain.
  • Tu ne veux même pas manger un morceau avec nous ?, demande Tante Amber.
  • Non, je vais me faire un sandwich et monter, mais promis, demain je passe toute la journée avec vous, ajouté-je devant leurs visages déçus.
Je m'éclipse donc jusqu'à la cuisine pour prendre un truc à grignoter, j'ai la tête dans le frigo quand j'entends derrière moi :
  • Qu'est-ce qui t'arrive, Morgan ?
Sophie, ma cousine, se tient dans l'encadrement de la porte, je réponds gentiment :
  • Je n’ai pas vraiment envie d'en parler.
  • Soit sympa, on s'est pas vu depuis un moment, c'est à peine si tu me regardes. Qu'est-ce qui se passe ?
Je soupire et demande un peu énigmatique :
  • Ça ne t'ait jamais arrivé de douter de ce que tu croyais être une certitude ?
  • Je... quoi ?, demande-t-elle incertaine.
  • Laisse tomber, dis-je en sortant de la cuisine.
  • Mais attends, tu m'as pas raconté comment est ton nouveau lycée et si tu t'es fais des potes.
  • Heu, on parlera de ça demain, promis, mais là j'ai vraiment besoin de dormir, lui répondis-je sans même me retourner.
Je monte, entre dans ma chambre et vais m’asseoir sur le rebord intérieur de la fenêtre. Pour la première fois je remarque que d'ici, j'aperçois un bout de la maison de Tom et Sarah, de l'autre coté de la rue. Mon regard se lève vers le ciel étoilé, et je laisse échapper un soupir, mélange de désarroi et de tristesse, je me sens seul et perdu.
Mon état m'inspire une chanson que j'improvise au fur et à mesure :
« Perdu, je me suis perdu,
Noyé dans les yeux d'un inconnu.
Sous son regard je suis à nu,
Je n'ai pas l'habitude.
Cette partie de moi m'effraie,
Je ne peux pas croire,
Que ce soit vrai,
Je nage en plein brouillard.

Impossible d'avoir les idées claires,
Il me foudroie comme un éclair.
Impossible de résister,
Je suis hypnotisé.

Je ne veux surtout pas lire,
La signification de ce désir,
Qui naît au fond de moi.
Il ne faut pas !
Mais, pourquoi ?
Ai-je peur de franchir le pas ?
Je ne sais plus,
Je suis perdu. »

Décidant qu'il est trop tard pour me torturer l'esprit davantage, je me déshabille et me glisse sous ma couette, continuant quelques instants d'observer la lune qui brille joyeusement dans son paradis étoilé.
Cette nuit-là a été plus calme que les précédentes et en me réveillant le dimanche matin je me sens bien, reposé et serein, d'attaque pour toute une journée en famille.
La journée se déroule relativement tranquillement. Tous me questionnent sur mon nouveau lycée et je leur répète que c'est un lycée comme tous les autres et que comme il fonctionne un peu comme le modèle américain je ne suis pas trop dépaysé.
Inévitablement on me pose des questions sur Tom et Sarah et, pour éviter d'avoir à m'étendre sur le sujet, je réponds simplement qu'ils sont super sympas et qu'on deviendra sûrement de très bon amis.
Je vois Sophie me regarder étrangement lorsque je dis ça, mais je n'y prête pas plus attention parce que je sais que depuis ce matin, elle attend une occasion de me questionner à nouveau sur mon comportement d'hier soir.
Alors, il va falloir, soit que je l'évite durant les quinze jours qu'ils vont passer ici, ce qui risque d'être relativement compliqué, soit que je trouve une excuse plausible.
Je me suis souvent confié à elle par le passé, mais là, tout est tellement confus que je ne préfère pas en parler avant d'être au moins sûr de quelque chose.
Le dimanche passe plutôt vite, tellement vite, que je remarque qu'il est tard seulement lorsque ma mère m'interpelle :
  • Morgan, tu devrais peut-être aller te coucher, il est déjà 23h15 !
  • Heu, ouais !
Je leur souhaite une bonne nuit à tous et commence à m'éclipser du salon quand Sophie dit :
  • Je vais monter aussi, je commence à être fatiguée !
Je sais que ce n'est pas entièrement vrai, mais qu'elle vient de trouver une occasion en or pour me réclamer des explications.
Nous montons à l'étage en silence, je rentre dans ma chambre, elle me suit, l'air de rien je demande :
  • Qu'est-ce que tu fais ? Je vais me coucher là !
  • Je t'ai entendu chanter hier soir, « je me suis perdu, noyé dans les yeux d'un inconnu », un inconnu ? Qu'est-ce que ça veut dire, Morgan ?
Une vague de stress déferle en moi, me trouble quelques secondes, mais je reprends le contrôle rapidement trouvant comme excuse :
  • C'est juste une chanson, je l'ai récupérée sur le net, comme je la trouvais jolie, j'ai essayé de la chanter. Et depuis quand t'écoutes aux portes ?
  • Tu ne serais pas en train de me mentir là ?, demande-t-elle soupçonneuse.
  • Tu te fais des films, Sophie !
Elle reste quelques secondes à m'observer, insatisfaite de cette réponse puis dit :
  • Bonne nuit.
  • Bonne nuit à toi aussi !
Je laisse échapper un long soupir de soulagement, espérant qu'elle ne reviendra pas me questionner.
Le lendemain matin, lorsque je me lève, elle est déjà dans la cuisine en train de prendre son petit déjeuner.
  • T'es déjà debout ?
  • Je n’arrive pas à dormir à cause du décalage horaire.
  • Ouais, j'ai aussi eu des problèmes au début.
Je prépare mon petit déj' et m'assois avec elle. Le silence s’installe pendant quelques minutes puis elle demande :
  • À quelle heure tu finis les cours ?
  • À quinze heures.
- Tu parles d'une journée de cours, 9h00 /15h00, trop dur, rit-elle.
  • Hé, j'ai deux heures de sports ce matin !
  • Oh oui, je comprends, c'est fatiguant, continue-t-elle de se moquer.
Je lui fais une grimace en finissant mon chocolat et me lève pour partir, quand elle me retient par le bras.
  • Attends, je peux venir te rejoindre à trois heures ? J'aimerais bien rencontrer Tom... et Sarah, ajoute-t-elle devant mon visage surpris.
  • Ce n’est pas utile, on rentre direct ici, je les ramène chez eux au passage.
  • Pourquoi on n’irait pas se balader un peu en ville, pour visiter, tous les quatre ?, insiste-t-elle.
  • Mais, mes parents veulent que je rentre tout de suite pour rester avec tes parents et toi, et en plus je ne sais pas si Tom et Sarah voudront aller en ville.
  • Et ben demande leur, tu vas bien les chercher là ?
  • Oui, mais... dis-je en cherchant une issue de secours.
Je ne veux surtout pas qu'elle les rencontre, avec ce qui se passe entre Tom et moi, ce n’est vraiment pas une bonne idée.
  • On fait comme ça alors, dit-elle en sortant de la cuisine.
  • Comme ça quoi ?, demandé-je avec l'étrange impression de m'être fait piégé.
  • Tu m'envoies un message dès qu'ils te donnent leur réponse et je vous rejoins devant le lycée.
  • Non mais attends, tu ne sais même pas où c'est, tenté-je en dernier recours.
  • T'as mère nous a laissé un plan. Je trouverais bien.
Elle monte l'escalier en souriant et il me faut quelques secondes pour réaliser que je vais être en retard si je ne me dépêche pas.
Je remonte en courant pour finir de me préparer, et, au moment de redescendre, j'entends Sophie me dire :
  • À tout à l'heure, Morgan !
Je fonce dans le garage chercher ma voiture en priant pour que mes amis aient déjà un truc de prévu cette après-midi. Midi arrive bien plus vite que prévu et je n'ai toujours rien dit à Tom et Sarah pour tout à l'heure. Lorsqu'on se pose au kebab pour manger je me lance :
  • Dites, j'ai un truc à vous demander.
  • Bah vas-y, dit Sarah.
  • Ma cousine voudrait visiter un peu la ville après les cours et je voulais savoir si vous vouliez venir avec nous ?
  • Ouais, bien sûr, ça va être sympa, réponds Sarah en souriant.
  • Et toi, Tom, t'en penses quoi ?, demandé-je déboussolé face à son silence.
Il relève la tête, plonge ses yeux dans les miens et avec un immense sourire me dit :
  • Si ça te fait plaisir, alors je viens aussi !
Je me sens rougir et horriblement gêné sans trop savoir pourquoi, ce qui a l'air de l'amuser, puis Sarah lui donne un coup de coude et il détourne le regard.
Nous dévorons notre repas tout en discutant des endroits sympas à voir pendant l'après-midi. Je découvrirai la ville au passage parce que je n’ai pas encore visité grand chose. Quand nous retournons au lycée, Tom marche à coté de moi, très près de moi et ses doigts n'ont de cesse de venir caresser les miens. Il y a même des moments où j'ai l'impression qu'il va les entrelacer aux siens. Mon pauvre cœur fait des bonds dans ma poitrine, dignes des plus grands perchistes du monde. J'ai peur qu'il me prenne la main et en même temps, je ressens une grande frustration lorsqu'il s'éloigne.
Ça devient beaucoup trop fort, je ne veux pas ressentir ces choses-là ! C'est vraiment pas une bonne idée cette sortie avec Sophie, parce que j'ai de plus en plus de mal à cacher mes réactions et à rester impassible face à cette tornade de sensations et de sentiments qui s'abat en moi à chaque fois qu'il me touche.
Le fait de rentrer en cours me détend un peu, en général il ne se passe rien quand on est en classe. Mais, aujourd'hui le monde en a décidé autrement. Tom veut suivre le cours de littérature et n'a pas son livre, ce qui fait qu'il est obligé de suivre sur le mien. On se retrouve donc très proche, trop proche. Son souffle chaud dans mon cou est un vrai supplice et lui, l'air de rien, me donne toutes les réponses de l'exercice avec une simplicité et un sang-froid déconcertant.
Il n'arrive pas à lire la dernière question parce que la page brille avec les néons mais au lieu de tirer le livre vers lui il se penche un peu plus sur moi tout en posant sa main sur ma cuisse pour se retenir.
Mon cœur manque un battement, j'ai du mal à respirer, je ferme les yeux, il murmure inquiet :
  • Ça ne va pas ?
  • Je... tu... ta main, tu peux...
  • Oh pardon, dit-il en la retirant, une expression réjouie sur le visage.
« Et ça l'amuse en plus ! Il cherche à me faire craquer ? C'est pas vrai ! » Le plus effrayant c'est que j'ai l'impression d'être à deux doigts de le faire.
C'est horriblement étrange de s'avouer ça ; normalement je devrais le repousser, lui dire d'arrêter, je devrais même trouver cela horrible, enfin horrible non, mais je n'arrive pas à m'exprimer clairement. Ce que je veux dire, c'est que je ne devrais pas, en tant qu'hétéro, ressentir toutes ces choses quand il fait ça. Je devrais pas me dire que j'aime bien, que c'est agréable, je ne devrais pas avoir envie qu'il recommence, je ne devrais pas avoir envie de me laisser allez. « Ah, je deviens dingue ! »
À cet instant, sa question me revient en pleine figure comme une gifle « tu n'en as pas envie » ; la seule question que je dois me poser est celle-là, il est tellement facile d'y répondre en temps normal, sauf que là, plus rien est normal.
Je ne sais pas si j'ai envie de faire l'expérience avec un garçon, mais je sais que ce que je ressens me trouble beaucoup. Il faudrait que je vois si les garçons m'attirent, si je ressens des choses quand je les regarde ; jusqu'à présent, ce n'est jamais arrivé, mais comme tout à l'air de changer en ce moment… Je n'ai pas le temps de pousser plus loin ma réflexion que trois heures sonnent et la fin du cours avec.
Nous rejoignons Sarah et retrouvons Sophie au portail. J’ai le stress, je m’applique à respirer doucement et à enfouir cette tension au plus profond pour éviter le faux-pas. Nous nous arrêtons à sa hauteur, je lui dis bonjour, elle répond par une bise sur ma joue, Tom la fusille du regard, Sarah le remarque et se retient de rire en se mordant les lèvres. Je les présente :
  • Alors, Sophie, je te présente, Tom et Sarah, et voilà ma cousine Sophie.
  • Enchantée, répond Sarah.
  • De même !, balance Tom froidement.
  • Je suis ravie de rencontrer les nouveaux amis de Morgan. Il n'a pas beaucoup parlé de vous hier. Je dirais même qu'il est resté très vague, dit-elle en dévisageant Tom.
Cette situation me gêne beaucoup. Tom n'a pas l'air mieux et je dois dire que je n’aime pas le voir comme ça, alors, tentant d'arranger les choses, je demande à Sophie :
  • Bon alors, tu veux faire quoi ?
  • Visiter la ville !
  • Alors en route !, s'exclame Sarah.
Les filles marchent devant nous, Tom a les yeux rivés sur le sol comme très souvent. J'aimerais tellement qu'il me parle, je sais pas pourquoi, c'est comme un besoin vital. Je lui propose :
  • Ça te dirait, un de ces quatre, de me faire visiter le parc, juste toi et moi ?
Il relève la tête à l'attente des mots « toi et moi », me regarde les yeux brillants et murmure :
  • J'adorerais ça !
Je m'attends à ce qu'il propose une date ou quelque chose, mais de toute évidence, ce n’est pas prévu dans son quota de mots.
Je réfléchis à un moment qui pourrait convenir et qui ne soit pas trop proche, histoire que j'ai le temps de remettre mon cerveau dans la lumière et finis par dire :
  • Le samedi 19 décembre, juste avant les vacances de Noël. C'est dans trois semaines je sais mais, je ne pourrais pas avant comme ma famille est là, ça fait loin alors si tu ne peux pas...
  • Je serai là, dit-il simplement en effleurant ma main du bout des doigts.
Après deux heures à aller d'un lieu à l'autre : monuments, musées et autres endroits intéressants où nous pourrons nous attarder davantage lorsqu'on aura un peu plus de temps, Tom propose d'aller voir le château sur la colline, ma cousine est ravie et nous nous mettons en route.
Un quart d'heure de marche nous y amène, l'endroit est magnifique, mais ne se visite plus, on peut juste voir le jardin qui est entretenu pour les gens qui veulent s'y marier.
Tellement émerveillé par la beauté du monument encore en si bon état pour l'époque, et avec la nuit qui est en train de tomber, je ne regarde pas où je marche et trébuche sur une pierre. Tom à mes côtés, aussi vif qu'un serpent, enlace ma taille pour m'empêcher de m'écrouler sur les graviers.
  • Regarde où tu marches, me murmure-t-il.
Je lui souris pour tenter de cacher les réactions que provoquent ses bras autour de moi et un immense sourire se dessine sur ses lèvres. Il me lâche une seconde plus tard, sauf qu'au lieu du soulagement attendu ; c'est un étrange sentiment de manque qui m'envahit. « Je déraille, c'est officiel ! »
Le temps de faire le tour du jardin, la nuit est tombée complètement et s'il n'y avait pas les lampadaires, on ne verrait vraiment rien. Nous décidons tous de rentrer.
A la maison, mes parents et ceux de Sophie sont présents et discutent dans le salon, un bonjour et je monte faire mes devoirs. Enfin seul, mais on frappe à la porte à peine deux minutes plus tard.
  • Je peux te parler ?, demande Sophie en entrant.
  • J'ai des devoirs à faire.
  • Ça ne me dérange pas, tu peux les faire en même temps.
Je soupire, elle s'assoit sur mon lit silencieuse. Je commence mon exercice de maths puis, comme un caillou jeté dans une mare, elle balance :
  • Ton ami Tom, il n’aime pas les filles, n'est-ce pas ?
Mes yeux s'écarquillent, heureusement que je lui tourne le dos :
  • En effet !
  • Et, il est amoureux de toi !
Son affirmation me frappe, comme l'évidence que j'essayais de refuser jusqu'à présent, comme quelque chose que je ne peux qu'accepter.
  • Tu dis n'importe quoi, dis-je en riant pour cacher mon trouble, personne n'a jamais été amoureux de moi et Tom encore moins.
  • Arrête ! T'as vu comment il m'a regardée quand je t'ai dis bonjour tout à l'heure ? Et quand il t'a pris dans ses bras pour éviter que tu t'étales sur le chemin ? J'ai vu comment il te regardait, Morgan, et surtout comment t'étais troublé. J'étais derrière vous, j'ai tout vu !
Le silence s'installe. Que répondre ? J'essaye de me concentrer sur mes équations sans y parvenir, lorsqu'elle demande :
  • L'inconnu de ta chanson, soi-disant trouvée sur le net, c'est lui, pas vrai ?
« Ça suffit ! Pourquoi faut-il toujours que quelqu'un nous dise se qu'on s'évertue à se cacher ? »
  • Laisse tomber, il ne m'aime pas et moi non plus ! Il faut que je fasse mes devoirs, dis-je d'un ton glacial.
  • Très bien, excuse-moi, mais préviens-moi quand t'auras cessé de faire l'autruche.
  • Ouais, c'est ça, je t'enverrai un mail !
Elle sort finalement de ma chambre ; je ne la regarde pas mais je sais qu'elle est déçue par mon attitude. Je m'en excuserai quand j'aurais de nouveau les idées claires.
Tout se passe beaucoup trop vite et en même temps, il n'y a rien de concret. Après tout, peut-être que Tom s'amuse simplement de cette situation. Que la première fois où il m'a vu, il a su que mon hétérosexualité ne tenait qu'à un fil et ne demandait qu'à basculer. Ce qui n'est pas forcement vrai, parce que ce jour-là, avant de le remarquer, j'avais vu la jolie Jessie assise devant lui et avec qui je parle de temps en temps, mais juste après, mon regard s'est posé sur l'intriguant Tom Mendel. « Ah non, ce n’est pas possible ! ». Je grimace, incapable d'avoir une pensée qui ne porte pas son prénom. Puis j'entends ma mère crier depuis le bas :
  • Morgan, à table !
Sauvé ! Merci à celui qui à dit qu'on devait manger trois fois par jour, au moins quand je mange, je ne pense pas trop. Pendant au moins une heure je serai sauvé de moi-même.
Je m'assois à table, Sophie ne me lâche pas du regard et dit :
  • Le copain de Morgan, est très sympa !
Elle insiste bien sur le mot « copain ». Cachant ma gêne je rétorque :
  • Tu parles, il t'a pas décroché un mot de tout l'après-midi, t'as fait que parler avec Sarah !
Elle s'empourpre, mais se reprend :
  • Il n'empêche qu'il a l'air sympa !
Mon père dit :
  • Pourquoi tu ne les invites pas à la maison ce week-end ? On ferait leur connaissance comme ça ?
Mon père, c'est le roi des bonnes idées ! Sophie sourit et commente :
  • C'est une excellente idée.
Aussi rapide qu'un éclair, je balance un mensonge pour éviter cette catastrophe en perspective. Je ne veux surtout pas faire subir ça à Tom, il n’a pas l'air super à l'aise avec les gens, alors vaut mieux éviter les désastres.
  • Ils ne peuvent pas ce week-end, ils ont déjà un truc de prévu.
  • Une autre fois alors, dit gentiment ma mère.
Je m'affale sur ma chaise, soulagé pendant que Sophie me foudroie du regard.
Le reste de la semaine se passe relativement bien. Sophie ne cherche plus à me faire parler et les caresses volées de Tom se sont espacées, ce qui, à mon grand étonnement ne me soulage pas mais me rend plutôt perplexe. Est-ce que tout ça n'est réellement qu'un jeu pour lui ? Un jeu dont il serait en train de se lasser parce que je ne m'y implique pas ?
Le samedi suivant, le 5 décembre, mes parents veulent aller manger au parc pour profiter un peu du soleil et de l'absence de neige, je refuse de les accompagner, ma mère s'étonne :
  • Tu recommences à être bizarre !
  • Mais, je ne suis pas bizarre ! Arrête de dramatiser comme ça ! J'ai juste demandé à quelqu'un de me faire visiter le parc, et je ne veux pas y aller avant de l'avoir vu avec cette personne.
Mon père me tape sur l'épaule en me disant :
  • Elle doit sûrement beaucoup te plaire pour mériter autant d'attention !
Je me contente de sourire en me demandant ce qu'il dirait s'il savait qu'en vérité il s'agit d'un garçon. Sophie me dit à l'oreille :
  • Ce ne serait pas plutôt Tom qui doit t'emmener là-bas ?
  • T'arrête jamais toi ? Et de toutes façons, j'ai une disserte de philo à faire.
  • Voyez-vous ça !, s'étonne-t-elle. C'est quoi le sujet ? « Les complexités de l'amour ? »
Je lève les yeux au ciel, tous rigolent et partent enfin.

2
Je remonte l'escalier d'un pas lent, la motivation n'y est pas, j'aurais préféré voir Tom et Sarah, mais mon mensonge de début semaine s’avère être vrai. Ils sont partis en week-end avec leurs parents. Ils sont tous les deux commerciaux, toujours à sillonner les routes et ils ne se voient pas souvent.
Je mets de la musique, assez fort pour couvrir le bruit de mes pensées qui convergent toutes vers Tom. « Il faut vraiment que j'arrête, ça devient grave. En même temps c'est de sa faute ! » Je gémis en enfouissant ma tête dans mes mains une seconde.
En m'asseyant à mon bureau je récupère mon sujet de philo, le lis, le relis et conclus que le prof devait sûrement être ivre ou drogué le jour où il l’a préparé. Je revois mon cours à la va vite et soupire en me disant que j'aurais préféré le sujet de Sophie, j'aurais été un peu plus inspiré.
Il est 14h15, nous sommes le mardi 8 décembre et nous venons de commencer le passionnant cours de maths de Madame Fringer.
Tom, comme très souvent, dessine. Je jette un coup d'œil sur sa feuille et remarque qu'il est en train de recréer notre sortie au château de lundi dernier.
La prof nous fait sursauter lorsqu'elle appelle :
  • Tom !
Il relève la tête avec un soupir et attend la suite.
  • Aurais-tu l'obligeance de venir résoudre ces équations au lieu de faire je ne sais trop quoi ?
Il se lève en marmonnant un truc incompréhensible et se traîne jusqu'au tableau.
Mes yeux ne le quittent pas, détaillent chaque partie de son corps, m'attardant sur sa nuque que ses cheveux en pagaille laissent nue par endroit.
Une soudaine envie de couvrir cette peau blanche de baisers s'empare de mon esprit, de mon cœur. Gêné de mes pensées, je pique un fard. « On se détend Morgan, c'est juste un pote. »
Mais, mes yeux, inlassablement attirés par l'aimant blond qui s'agite au tableau, se posent de nouveau sur lui. Il finit la quatrième équation, pose la craie sur le bord et balance à la prof :
  • Je ne vous demande pas de vérifier si c'est juste ?
Puis il commence à revenir à sa place quand elle l'interpelle de nouveau :
  • Attends, ce n'est pas fini. Tu vas aussi faire celles de l'exercice suivant. Comme tu à l'air d'aimer faire le malin, ne t'en prives pas !
  • Mais, j'ai rien fait, se défend-t-il.
  • Arrête de te plaindre, Mendel, c'est un jeu d'enfant pour toi ! balance John.
  • C'est ça ? Alors, viens les faire, toi !
  • Sans façon, le petit génie c'est toi, rétorque-t-il.
Tom soupire encore une fois, et finit tout de même par faire ce que la prof demande. Une fois qu'il a terminé, calmement il la questionne :
  • Je peux retourner à ma place, cette fois ?
  • Oui !
Il me fixe droit dans les yeux et ne me lâche que pour passer derrière moi en faisant glisser sa main dans mon dos, ce qui me provoque un frisson, encore un !
Il s'assoit en souriant, content de ma réaction, je l'interroge :
  • Pourquoi John a dit que t'es un petit génie ?
  • Parce que c'est le cas, marmonne-t-il.
  • Je ne comprends pas !
  • Malgré le fait que je sois rentré à l'école à plus de trois ans, comme toi j'imagine, puisqu’on a le même âge, j'étais en CP quand les profs ont commencé à se poser des questions sur moi. J’avais toujours fini en premier, je leur disais que c'était trop facile et plein d'autres trucs. Donc ils ont décidé, avec l'accord de mes parents, de me faire passer des tests d'intelligence et il s'est avéré que je suis un génie. J'ai fais une primaire normale mais à l'entrée au collège mes parents ont voulu me mettre dans une école spécialisée. Comme j'avais aucune envie de me retrouver séparé de Sarah, et surtout perdu au milieu de tous ces mutants, j'ai fait exprès de répondre n'importe quoi aux tests d'entrée. Je ne veux pas qu'on me regarde comme si j'étais un monstre ou une bête de foire. Et puis être là me permet de m'améliorer en dessin, ajoute-t-il en riant.
  • Whaou ! Alors ça ! Si je m'y attendais ! m'étonne-je. Je comprends mieux pourquoi tu ne suis jamais les cours.
  • Il ne faut pas croire, je bosse en dehors des cours, seulement mes livres ne sont pas ceux-là.
  • C'est énorme !
  • Dis-moi, ça ne va rien changer entre nous ? demande-t-il un peu inquiet.
  • Non bien sûr, pourquoi veux-tu que ça change quelque chose ? C'est juste que c'est la première fois que tu me parles autant depuis le premier jour, alors... !
Il éclate de rire ; j’en fais autant, tellement amusé et heureux de l'entendre.
  • Tom, Morgan, il ne faut pas vous gêner surtout. Vous vous croyez au cirque ? Allez faire un tour dans le couloir dix minutes, ça va vous calmer !
On sort, toujours en riant. Tom referme la porte derrière nous, je le regarde et me calme. Il y a dans ses yeux quelque chose de tellement tendre.
Je m'appuie contre le mur derrière moi, et sans briser nos regards, il s'approche lentement. Mon cœur s'affole, ça va recommencer...
Ses mains glissent sur mon bassin et viennent se lover dans les poches arrière de mon jeans, pendant que ses douces lèvres se posent dans mon cou pour le dévorer de baisers.
Je tente faiblement de le repousser :
  • Tom, non... Tom... murmuré-je, en tremblant du plaisir que cela me procure.
« Je ne veux pas ressentir ça ! Non ! Il ne faut pas ! C'est pas vrai ! »
J'essaye de me dégager de son emprise mais il me maintient fermement contre le mur. En réalité sans aucune brutalité, je ne suis juste plus en état de me dégager de là.
Il continue de parcourir mon visage, déposant par-ci, par-là quelques doux baisers, sans jamais m'embrasser, pendant que je sens mes forces m'abandonner.
Mes yeux se ferment. « Succomber ou résister ? » Cette question traverse mes pensées à la vitesse de la lumière. « Je ne sais pas ! »
Mes mains se posent sur ses hanches, plus pour me retenir qu'autre chose, je murmure sans le vouloir :
  • Je ne sais pas !
  • Tu ne sais pas quoi ? demande-t-il tout aussi bas.
Je ne réponds rien. Une porte s'ouvre au bout du couloir. Il s'éloigne un peu de moi, je me sens défaillir et me laisse glisser contre le mur, me recroquevillant sur le sol.
Comme personne ne vient, Tom s'accroupit près de moi et en passant sa main fraîche sur mon visage, murmure faiblement :
  • Désolé, je...
La porte de notre salle de cours s'ouvre, l'empêchant de poursuivre, la prof demande :
  • C'est bon, vous êtes calmés ?
Il se tourne vers elle sans rien dire, ses mains posées sur mes genoux. Elle ajoute :
  • Allez, entrez !
Il m'aide à me relever, s'assure que je tiens bien sur mes jambes et me lâche. La prof nous suit des yeux, une expression de doute sur le visage, mais elle ne fait aucun commentaire. Heureusement, parce que là, je ne suis pas en état de répondre à quoi que ce soit, je ne suis même pas sûr de savoir encore comment je m'appelle.
À 16h00, son cours se termine enfin. Je commence à ranger mes affaires, Tom me tend son dessin sans rien dire, je le prends et remarque qu'il a refait sous forme de BD, la scène de lundi dernier où il m'a pris dans ses bras pour pas que je tombe. Je vois que mon cœur est dessiné en relief, comme sortant de ma poitrine et qu'un énorme point d'interrogation orne ma tête ; de toute évidence, il a compris mon trouble.
Je range le dessin à l'abri dans une pochette et nous sortons de la salle pour nous rendre au cours d'anglais, le dernier de la journée.
Enfin, ça se termine. Nous rejoignons Sarah à l'entrée du lycée et en silence nous prenons le chemin du retour.
Sarah et Tom discutent sur le trajet. Puis arrivés devant chez eux, Sarah me dit à demain et descend de voiture tandis que Tom, comme tous les soirs, reste encore un moment.
C'est un peu devenu un rituel et je pense que s'il arrêtait de le faire, ça me manquerait beaucoup. Mais, ce soir son regard est triste, je ne comprends pas ce qui le rend ainsi et ça me blesse. J'aimerais le prendre dans mes bras, le consoler, mais je ne fais rien, mon corps est figé, comme incapable de faire un mouvement.
Tom pose doucement, tendrement, le bout de ses doigts sur mon visage et les laissent glisser lentement. Je ferme les yeux une seconde en tremblant et finis tout de même par demander :
  • Qu'est-ce qu'il y a ?
Il esquisse un sourire en sortant de la voiture. Mon cerveau en bouillie se recompose avec le claquement de la portière. Je respire profondément, je rentre.
Je contemple son dessin, et mes éternelles questions m’envahissent la tête…. Eh oui encore ! Que dois-je lire dans ce dessin ? Est-ce une déclaration d’amour officielle ? Je ne sais pas. Le personnage qui le représente, arbore un immense sourire, mais il n'a rien de particulier, et n’est pas du tout représentatif d'un amour qui ne demanderait qu'à être partagé. Est-ce une façon de me dire qu'il sait les doutes et les questions que me provoquent chacun de nos contacts ? Ça, il le sait, j'en suis sûr. Il n'y a pas si longtemps, ça avait même l'air de l'amuser.
Mais, peut-être que quelque chose à changé ? Tout à l'heure, dans le couloir, il s'est excusé et c'est la première fois qu'il le fait ; et il y a dix minutes à peine, il y avait comme une profonde tristesse dans son regard. Je ne l'ai jamais vu aussi mal.
A cet instant, je ne désire qu'une chose, lui téléphoner pour lui demander ce qui ne va pas mais, il y a tellement peu de chance qu'il me donne une réponse que ça ne sert à rien.
Ou peut-être qu'il a compris que tout ça devient vraiment trop intense pour moi et que c'est seulement une façon muette de s'en excuser ? Ma réaction dans le couloir a été violente c'est vrai, mais je ne pouvais pas à la fois lutter contre lui et contre moi. J'avais tellement envie de me laisser aller, de lui demander de m'embrasser pour de vrai et en même temps j'avais peur de ça, je ne voulais pas qu'il continue ; ces combats intérieurs m'épuisent. Soupir. Je pose son dessin à coté de moi, me frotte les yeux comme un enfant fatigué lorsqu'on frappe à la porte. Je grogne et balance :
  • Quoi ?
  • Quel accueil ! s'étonne Sophie en entrant dans ma chambre.
« Oh non, pas elle ! C'est vraiment la dernière personne que j'ai envie de voir maintenant ! »
Je retourne le dessin de Tom ; si elle le voit, elle va encore me poser des questions. Elle s'assoit en face de moi :
  • Ça va ?
  • Oui !
  • T'as dis bonjour en coup de vent et t'es monté te réfugier ici, alors je m'inquiète !
« Mais bien sûr ! »
  • Bah tu vois, je vais bien !
  • T'as pas envie de parler ?
« Non ! »
  • Parler de quoi ?
  • Ou plutôt de qui ?
  • Sophie ! Tu vas me lâcher avec ça ! C'est ma vie et ce serait sympa si tu pouvais éviter d'y faire intrusion toutes les trente secondes ! Si j'avais envie de te parler, je le ferais ! Je l'ai toujours fait, non ?
  • Si, mais...
  • Il y a pas de « mais » qui tienne, ça me regarde, point final !
  • J'voulais juste savoir...
  • Non ! Tu sauras, le jour où je saurais ! m'énerve-je.
  • Ça va, t'énerve pas !
  • Si je m'énerve. Comme si les choses n'étaient pas suffisamment compliquées, il faut que tu me questionnes sans arrêt !
  • D'accord, excuse-moi !
  • Hum, excuses acceptées seulement si tu promets de ne plus me poser de question sur le sujet jusqu'à ce que tu t'en ailles !
  • Mais, si jamais il se passe quelque chose, tu me le diras ?
  • Sophie !
  • D'accord, d'accord, c'est promis !
  • Merci !
Elle s'en va quelques minutes plus tard devant mon mutisme buté.
Je récupère le dessin de Tom pour le ranger en lieu sûr mais je ne peux m’empêcher de l’observer une dernière fois. Je m'aperçois alors qu’au bas de la feuille, à coté de son prénom, il y a trois traits, un peu comme au jeu du pendu. Est-ce le cas ? Est-ce que je suis sensé trouver les lettres qui manquent ? Mais combien de mots y-a-t-il en trois lettres ? Enfin, déjà ça peut pas être je t'aime, mais c'est trop court ! Quoique si on abrège le mot ça tiendrait mais, ce n’est pas le genre de Tom d'abréger quoique ce soit.
Ça peut pas non plus être mon prénom, pfft ! J'ai le cerveau complètement embrumé avec ces sempiternelles questions, je suis fatigué. Finalement je me résous à ranger son dessin là où personne ne pourra le trouver et me laisse tomber sur le lit, observant le ciel à travers la fenêtre. Je finis par m'endormir, Tom dans mes pensées. Le lendemain, c'est relativement stressé que je pars chercher Tom et Sarah, angoissé par la matinée à venir et de ce qui pourrait encore se passer. Je ne suis pas tout à fait remis d’hier, et je ne connais pas mes réactions si cette situation devait se renouveler.
Je me gare, Tom monte à coté de moi, et Sarah à l'arrière, mais ce matin est diffèrent. Sarah me dit bonjour, Tom me jette un sourire, jusque là, rien de nouveau, mais pour la première fois, il enchaîne avec un :
  • Ça va ce matin ?
Tellement surpris par cette question plus qu'inattendue, il me faut une petite seconde pour construire ma phrase et lui répondre :
  • Oui... oui ça va et toi ?
Mais comme trop souvent, la réponse ne vient pas, le quota de mots est déjà bien entamé. Un jour, il faudra que je lui dise à quel point ses silences me perturbent et me frustrent. Il continue de me sourire, se perdant au fond de mon regard qui se noie dans l’intensité de ses émeraudes. Sarah me ramène brutalement à la réalité en balançant :
  • Morgan, on a cours à 8h00 ce matin, pas à dix !
  • Je heu... ouais... on y va, balbutié-je.
Elle esquisse un sourire plein de tendresse et me donne une tape sur l'épaule. Elle est forcément au courant de quelque chose, je suis pratiquement certain que Tom se confie à elle. Peut-être qu'il ne lui dit pas tout mais, elle doit être au courant d’une bonne partie des événements qui se déroulent depuis plusieurs semaines.
On arrive enfin au lycée, quand la sonnerie retentit. On monte directement en philo, ça promet d'être passionnant.
Tom et moi gagnons nos places. Marchant devant lui, je m'arrête pour le laisser passer ; c'est toujours lui qui est du coté du mur ; ça n’est pas spécialement pratique puisque je suis gaucher, mais je m’assieds de travers et on se débrouille. En passant près de moi, il fait glisser ses doigts sur ma main, un frisson me parcourt, je ferme les yeux une seconde et me laisse tomber sur ma chaise comme une enclume qu'on lâche, à bout de force.
Le cours commence. Je n’arrive pas à me concentrer sur le cours, mon esprit vagabonde et se remémore chaque caresse, chaque baiser volé de Tom. Et je me rends compte qu'il n'y a vraiment aucun moment où cela m'a réellement gêné. Je n'ai jamais été homophobe c'est vrai mais, normalement, si quelqu'un vous « touche » sans que vous le vouliez, cela peut être dérangeant, et d’ailleurs les réactions animales de votre corps repoussent ce contact. Alors que moi, cela ne me gêne pas de sentir ses mains sur mon corps, ses lèvres dans mon cou, ce qui me gêne c'est mon ressenti quand il le fait. J'aurais dû le repousser la toute première fois mais je l'ai laissé faire et, en réalité, j'en avais probablement envie.
Je crois que ce qui me terrifie le plus, c’est cette envie. Je n’ai rien contre le fait de devenir gay mais cette incertitude m'énerve. J'arrive pas à mettre au clair ce que j’éprouve, m'avouer un truc pour vrai qui s’avérerait finalement n’être qu’une passade. Enfin…. « passade» ! je crois que je commence à me mentir à moi-même ! Ma question d'hier me revient en mémoire aussi brutalement qu'une tape reçue derrière la tête : « Succomber ou résister ? » Succomber, je crois que mon être tout entier ne rêve plus que de ça, qu’il a beau lutter pour une victoire vaine, il ne pense plus qu'au plaisir de s'abandonner contre un cœur qui l’attend. Mais mon cerveau, lui, ne me pousse qu’à la résistance, il ne veut pas franchir le pas, comme s'il refusait encore de s'avouer quelque chose que j'ai de plus en plus de mal à nier, comme s'il s'acharnait à refuser l'évidence. La peur le paralyse mais, la peur de quoi ? Je l'ignore encore.
Je me reconnecte doucement à la réalité et entends le prof dire :
  • Réfléchissez là-dessus un moment !
Et sans le vouloir, au lieu de le penser, je dis tout haut :
  • Ce n’est pas forcement une solution, répondant à la fois au prof et à tout mon questionnement.
  • Tu as quelque chose à ajouter, Morgan ? Pour toi réfléchir à un problème n'est pas une solution ?
  • Heu... Hein ?... non, c'est que...
  • Évite de penser tout haut, murmure Tom.
Je le regarde, puis regarde le prof. Complètement perdu, je cherche un truc à dire mais, Monsieur Daufings lève les yeux au ciel et reprend son cour. Tom ajoute avec un sourire :
  • Surtout quand tu penses à moi !
Toujours un peu égaré entre mes pensées et la réalité, je balbutie :
  • Comment tu sais que... je... non, mais en fait... tenté-je de me rattraper comprenant que je viens de faire une boulette.
Il plonge son regard dans le mien, à la fois heureux et gêné de mon aveu.
Jessie assise devant nous, est en train de nous écouter :
  • Je crois que tu viens de te balancer tout seul là !
Je me sens rougir violemment, Jessie rigole doucement pendant que Tom continue de me sourire. Puis je détourne le regard, le posant sur ma feuille vierge.
La sonnerie de fin de cours arrive à notre grand soulagement, autant pour Tom que pour moi.
Bizarrement, ça m’amuse de le voir gêné que je puisse penser effectivement à lui, même si cette révélation m’a surpris moi-même.
La matinée s'achève sans autre incident, hormis la main de Tom qui a à nouveau dérivé sur mon bassin lorsque nous avons repris la voiture.
Le reste de la semaine passe très vite, nous sommes aujourd'hui samedi ; mes parents et moi raccompagnons Sophie et sa famille à l'aéroport. Après qu’ils font enregistrer leurs bagages, Sophie en profite pour me reparler de Tom :
  • Alors il y a du nouveau ? demande-t-elle discrètement.
  • Sophie, soupiré-je.
  • Allez Morgan, sois sympa, supplie-t-elle avec une voix de petite fille.
  • Hé bah, ça se pourrait et si ça se confirmait, je t'en informerai.
  • Attends, c'est quoi cette phrase qui veut rien dire ?
  • Crois moi, ça veut dire bien plus que ce que t'as compris !
Pas le temps d'aller plus loin ; heureusement, ils sont appelés pour l'embarquement.
  • Morgan, je n’ai pas compris, dis-moi, se plaint-elle.
  • Laisse tomber !
  • Allez, on se revoit pas avant super longtemps !
  • Super longtemps ? On se retrouve chez Grand-Mère Jena dans une semaine !
  • C'est vrai, j'avais oublié que tu venais pour Noël. Alors tu me diras ?
  • Promis, allez file !
Le mercredi suivant, le 16 décembre, nous regardons en famille le film préféré de mon père : « Chouchou ». J’imagine que tout le monde a dû voir ce film au moins une fois en France, mais ce soir, il me touche particulièrement
Je voudrais aborder le sujet avec mes parents, c'est un bon prétexte mais, je ne sais pas comment entamer la conversation.
Bon, je me lance, je ne vais pas tourner autour du pot trente ans, au moins comme ça, je serais fixé sur ce qui m'attends si un jour je leur annonce que je suis gay.
  • Je peux vous demander un truc ?
Ma voix est tremblante et hésitante, ma mère le remarque tout de suite, elle s'inquiète :
  • Qu'est-ce qu'il y a Morgan ? Quelque chose ne va pas ?
  • Mais non, ça va, ne t'inquiète pas comme ça !
  • Et comment voudrais tu que je réagisse ? Tu as vu la manière dont tu demandes ça ?
  • Je ne savais pas qu'il y avait une procédure à suivre pour poser une question à ses parents ! Tu voudrais que je te le demande comment ? Que je t'envoie un mail pour obtenir une conférence afin de m'entretenir avec toi et papa ?
  • Morgan, dit mon père en riant.
  • D'accord, pardon mais, je ne prévois pas de vous poser des questions, ça vient comme ça, c'est tout !
  • Bien sûr, allez dit nous ce qui te tracasse, fiston, reprend mon père.
  • Bah en fait je voulais savoir... heu...
Le sérieux de cette question me trouble, suis-je en train d'officialiser une vérité ? Je poursuis tout de même :
  • Ce que vous diriez si un jour je vous annonce que... j'aime les garçons ?
  • Qu'est-ce que tu voudrais qu'on te dise ? Tu connais notre point de vue sur la question de l'homosexualité, alors tu n'as pas à t'inquiéter, si il y a lieu que tu t'inquiètes...
  • Et puis chéri, ton père et moi t'aimons énormément tu le sais ? Pour nous, ton bonheur passera toujours avant tout et peu importe que tu trouves l'amour auprès d'une fille ou d'un garçon. Si tu es heureux, nous ne demandons rien de plus et accepterons ton choix, quel qu'il soit, rajoute ma mère.
Je ressens un immense soulagement, tendrement bercé par leurs sourires et leurs regards rassurants.
  • Merci, soufflé-je simplement.
  • Pourquoi cette question ? demande tout de même ma mère intriguée.
N'ayant pas du tout l'intention de leur parler de moi, là tout de suite, je dis :
- Bah en fait, je ne sais pas si vous vous souvenez mais, je vous avais dis que Tom était gay et j'imagine que ces parents doivent être au courant, alors je...
Ma mère me coupe :
  • Tu imagines ?
  • Bah, je ne lui ai pas posé la question, comme on n’en a jamais vraiment parlé, qu'il ne m'a pas dit directement qu'il aime les garçons, je...
Elle m’interrompt de nouveau :
  • Donc, tu n'es même pas sûr que ce garçon soit homosexuel ?
  • Ah, si, si, ça j'en suis sûr, dis-je sûr de moi ; un peu trop peut-être parce que mon père demande en riant :
  • Il t'a fait des avances ?
  • Non ! ….
Enfin si, en quelque sorte mais, ça je ne vais sûrement pas leur dire.
  • Mais, alors comment ça se fait que tu en sois sûr, s'il ne t'as rien dit ?
  • Parce que c'est quelqu'un qui me l'a dit.
  • Tom et toi êtes bien amis, non ? Pourquoi ne te l'a-t-il pas dit clairement ?
  • Parce que Tom ne parle pas beaucoup, s'il me dit vingt mots dans une journée, c'est un jour exceptionnel !
  • Pourquoi il ne parle pas beaucoup ?
  • Mais, je ne sais pas ! C'est comme ça ! C'est tout !
  • Il est bizarre ton copain quand même !
« Ton copain », ses mots résonnent dans mon cœur où plutôt me brûle les yeux d'une vérité absolue. Tom est bien plus qu'un ami et ce depuis le premier jour. Cachant cet instant de trouble, je dis en riant :
  • Ce n’est pas à l'ambassade que tu devrais travailler, mais chez un psy, tu trouves tout le monde bizarre en ce moment !
Nous rions tous les trois. Je suis vraiment détendu ; c'est comme s'ils venaient de retirer un poids énorme de mes épaules.
Vendredi, notre dernier jour de cours avant les vacances de Noël, je rappelle à Tom notre sortie du lendemain. Il me dit :
  • Je n’avais pas oublié !
Un sourire malicieux se dessine sur son visage, puis il s'approche de moi, pose sa main sur ma taille et me murmure à l'oreille :
  • J'ai hâte d'y être !
Je ferme les yeux lorsque ses lèvres se posent délicatement dans mon cou. Heureusement que le couloir est désert à cette heure-là.
Moi aussi j'ai vraiment hâte qu'on soit demain, peut-être pas entièrement pour les mêmes raisons que lui, mais j'attends énormément de cette journée. J'aimerais qu'il se sente suffisamment en confiance et qu'il me parle. Je... je n’arrive pas à expliquer pourquoi j'ai cet intense besoin de lui parler. enfin.., qu'il me parle, qu'il se confie à moi. C'est comme si je voulais le pousser à me dire les raisons de cette fragilité qui brille au fond de ses yeux et qui m'attendrit tant que j’ai éprouvé le besoin de veiller sur lui dès que je l’ai vu. Si quelqu'un venait à lui faire du mal, je me sens capable de faire des choses que je n'ai fait qu'imaginer jusqu'à présent.
Pour ce qui est du reste et bien... je crois que… s'il tente quelque chose… je me laisserais aller et verrais où ça me mène. Mais, en même temps ça m'inquiète un peu parce qu'il n'a jamais rien dit, à part la fois où il m'a demandé « tu n'en as pas envie ». Enfin, on verra bien, pour l'instant les élèves commencent à s'entasser autour de nous, les derniers cours de la journée vont commencer.
17h00 sonnent, c'est la libération. Je laisse échapper un soupir de satisfaction, ce qui provoque un rire moqueur chez Tom, je souris, j'aime tellement l'entendre rire.
  • Allez, en route, dis-je en posant volontairement ma main dans son dos.
Il me regarde, ses deux émeraudes scintillent comme mille étoiles dans la nuit sombre ; il me fait un clin d'œil. Je suis déstabilisé par son geste et retire ma main brutalement. Il rit de nouveau.
Nous retrouvons Sarah dans le couloir qui passe son bras autour des épaules de son frère et lui dit :
  • Ça fait plaisir de t'entendre rire ! Faudra que tu me donne ton secret, me dit-elle ensuite.
  • Je... heu... bah en fait... heu... tenté-je un peu perplexe sur la réponse à donner.
  • Dis-moi Tom, il sait fait des phrases claires ton copain ?
Encore ces deux mots, qui provoquent en moi la même réaction qu’avec mes parents. Ils éclatent de rire devant mon visage confus ; je fais semblant d'être vexé et Sarah dit en me prenant par la taille :
  • Allez fais pas la tête !
C'est drôle mais je ne ressens rien ; son bras autour de moi ne me procure aucune sensation ; par contre, Tom ne reste pas de marbre. Tout comme l'autre jour avec Sophie, il jette un regard noir à sa sœur qui me lâche immédiatement, puis lui donne une tape sur l'épaule.
Nous montons enfin en voiture et prenons le chemin du retour. Tom a l'air stressé, inquiet, j'aimerais lui demander ce qu'il a. Mais comme lisant dans mes pensées, je vois Sarah dans le rétroviseur me faire un signe de tête négatif qui refrène mon envie, et je garde une fois encore mes questions pour moi.
Lorsque nous arrivons, elle descend de la voiture à la vitesse de la foudre et je l’entends à peine me souhaiter de bonnes vacances.
  • Heu, bonnes vacances à toi aussi, dis-je en la regardant rentrer chez elle.
Tom sourit, mais il reprend immédiatement son sérieux, ouvre son sac et en sort un paquet carré.
  • Je... tiens, dit-il en me le tendant.
  • Tom... soufflé-je, je peux pas accepter, je n’ai pas de...
Je ne peux finir ma phrase car il dépose le bout de ses doigts sur mes lèvres, m'obligeant à me taire. Puis il secoue négativement la tête, me faisant comprendre de ne rien dire, de seulement prendre son cadeau.
C’est ce que je fais pendant que ses doigts glissent sur mes lèvres. Lorsqu’il les retire je murmure :
  • Merci.
Un magnifique sourire étire son visage, puis il quitte la voiture à son tour. Je n’ai même pas le temps de lui demander à quelle heure on se retrouve le lendemain que ses cheveux blonds disparaissent derrière la porte de sa maison.
Je rentre chez moi rapidement, j'ai hâte de savoir ce que contient ce paquet. Je saute de la voiture, cours du garage à la maison, lance un « bonsoir » à mes parents dans la cuisine et continue ma course jusque dans ma chambre.
Je jette mon sac dans un coin, verrouille la porte pour ne pas être dérangé et m'assois sur mon lit.
J'observe le paquet sous toutes les coutures, le tourne entre mes doigts. J'ai envie de l'ouvrir et en même temps m'y refuse. Comme si j'avais peur de ce qu'il pourrait contenir. Je prends une grande inspiration et commence à retirer l'un des morceaux de scotch quand quelqu'un frappe à la porte.
  • Morgan, c'est maman, je peux entrer ?
  • Heu, non, je voudrais être seul !
  • Quelque chose ne va pas ? demande-t-elle en essayant d'entrer. Pourquoi tu as fermé à clé ? Qu'est-ce qu'il y a ?
  • Mais rien ! J'ai juste envie d'être seul, je peux ?
  • Morgan...
  • Maman, arrête de t'inquiéter, je vais bien !
  • Bon d'accord, on en reparlera demain, alors !
  • Heu, demain, je ne suis pas là.
  • Comment ça ? Et tu seras où ?
  • Dehors !
  • Toute la journée ?
  • Oui, toute la journée.
  • Tu penseras quand même à faire tes valises, n'oublie pas que lundi tu vas chez Grand-Mère.
  • Je n’ai pas oublié, je les ferai dimanche.
  • Bien.
Elle marque un temps, puis reprend :
  • Tu es sûr que ça va, chéri ?
  • Oui, maman, je vais très bien !
Bon peut-être pas très bien, mais ça, elle n’a pas besoin de le savoir. Elle s'en va enfin, j'entends ses pas s'éloigner et avec une horrible lenteur, j'ouvre enfin le cadeau de Tom. C'est un CD. Mais pas celui d'un artiste connu, à la place de la photo habituelle il y a un dessin et un bonhomme dit : « trouves les paroles qui vont avec, il y a 16 morceaux ».
La demande est claire, il a composé seize morceaux de guitare que je dois compléter. Mon cœur s'emballe, son cadeau me touche beaucoup ; je m'empresse de le mettre sur ma chaîne et branche le casque afin d'apprécier davantage les morceaux.
Je m'allonge sur mon lit, ferme les yeux, et me laisse emporter au rythme de sa guitare. Chaque morceau me surprend davantage, c'est magnifique ! Il mêle morceaux de rock brut et mélodies mélancoliques avec une facilité déconcertante.
Je laisse le CD tourner en boucle, trouvant parfois quelques phrases qui colleraient avec tel ou tel morceau. Je les note sur des bouts de papier que je laisse traîner mais que je récupère précieusement ensuite.
Puis, n'y tenant plus, j'attrape mon portable et lui envoie un message. « Salut, ça fait plus d'une heure que j'écoute ton CD en boucle, tous les morceaux sont magnifiques, vraiment, c'est le plus beau cadeau qu'on m'ait fait, merci beaucoup. »
Je ne m'attends pas à ce qu'il réponde, je sursaute lorsque mon portable vibre sous le tas de feuilles éparpillées sur mon lit.
Mon cœur bat à tout rompre, je m’empresse de lire : « Ravi c'était le but. Trouve des paroles à mettre dessus. » Je réponds : « Dja qlq id Ta music m’inspire. Quelle H dmain ?»
Cette fois je garde mon portable à la main, attendant qu'il réponde ; je me rends compte que j'ai dit à ma mère que je ne serai pas là de la journée, mais si ça se trouve, Tom voudra pas sortir toute la journée.
Et comme répondant à ma question muette son message arrive : « J'espère que tu chanteras pour moi quand t'auras un texte pour chaque morceau. ». Waou ! Je suis à la fois heureux et inquiet de cette demande, je n'ai jamais chanté pour personne. En cours de chant, je le faisais parce qu'il le fallait et j'ai chanté une fois pour ma mère, pour la fête des mères, mais j'avais 12 ans.
Sa demande m'a tellement troublé que j'ai oublié de lire la suite du message : « On se retrouve à dix heures devant chez moi, si t'es OK ? »
Mes doigts, plus rapides que mon cerveau bloqué, tapent la réponse : « J'adorerais chanter pour toi. Et dix heures ça me va très bien. Merci encore pour ton cadeau, bonne soirée, à demain. »
J'appuie sur « envoyer » et percute que je viens de lui dire que je chanterais pour lui… lorsqu'il me regarde ça me perturbe, alors si je dois chanter pour lui, je ne pourrais pas aligner deux mots.
Sa réponse ne se fait pas attendre plus, je lis : « Alors j'attendrais ce jour avec impatience. Bonne soirée à toi aussi, dors bien, Petit Prince. »
Je relis au moins dix fois la dernière phrase de son message, «… dors bien, Petit Prince », cette fois c'est officiel, je suis bien plus qu'un simple ami à ses yeux.
Un frisson me parcourt, la journée de demain risque de ne pas manquer de surprises et de sensations fortes.
Je continue d'écouter le CD de Tom sans me lasser de l'entendre ; mes doigts barbouillent toutes les feuilles de phrases, qui, au final, formeront des chansons, et j'ai l'impression que rien que de savoir que je les écris pour Tom m'inspire davantage.
Je jette un coup d'œil à la pendule et remarque qu'il est déjà 22h45 ; je n’ai pas vu le temps passer, je vais descendre me faire un sandwich, histoire de manger quelque chose.
Mon père me surprend la tête dans le frigo.
  • Tiens, Morgan ! Ta mère s'inquiète pour toi, tu sais !
  • Oui, je sais, j'ai l'impression qu'elle s'inquiète deux fois plus depuis qu'on vit ici que quand on était à Londres ou en Californie.
  • Et bien, ça fait quand même un sacré changement pour toi.
  • Ouais, mais ça va, j'aime vivre ici, je me suis fais des amis, la ville est sympa, il y a aucun souci de ce coté-là.
  • Mais, il n'empêche que tu te conduis de façon étrange en ce moment, tu t'enfermes dans ta chambre, tu sautes la moitié des repas.
  • Ouais, je sais, dis-je en refermant mon sandwich d'une tranche de pain de mie.
  • Quelque chose est en train de changer et ça t'effraie,
    dit-il.
Son affirmation me surprend. Aurait-il compris quelque chose que je n'arrive pas encore à m'avouer ?
Voyant mon air perdu et mon silence, il récupère la bouteille d'eau qu'il est venu chercher et me dit :
  • Tu sais que nous serons toujours là, si tu as envie de parler !
Je me force à réagir et lui réponds :
  • Merci 'Pa, bonne nuit !
  • Bonne nuit, fiston !
Comment se fait-il que mon père ait toujours l'air de savoir mieux que les gens ce qui les touche ou non ? On dirait que d’un simple regard il sait tout.
Je sais pas, et en vérité ça n'a pas d'importance, il faut que j'arrête de trop réfléchir, ça me sert à rien. Je termine mon sandwich et monte me coucher en pensant à la journée qui m’attend demain.
Et c'est, heureux, et un peu inquiet, que je me réveille à 9h00 le samedi. Dans une heure je retrouve Tom. Un coup d'œil par la fenêtre pour vérifier qu'il ne neige pas et je fonce sous la douche. Je passe un petit quart d'heure devant l'armoire avant de me décider ; j’opte enfin pour un jean noir et un pull blanc, comme ça cela ne fera pas trop de noir, comme mon blouson est noir aussi, enfin bref. Mon petit déjeuner tout juste avalé, je finis de me préparer, attrape mon portefeuille, mes clés et dévale l'escalier.
Ma mère me retient devant la porte :
  • Morgan, attends, je peux au moins savoir où tu vas et avec qui tu sors ?
  • Bah, je vais au parc, et comme je n’ai pas un million d'amis, la liste est vite restreinte.
  • Ah, alors tu y vas avec Tom et Sarah, c'est pour ça que tu ne voulais pas venir avec nous l'autre jour ! Pourquoi faire tant de mystère ?
  • Ouais, il faut que j'y aille, là !
  • Bien, passe-leur le bonjour !
  • D'accord, mais je vais juste voir Tom !
« Avais-tu vraiment besoin de le préciser ? »
  • Seulement Tom ? Pourquoi ? J'ai cru qu'il ne se séparait jamais de sa sœur !, demande-t-elle intriguée.
  • J'vais être en retard !
Puis je sors rapidement pour éviter ses questions, j'aurais mieux fait de me taire !
J'arrive devant chez Tom au moment où il sort de chez lui, nous nous sourions, je demande :
  • Ça va ?
  • Bien et toi ?
  • Ça va !
  • On y va ?
  • Je te suis !
Waouh ! Ça c'est de la conversation. Je crois qu'on est aussi stressé l'un que l'autre de ce qui pourrait arriver aujourd'hui. Nous marchons côte à côte sans rien dire ; j'essaye de trouver quelque chose à raconter mais rien ne me vient et je me sens ridicule. On se croirait vraiment à un premier rencard. Puis finalement c'est lui qui brise ce silence gênant, en demandant :
  • Alors, tu as écrit combien de chansons hier soir ?
  • Heu, trois !
Il me sourit, j'en fais de même et ajoute :
  • Il y en a quelques autres en chantier aussi !
Il rit puis commente :
  • Je ne savais pas qu'une chanson pouvait être en travaux, j'espère que ton chef de chantier est un type bien !
Nous rions. Voilà ce qu'il fallait, une petite connerie pour briser les barrières. J'hésite puis demande :
  • Tom, heu... tu vas me trouver ridicule, mais j'aimerais vraiment apprendre à te connaître, profiter de cette journée pour qu'on parle, toi et moi.
  • Je sais, se contente-t-il de dire.
  • Tes silences me troublent, je ne sais jamais comment réagir, si s'est parce que tu n'as pas confiance en moi ou...
Je ne peux pas finir, il m'arrête en m'attrapant le bras, se met face à moi et dit :
  • Ne redis jamais ça, Morgan Jamison, j'ai confiance en toi bien plus qu'en n'importe qui d'autre. J'ai su que je pouvais te faire une confiance aveugle à l'instant même où je t'ai vu.
  • Alors, pourquoi tu ne me parles pas ?
  • C'est pas contre toi, rassure toi. D'abord, j'ai toujours été comme ça, à jamais finir mes phrases, à ne rien dire pendant des heures. Là, les choses ont un peu empirées parce qu'il m'est arrivé des trucs pas très cools ces derniers temps et ça a du mal à passer. Je... je vais te raconter, mais pas ici.
On se remet en route. Je m'isole dans mes pensées une seconde, soulagé de savoir qu'il va enfin se livrer et surtout qu'il a confiance en moi. Nous arrivons au parc après vingt minutes de marche, il s'arrête et me dit :
  • Il y a un endroit où j'aimerais qu'on aille en premier, on devrait être tranquilles là-bas.
  • Ouais, allons-y !
Il me sourit de toutes ses dents. Heureux de le voir comme ça, je ne peux que lui rendre son sourire, avec une étrange envie de l'embrasser que je chasse en me remettant en route. Toujours en silence, mais content.
Cinq minutes plus tard, Tom s'arrête de nouveau, près d'un petit lac partiellement gelé, des saules pleureurs en bordent le tour et quelques canards s'y promènent. C'est vraiment très joli, j'imagine que ça doit l'être encore plus en été ou au printemps, il confirme :
  • C'est magnifique au printemps lorsque tout est en fleur. J'aime venir jouer de la guitare ici ; je m'assieds là-bas, entre les racines du cinquième saule, ne le dis à personne, murmure-t-il pour finir.
Je souris, il rit et ajoute :
  • Mais là, comme l'herbe est gelée, on va peut-être se mettre sur un banc.
Nous allons donc nous asseoir un peu plus loin, se blottissant presque l'un contre l'autre, pendant que je lui dis que les saules pleureurs sont mes arbres préférés.
Une minute de silence s'impose, de nouveau c'est lui qui le brise :
  • Il faut que je te dise quelque chose, dit-il difficilement.
  • Tom, je ne veux pas que tu te sentes obligé de me parler, si t'as pas envie ou que c'est trop compliqué je peux comprendre, ce n’est pas grave.
Il se tourne vers moi, me regardant avec une tendresse infinie et répond :
  • Non, j'ai besoin d'en parler, me souvenir de ça n'est pas très agréable, mais j'ai envie de te le dire.
  • Alors, je t’écoute.
Il respire profondément et commence :
  • D'abord, comme tu l'as compris, j'aime les garçons, je... j'avais 15 ans quand je m'en suis rendu compte. Un an plus tard, je suis sorti avec un mec pour la première fois, il m'a gentiment jeté au bout de six mois pour sortir avec son meilleur ami. Enfin bref, cette même année j'ai monté un groupe de rock avec un pote et deux de ses connaissances. Il s'est avéré que le batteur, Sacha, est gay lui aussi ; après quelques semaines à flirter, on a décidé de se mettre ensemble. Pendant un an ça a été génial, c'était vraiment énorme, j'étais complètement dingue de ce mec, j'aurais fait n'importe quoi pour lui, j'ai fait n'importe quoi pour lui et j'en suis pas fier. Mais, je l'aimais, alors, pendant un temps, j'ai fermé les yeux et fais ce qu'il me demandait. Puis il y a deux mois, quand je lui ai dis que je voulais plus faire ça, que ça me dérangeais, il a dit que j'étais qu'une fillette et m'a gentiment jeté comme une merde ! Honnêtement, je ne sais pas ce que j'aurais fait si Sarah n’avait pas été là, j'étais dans un état pitoyable. Et, deux semaines après qu'il m'ait laissé tomber, monsieur ne supportant plus de voir ma tête d'amoureux effondré aux répètes du groupe, ils ont tous décidé de me virer. Ils m'ont jeté du groupe que j'avais fondé, et pour lequel je m’étais battu pour obtenir des dates de concerts, convaincre les gens de nous laisser jouer dans leur établissement. Enfin, tout ça, c'est du passé. Maintenant t'es là et je vais mieux, même si ce que j'ai fait me hante et m'empêche de dormir certaines nuits.
  • Sarah est au courant de... ce que tu as fait ? demandé-je tout bas.
  • Ouais, c'est la seule à qui j'ai pu l'avouer, j'ai tellement honte de ça que je...
Sa voix se brise, il a l'air de le revivre encore. Pris d'un intense besoin de le rassurer, je passe ma main sur sa joue pour tenter d'apaiser son tourment et murmure :
  • C'est fini maintenant, plus personne ne t'obligera à faire quoi que ce soit.
Il ferme les yeux une minute, le silence s'installe, puis je demande :
  • Pourquoi... au lycée, t'étais tout le temps tout seul ?
  • À cause de ça ! Sacha est très connu ici parce qu'il est le fils unique du Maire. Et il a raconté à qui voulait l'entendre que je suis un malade et que je l'ai obligé à faire des choses horribles. Heureusement, il n'a pas précisé quoi, mais ça a suffit pour que, du jour au lendemain, ceux qui se disaient mes amis et auprès de qui j'avais espéré trouver du réconfort, me fuient comme la peste. Et que tous les autres murmurent en me regardant de travers. John a sûrement dû te mettre en garde contre moi, comme il le fait avec tous ceux qui m’approchent, ce mec en plus d'être con, il est moche !
J'esquisse un sourire et lui dis :
  • Il a essayé, en effet, mais je l'ai fais taire en traitant l'un des ses potes d'homophobe !
  • Pfft, ces mecs sont tarés !
  • Tu ne veux pas qu'on marche un peu, je suis en train de me transformer en glaçon !
Tom se marre et me frotte énergiquement le dos pendant qu'on entame le tour du parc.
Nous parlons de tout et de rien, il me questionne sur ma vie d'avant, alors je lui raconte :
  • Bah, d'abord, je suis né à Londres comme je l'ai déjà dit, le 25 mai 1991. On y a vécu pendant dix ans, ensuite on est parti vivre en Californie ; enfin, à L.A. pour être précis, une grande partie de ma famille maternelle vit là-bas. J'y vais pour les vacances d'ailleurs, je pars lundi. Et puis, début octobre, mes parents m'ont annoncé qu'ils étaient encore mutés mais que, cette fois, on partait pour la France et, me voilà ! Moi aussi je me suis fait larguer comme une vieille chaussette quand j'ai annoncé à Natacha que je m'en allais. Sans larme ni regret, elle m'a balancé « je te quitte dans ce cas ! ». C'est limite si elle ne m’accusait pas de l'avoir fait exprès !
  • Ah, les nanas, je te jure !
  • Ouais, c'est impossible de les comprendre ! Enfin ça me dérangeait pas vraiment parce que je n’étais pas amoureux d'elle. En réalité, je me suis demandé si je l'avais seulement été une fois d'une de mes copines mais je suis sûr que non. Je sais que je n'étais pas heureux avec elles. C'est comme s'il m'avait manqué quelque chose sans que je puisse dire quoi.
Tom me regarde avec un immense sourire, comme si je venais de lui faire un aveu extraordinaire. Nous continuons de marcher en discutant, puis la sirène des pompiers se met en route. « Ça fait un boucan d'enfer ce truc ! » :
  • Il est midi !
  • On va manger ? demandé-je avec un grand sourire.
  • Tu meurs de faim à ce point ? rétorque-t-il en riant.
  • Non, mais il est midi alors...
Tom éclate de rire, je reste là à le regarder sans vraiment comprendre ce qui a provoqué ce fou rire.
  • Qu'est-ce qu'il y a ?
  • Rien, viens ventre sur patte on va manger, répond-t-il en se calmant.
Quelques minutes de marche et nous arrivons jusqu'à un petit fast-food où quelques personnes attendent déjà. Arrivé au comptoir, je trébuche en marchant sur l’un de mes lacets défait. Tom me rattrape une nouvelle fois et questionne en riant :
  • Bah alors, tu tiens plus de debout ?
  • J'sais pas faire mes lacets, répondis-je en lui montrant mes lacets qui traînent par terre.
Nous rions, le serveur nous regarde en souriant et demande :
  • Alors, les amoureux je vous sers quoi ?
  • Heu... non... on n’est pas... heu... tenté-je de dire, sans vraiment savoir ce que je veux répondre.
Tom me regarde, son sourire s'efface et il baisse les yeux tristement. « Oh merde ! Qu'est-ce que j'ai fait ? » Je caresse alors doucement sa main et dis :
  • C'est pas dans nos projets immédiats.
Mon cœur bat super fort, je le ressens jusque dans ma tête, c'est pire qu'un aveu ce que je viens de dire là ! Tom relève la tête rapidement et un large sourire revient illuminer son visage. Sauf que pour moi, c'est le chamboulement intérieur. Je ne sais pas ce qu’il m'a pris de dire ça. C'est comme si les mots m'avaient échappé.
Le serveur se marre et redemande :
  • Vous voulez quoi, alors ?
Comme je ne me décide pas, c'est Tom qui choisit nos repas, je vais pour payer mais il refuse :
  • Non, laisse, je t’invite !
  • Mais, Tom...
  • Discute pas !
  • Ok, comme j'ai le choix, merci alors !
Il se contente de me sourire pendant que je récupère le plateau, le serveur lui dit discrètement :
  • Mettez vous au fond, vous serez tranquille.
Il le remercie et nous rejoignons notre table. Nous continuons de discuter de choses et d'autres, sans réelle importance, mais qui nous permettent tout de même de mieux nous connaître. Nous parlons de nos goûts musicaux et cinématographiques qui se rejoignent très souvent. Après le repas je propose :
  • Un café ça te tente ?
  • Ouais, enfin non, un chocolat plutôt !
  • D'acc, je reviens !
Je sens son regard brûlant dans mon dos mais ne me retourne pas et me dirige vers le serveur de tout à l'heure pour commander les deux chocolats. Lorsqu'il revient avec la commande il me dit :
  • Désolé pour tout à l'heure, je ne savais pas que vous n’étiez pas ensemble, quand je vous ai vus arriver presque enlacés, on aurait dit alors...
  • Non, y a pas de problème, ce n’est pas grave.
  • Ok !
Je le paye et retourne auprès de Tom qui me remercie en récupérant le chocolat que je lui tends et demande :
  • On retourne dehors ?
  • Ouais !
On fait quelques pas dans le parc puis il s'arrête :
  • Alors tu ne seras pas là pendant les vacances ?
Je souris en voyant la moustache de chocolat qui orne sa lèvre supérieure et réponds :
  • Non, je ne serais pas là et tu as de la moustache !
  • Quoi ?
  • T'as du chocolat sur les lèvres !
  • Oh !
Il l'essuie rapidement, ses yeux plongés dans les miens. Puis nous nous remettons à marcher, en silence, chacun perdu dans ses pensées.
Plusieurs minutes se passent, Tom s'arrête de nouveau, jette un regard alentour comme pour vérifier qu'il n'y a personne et me dit :
  • Je... j'ai envie de te raconter ce qui s'est passé.
  • Tom, ne... ne t'oblige pas à faire ça, ce n’est pas parce que j'ai dit que je veux te connaître que tu dois tout me raconter.
  • Mais, je veux le faire, dit-il en se rapprochant de moi.
  • T'en es vraiment certain ?
Pour toute réponse il hoche la tête positivement.
  • Promets-moi seulement que tu ne me regarderas pas différemment après ça !
  • Tom, rien ne changera, je te le promets et puis j'ai comme l'impression que tu n'es pas vraiment coupable dans cette histoire. Je me trompe ?
  • Je ne sais pas, je ne sais plus, tu jugeras quand tu sauras.
  • Je ne suis pas là pour te juger, Tom, jamais !
Quelques secondes de silence se mettent entre nous, puis me tournant le dos, il commence son récit :
- Il a dit que ce serait seulement pour une fois, que ce serait sympa mais, ça ne l'était pas, ça ne l'a jamais été. Sacha aimait regarder, il disait que ça pimenterait notre relation. C'était des conneries ! C'est devenu du grand n'importe quoi quand j'ai accepté de faire ça. Je me souviens de cette nuit, de chacune de ces nuits comme si c'était hier, ce mec est venu passer la soirée chez lui, on a mangé tous les trois et j'ai... fait office de dessert, murmure-t-il en se laissant glisser contre un arbre.
Je reste planté là, scotché sur place par ce que je suis en train de comprendre et m'assure que personne ne s'approche de trop.
  • Sacha observait ce mec en train de me... prendre sans aucune délicatesse et me demandait en plus de lui faire des trucs. Rien que de me souvenir me donne envie de vomir ! Ça n'a jamais été mon trip ces choses-là mais, j'aimais Sacha et je l'ai fait par amour pour lui. Il n'y a pas que les filles qui font des trucs stupides par amour. Ça nous rend tous cons, qu'on soit des génies ou pas. L'amour nous rend tous complètement idiots. J'ai cru que cette nuit ne finirait jamais, ça n'a pourtant pas duré très longtemps mais ça m'a semblé être une éternité. Et, chaque fois que quelqu'un était chez lui quand je venais le rejoindre, ça recommençait, encore et encore. Et chaque fois, il disait que c'était la dernière, jusqu'à la prochaine bien sûr. Il me murmurait des « je t'aime » lorsque les mecs se tiraient et me laissaient enfin tranquille. Sacha ne pensait plus qu'à une chose après ça, faire l'amour avec moi. Alors que moi je ne voulais même plus que quelqu'un mette la main sur moi. Je me sentais mal mais, il ne comprenait rien. Malgré tout, je suis resté, j'ai cru à ses mensonges lorsqu'il me jurait qu'il était seul pour être sûr que je vienne. Alors que cet enfoiré ne l'était jamais... Je suis resté... mais, il y a deux mois, j'ai craqué, ça pouvait plus durer. Cet abruti à eu l'audace de me dire que je ne suis qu'une fillette, parce que c'est normal, que tout le monde fait ce genre de choses. Il m'a dit que je ne l'avais jamais aimé. Après ce que j'ai fait pour lui. Ce mec est une pourriture ! À cause de lui, chacune de mes nuits est un véritable cauchemar !, jette-t-il en se relevant brusquement. Chaque nuit je les revois, je me revois faire toutes ces choses et me trouve immonde. Je me demande si ça va s'arrêter un jour, j'en peux plus, Morgan, je suis fatigué et dormir m'effraie, je...
Comme tout à l'heure sa voix se brise, ses yeux brillent de trop, il fait un pas vers moi, je fais ceux qui nous séparent encore et le serre dans mes bras en murmurant :
  • Je suis désolé, ça va aller.
Il se blottit un peu plus contre moi et pour la première fois, mon cerveau ne refuse pas ce contact. Même si mon cœur est un peu affolé, je veux le consoler, qu'il sache que je suis là pour lui. Comme je le ferais avec n'importe quel ami.
Sa tête posée contre mon cou, il dit tout bas :
  • Pardon, cette journée devait être super et elle se transforme en rendez-vous chez le psy.
  • Ne t'inquiète pas pour ça, parler ça fait du bien et on aura d'autre journée.
Nous restons encore quelques minutes enlacés. Je me rends compte que j'aime qu'il soit dans mes bras. Ça ne me dérangerais pas de rester comme ça encore un moment, mais Tom dit :
  • Il y a encore un endroit que je voudrais te montrer.
  • Bien sûr, dis-je, en retirant mes bras de son corps.
En chemin, histoire de remettre un peu de gaieté sur son visage, je demande :
  • Et sinon t'as commandé quoi au Père Noël ?
Il éclate de rire. J'aime l'entendre rire. Puis répond :
  • Une nouvelle guitare et toi ?
  • Un micro, pour pouvoir m'enregistrer et voir ce que ça donne quand je chante pour de vrai. Comme je ne prends plus de cours de chant, ça me manque un peu !
  • J'ai tellement hâte que tu ais fini d'écrire tes chansons, dit-il tout bas, comme s'il se parlait à lui-même.
Nous continuons de marcher et la nuit commence à tomber doucement, il est 17h30. Quelques minutes supplémentaires et nous nous arrêtons devant un petit jardin d'enfants où il y a quatre balançoires, des toboggans, un tourniquet, enfin tout ce qu'on peut apprécier entre 3 et 12 ans.
En silence, Tom se dirige vers les balançoires et s’assied sur l'une d'elles. Je m'approche doucement et m’installe à ses côtés.
  • Sarah et moi avons passé des heures interminables ici avec la femme qui nous gardait quand on était petits. J'aime venir ici le soir et observer les étoiles.
  • J'connais rien à l’astronomie.
  • Le ciel m'attire depuis toujours sans vraiment que je sache pourquoi ! Tu vois celles qui sont là ? demande-t-il tout en s'agrippant aux chaînes pour rapprocher nos balançoires et en montrant le ciel.
  • Celles qui sont trois alignées, c'est ça ?
  • Ouais. Je ne sais pas pourquoi, tu risques de trouver ça complètement ridicule mais, j'aime ce groupe d'étoiles. Trois c'est un bon chiffre et il se trouve que nous sommes trois. Toi, Sarah et moi.
  • J'aime bien le concept, dis-je en m'appuyant un peu plus contre lui.
Ça fait une heure que nous sommes là, l'un contre l'autre, à regarder les étoiles. Je frissonne, il commence vraiment à faire froid.
  • T'as froid ? On devrait peut-être rentrer ?
  • Non ! Non, pas encore !
Il esquisse un sourire et dit :
  • Alors, lève-toi, ou on va congeler sur ces balançoires !
J’en descends ; Tom me rejoint et me frotte les bras pour me réchauffer ; son regard émeraude se perd dans le mien Doucement, son visage se rapproche et il scelle nos lèvres, m'embrassant réellement pour la toute première fois. Son baiser est plein d'amour et de tendresse, mais j'ai peur, j'suis pas prêt, je ne sais pas. J'y mets fin parce que je ne peux pas en supporter davantage et dit :
  • Non, je peux pas, je sais pas, il faut que... j'sais plus où j'en suis. J'ai jamais rien ressenti pour les mecs avant, et toi tu débarques... enfin c'est plutôt moi qui ai débarqué... mais j'sais pas ce que je veux. Je comprends pas ce qui m'arrive. Ça craint !
  • Qu'est-ce que tu as ressenti ?
  • Et bah... putain, j'en sais rien !
  • D'accord, te fatigue pas alors.
Puis il s'en va, me laissant planté là.
  • Non, mais attends, tu m'embrasses et tu te tires comme ça ?
  • Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? J'aurais pas dû t'embrasser. C'est sans doute la plus mauvaise et la plus stupide idée que j'ai eue depuis que je te connais. Peut-être que...
  • Peut-être que quoi ?
  • Peut-être qu'on aurait jamais dû faire connaissance.
Je reste figé sur place, blessé. J'imaginais pas que ça puisse aller si loin. Je le laisse partir, avant de prendre un autre chemin, bien plus long pour être sûr de ne pas le croiser en rentrant.
Le cœur serré je passe la porte de chez moi, il est 20h30, et ma mère dit :
  • Ah, Morgan, tu arrives juste à temps pour passer à table !
  • Pas faim, murmuré-je depuis l'escalier.
J'ai à peine le temps d'enlever ma veste que ma porte s'ouvre à nouveau.
  • Chéri, ça ne va pas ?
Face à mon silence elle enchaîne :
  • T'as journée s'est mal passée ?
  • Mal passée non, mal terminée oui.
  • Qu'est-ce qui s'est passé ?
  • J'ai pas envie d'en parler, dis-je le cœur lourd, les yeux rivés à la fenêtre, cherchant la maison de Tom du regard.
Comprenant que je n'ajouterai rien de plus, elle demande :
  • Tu ne veux vraiment pas manger ?
  • Non.
  • Tu veux que je te monte quelque chose plus tard ?
  • Non. C'est gentil mais je me débrouillerai. Tu... tu devrais redescendre, papa doit t'attendre.
  • Bien, dit-elle tristement.
Elle s'en va enfin. Je récupère mon portable dans la poche de ma veste, m’assied aux pieds de mon lit et envoie un message à Tom : « qu'est-ce qui vient de se passer ? Et qu'est-ce qui va se passer maintenant ? Qu'est-ce qu'on devient toi et moi ? Plus rien ? » Je le relis plusieurs fois avant de me décider à l'envoyer, espérant obtenir une réponse. Les heures tournent, ses morceaux de guitares s’enchaînent, se répètent indéfiniment et l'écran du portable reste obstinément noir.
Il ne répondra pas.
Sans même m'en rendre compte je sombre dans le sommeil, rêvant de notre journée, désirant lui trouver une autre fin. J'ai un vague souvenir de ma mère retirant mon casque des oreilles et d'avoir entendu mon père dire un truc du genre « ne t'inquiète pas tant ».
Lorsque j'émerge le lendemain, il est 10h30, un coup d'œil par la fenêtre et je remarque qu'il neige. Je saute du lit pour voir la quantité qu'il est tombé, mais à mon grand soulagement, il vient juste de se mettre à neiger. Il faut absolument que je quitte la ville un moment. Il faut que je m'éloigne de Tom.
Après avoir pris une douche et un vague petit déjeuner pour faire plaisir à ma mère, je remonte dans ma chambre pour être seul et ne pas avoir à discuter avec mes parents.
J'attrape ma valise et jette quelques affaires dedans mais, sans grande conviction.
Je me dirige vers la fenêtre, regardant inlassablement le coin de la maison de Tom et Sarah que j'aperçois d'ici. Je sais pas si je ressens réellement quelque chose pour lui, enfin si, il y a une attirance qui grandit, qui se transforme et me fait sérieusement peur. J'ai apprécié l'instant où il était blotti contre moi, mais l'embrasser à été l'expérience la plus troublante que j'ai jamais vécue. Je n'ai pas non plus détesté ça, mais j'en suis encore complètement retourné.
Rien n'est clair et j'aimerais pouvoir en discuter avec lui mais pas tout de suite.
Quelqu'un frappe à ma porte et entre en disant :
  • Bah, ça n’avance pas bien vite ces valises !
Ma mère est là, sûrement en train de s'inquiéter pour son fils triste et égaré. Je ne me retourne pas, elle poursuit :
  • Tu as envie de parler ?
  • Non !
  • Morgan, soupire-t-elle.
  • Ça changera quoi que je te le dise ?
  • Ça peut te faire du bien.
  • C'est partir d'ici qui me fera du bien.
  • Alors, finis ta valise dans ce cas.
  • Ouais, j'ai toute la journée pour ça !, dis-je en m'énervant.
J'ai envie de hurler « foutez-moi la paix ! » mais, je me retiens et me laisse glisser contre le mur lorsqu'elle referme la porte derrière elle. Sans réellement le vouloir, je me mets à improviser une petite mélodie et chantonne ce que je ressens :
« Je ne sais pas quoi faire,
J'ai perdu mes repères,
Redeviens ma lumière.
Ne me laisse pas dans le noir,
Mets fin à ce cauchemar. »

La journée défile tristement sous la neige. La nuit est tombée, il est 18h00, je suis toujours devant la fenêtre, il faut que je réagisse. J'attrape ma veste et dévale l'escalier, je traverse la rue, mais stoppe en arrivant devant chez Tom et Sarah, puis fais demi-tour.
J'entends la voix de Sarah qui demande :
  • Morgan, qu'est-ce que tu fais ?
  • Salut Sarah.
  • Comment tu vas ?
  • J'en sais rien.
  • Tom ne m'a pas dis un mot sur ce qui s'est passé.
  • Je le ferai pas non plus.
  • Et comment je suis censée vous aider, alors ?
  • Je suis perdu, je me sens mal. Je ne sais même pas ce que je fous au milieu de la rue.
  • Tu voulais peut-être parler à Tom ? Il est en colère, mais je suis certaine que ça cache bien plus.
  • Écoute, demain matin je pars en Californie pour les deux semaines, est-ce que tu pourras lui dire que... pfft, en vérité, après ce qu'il m'a dit, je ne pense pas que ce soit à moi de m'excuser, mais on est censés être amis, alors peu importe ce qui a été dit. Je... j'aurais voulu qu'il soit un peu plus compréhensif et qu'il m'explique certaines choses. J'suis complètement largué, j'ai besoin de temps pour y voir clair. Je... m'éloigner un peu d'ici me fera pas de mal, murmuré-je les yeux rivés sur le sol.
  • Je comprends, je lui dirai.
  • Dis-lui aussi qu'il n'a qu'à me faire signe quand il ne sera plus fâché. Parce que de toute évidence c'est après moi qu'il est en colère. Heu... bonnes vacances à tous les deux.
  • À toi aussi.
Je commence à m'en aller lorsqu'elle m'interpelle :
  • Morgan !
  • Hum !
  • Ça va s'arranger, ne t'inquiète pas, ça va aller.
  • Je l'espère.
Dans l'avion, mes pensées sont toutes rivées sur Tom, bien sûr. Les mots qu'il a prononcés tournent encore dans ma tête. Et ses accords de guitares résonnent en boucle dans mes oreilles, pendant que je continue de barbouiller des feuilles avec des phrases, des débuts de chansons. Je veux croire, malgré la tristesse qui m’a envahi, que je pourrais tenir ma promesse et chanter pour lui. Puis je finis par m'endormir, lassé de tout ça. C'est une hôtesse de l'air qui me réveille pour me prévenir que nous sommes arrivés.
Après avoir récupéré mon sac, je me dirige vers la sortie, encore perdu dans mes pensées : je finis quand même par apercevoir ma grand-mère et Sophie qui attendent un peu plus loin. Je farfouille dans ma poche et en sort un joli sourire que je me colle sur le visage.
Sophie court vers moi et me saute dans les bras comme si cela faisait dix ans qu'on s'était pas vu. Elle demande :
  • Alors, comment tu vas, raconte ?
  • Je vais très bien, comme tu le vois ! Bonjour grand-mère.
  • Bonjour Morgan, tu as fais bon voyage ?
  • J'ai dormi pendant un moment, alors ça a été !
Nous commençons à nous diriger vers le parking quand Sophie me demande en français pour éviter que ma grand-mère nous comprenne :
  • Et, avec Tom il y a du nouveau ?
« Oh pitié, il y a pas dix minutes que j'ai atterri et elle commence déjà, je crois que ça va être les quinze plus longs jours de toute ma vie. »
  • Pas maintenant, d'accord !
  • Allez quoi ! T'as l'air tout content, je veux savoir !
  • Ouais, j'ai seulement l'air comme tu viens de le faire remarquer.
  • Ça ne va pas ?
  • Non et je n’ai pas envie d'en parler pour le moment.
  • D'accord, désolée, enfin si tu veux parler, tu sais que je suis là !
  • J'risque pas de l'oublier, dis-je en riant.
Elle rit aussi et me donne un coup de coude amical.
  • Je monte devant, dit-elle en se jetant sur la portière.
  • Tu rêves ? Les bébés vont dans le siège-auto, à l'arrière !
  • Hey ! Je n’ai qu'un an de moins que toi, proteste-t-elle.
  • C'est un an quand même, donc tu montes derrière.
  • T'étais devant à l'aller, laisse-le monter devant ! tranche ma grand-mère.
Je suis vraiment ravie que Sophie n'ai pas insisté pour Tom, je n’ai pas très envie de repenser à tout ça ; enfin, d'en parler parce que ne pas y penser relève quand même du miracle.
Lorsque nous arrivons à la maison je demande :
  • Quelle chambre t'as pris ?
  • La bleue, je t'ai laissé la blanche, je sais que tu adores la vue sur le saule du jardin.
Ma grand-mère sourit et commente :
- Depuis toujours tu adores cet arbre, vous avez presque grandi ensemble, vous êtes un peu comme des frères.
J'ignore d'où me vient cette fascination pour les saules pleureurs mais, c'est vrai que j'ai passé un temps fou à jouer au pied de cet arbre. Je remercie Sophie et monte mes affaires dans la chambre. Ici, chaque chambre à une couleur différente et est pratiquement attribuée à un membre de la famille ou du moins aux enfants.
Le temps passe lentement, je n'ai toujours aucune nouvelle de Tom; j'aurais apprécié qu'il m'envoie au moins un message.
Nous sommes aujourd'hui le 24 décembre, il est 11h00 quand je me réveille. Après avoir pris mon petit déjeuner, je prends mon portable et appelle Sarah pour lui souhaiter un joyeux Noël.
  • Allô !
  • Sarah !
  • Salut Morgan, tu vas bien ?
  • Ça va. Joyeux Noël !
  • Merci, Joyeux Noël à toi aussi !
  • Heu, ouais enfin ici ce sera que demain.
  • Et toi alors, tu ne sais pas encore ce que le papa Noël t'a apporté ?
  • Non, je saurais ça demain !
  • Tu manques beaucoup à Tom, tu sais.
  • Je suis sûr que c'est pas vrai.
  • Bien sûr que si, Morgan. Et, ose me dire qu'il ne te manque pas.
  • Ce serait mentir. Seulement, les mots blessent. Et j'aurais jamais cru que Tom me le prouverait.
  • Je vais encore essayer de lui parler.
  • À bientôt, Sarah !
  • À bientôt.
Je glisse mon portable dans ma poche et descends au salon, où Sophie me demande :
  • Alors, ils vont bien, t'es rassuré ?
  • Ouais ça va !
La journée se passe tranquillement, je pense tout de même beaucoup à lui et le soir venu, lorsqu'on se met à table pour le réveillon, je ne suis pas super motivé, mais je me force à avoir l'air content.
Pendant que nous dînons, nous discutons de choses et d'autres. Ma grand-mère me questionne sur mon nouveau lycée, Sophie se retient de rire pendant que je lui répète ce que je lui ai dit la dernière fois qu'elle m’a posé la question, à savoir ce matin.
Finalement, la soirée se passe plutôt bien et je ne pense presque pas à Tom, oui j'ai bien dit presque pas. J'aimerais vraiment lui parler de ce qui s'est passé entre nous, je voudrais au moins savoir comment être sûr que je suis en train de devenir gay. Je voudrais vraiment en être certain et à part lui je ne vois pas qui pourrait m'aider.
Grand-mère passe la soirée à nous raconter les noëls que nous avons passés ici quand nous étions petits et nous montre des photos sur lesquelles nous portons des fringues épouvantables.
  • Non, mais regarde ça, c'est affreux. Je mettrais même pas ça pour Halloween ! s'exclame Sophie.
  • C'est une fashion-victim, ajouté-je.
Grand-mère rigole, je ne suis même pas sûr qu'elle sache ce que c'est mais tant pis.
Vers 1h30 du matin, elle nous laisse et monte se coucher, je me lève et vais m’asseoir au salon sur le rebord de la cheminée.
Sophie demande :
  • Tu as envie de parler ?
Pour toute réponse je hoche la tête en signe affirmatif.
  • Je crois que... pfft, j'aime plus les filles !
  • Les as-tu aimées un jour ?
  • Je ne sais pas... mais, il s'est passé pas mal de trucs avec...
  • Tom ?
  • Ouais, avec Tom. On s'est vu samedi et... et on s'est embrassé.
  • Morgan !, s'exclame-t-elle en s'asseyant en face de moi sur la table basse. Qu'est-ce que tu as ressenti ?
  • Honnêtement, je crois que c'était le baiser le plus fantastique qu'on m'ait jamais offert, et le plus effrayant aussi, mais...
  • Mais, quoi ?
  • J'ai essayé, maladroitement, de dire à Tom que j'étais pas prêt, que je savais pas si je voulais tenter l'aventure avec lui. Et il m'a sorti qu'il venait de faire une énorme connerie et qu'on aurait jamais dû se parler... Je ne sais pas ce qui s'est passé, je n’ai pas compris. J'ai plus de nouvelle depuis ce jour-là et le pire, c'est que je ne suis même pas sûr d'être gay, ni sûr de l'aimer. Je me rends seulement compte que j'ai besoin de le voir et... que je suis complètement largué.
  • Ça fait un moment que ça a commencé entre Tom et toi, n'est-ce-pas ?
  • Depuis le jour où on s'est rencontré. Pendant des semaines il n'y a eu que quelques caresses volées mais rien que ça me rendait fou. Quand il est allé un peu plus loin, le samedi où vous êtes arrivés, il y avait beaucoup trop de sensations nouvelles, j'avais peur, j'ai toujours peur de ressentir ces choses-là !
  • Pourquoi ?
  • Parce que c'est nouveau. Parce que je ne suis pas prêt. Si jamais je devais être gay je ne sais pas si je pourrais l'assumer. Je... j'voudrais parler à Tom, je ne veux pas affronter ça tout seul.
  • Bah, heu, d'abord ça me pose pas de problème que tu sois gay ou pas, je veux que tu le saches. Et pour ce qui concerne Tom, à part te dire d'essayer encore de lui parler, je peux rien te dire d'autre.
  • Ouais, sauf que je ne vois pas pourquoi ce serait moi qui irais m'excuser. Bon, d'accord, je trouve ça horrible de ne pas entendre le son de sa voix. Mais... je crois qu'il m'en veut parce qu'il pensait sûrement que j'étais prêt alors que c'était pas le cas. Et du coup, il a dû croire que j'étais un enfoiré, et que je le repoussais, comme les autres avant.
  • Les autres ?
  • Il lui est arrivé des trucs pas cool et du coup... il faut que je fasse un pas vers lui, que je trouve les mots pour le rassurer. Lui expliquer que ce n'est pas que je veux pas de lui enfin... qu'il me faut du temps pour comprendre. Mais comment je vais faire ? J'ai jamais été doué pour rassurer les gens !
  • Écoute, je ne comprends pas et je ne veux pas que tu me racontes ce qui lui est arrivé mais, tu peux lui parler de Kimberly.
  • Quoi ? Pourquoi tu me parles d'elle ? Tu sais le temps qu'il m'a fallu pour surmonter cette histoire ?, dis-je presque en criant.
  • Morgan, Morgan, calme toi ! Je ne voulais pas te faire de la peine mais, si tu lui parles de ça...
Je la coupe en criant de nouveau :
  • D'elle, pas de ça. Kim était ma meilleure amie !
  • Je sais Morgan, pardon mais, écoute-moi, si tu lui racontes ce qui est arrivé et ce que tu as fais après pour t'en sortir, il comprendra qu'on a tous nos fantômes et que, malgré tout, on essaye de survivre parce qu'il le faut. Que tu ne veux pas lui faire de mal, seulement l'aider à avancer, je sais que tu peux le faire.
  • Elle me manque tellement.
  • J'imagine oui mais, tu devrais vraiment essayer d'en parler avec Tom.
  • Je ne sais pas si je pourrais le faire et puis, de toute façon, pour le moment, il veut plus me voir.
  • Tom tient beaucoup à toi, crois-moi, je l'ai peut-être pas beaucoup vu, mais c'était flagrant. Il te reparlera, laisse passer les vacances, prends de ses nouvelles et attends.
  • J'aime bien parler avec toi, tu vois quand tu ne forces pas les gens à te parler, ils le font d'eux-mêmes et ça fait du bien !
  • Je suis ravie que tu te sentes mieux mais là, trésor, il est plus de 2h00 du mat' et je suis crevée alors, au dodo !
  • Tu veux que je te lise une histoire ?
  • Non, c'est sympa mais, je veux juste dormir là, alors tu vas rejoindre ton saule pleureur et tu rêves de Tom, d’accord ?
  • D'accord, bonne nuit !
  • Bonne nuit Morgan et ne te torture pas l'esprit avec ça, ça va s'arranger.
Je lui souris pour la remercier et ferme la porte de la chambre pour aller me coucher.
Tous les deux ou trois jours, j'envoie des messages à Sarah pour lui raconter ce qu'on fait ici, toute la neige qui est tombée, enfin que des choses banales qui me servent d'excuses pour prendre des nouvelles de Tom. Elle me les donne sans que j’aie besoin de lui demander, on dirait que la situation l'amuse et en même temps elle reste relativement vague sur les sentiments qu'il a envers moi.
Enfin, tout cela nous amène au 31 décembre et ce soir nous avons quartier libre.
Sophie à décidé d'aller danser, ce qui n'est pas une mauvaise idée en soit mais, ce qui m'inquiète c'est ce qu'elle a dit sur l'endroit où on va. Elle m'a dit « tu verras, c'est un endroit spécial » et je vous promets que l'on peut vraiment s'attendre à tout lorsqu'elle utilise ce mot pour décrire quelque chose.
Je la rejoins dans l'entrée, elle s'exclame :
  • Whao ! Quelle classe !
  • Tu es très beau, Morgan, ajoute ma grand-mère.
  • Bah, merci mais, il n'y a rien de bien différent de d'habitude.
  • Allez on y va, s'impatiente Sophie.
  • Amusez-vous bien, les enfants !
  • Toi aussi grand-mère ! lance-t-on en chœur.
En chemin, trop intrigué, je demande :
  • Sophie, où on va exactement ?
  • Danser !, répond-t-elle en montant dans le taxi.
  • D'accord, mais elle a quoi de spécial cette boîte ?
  • C'est une boite gay, me répond-t-elle en français.
La conversation se poursuit dans cette langue comme à chaque fois qu'on aborde ce sujet.
  • Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée !
  • Pourquoi ? Écoute, passer la soirée dans une boîte gay peut peut-être t'aider à avoir un déclic, à éclaircir ce que tu ressens. À savoir, si tu aimes Tom, les garçons en général ou si tu aimerais bien danser avec la jolie fille qui est dans les bras de sa copine. Et puis si ça ne t’aide pas, on est quand même le 31 et on va faire la fête !
  • D'accord, on va faire la fête et on verra ce qui se passera !
Sur ces mots le taxi s'arrête, je le paye et on descend. Il y a déjà une file d'attente impressionnante :
  • On ne pourra jamais rentré !
  • Nous si, eux probablement pas !
  • Tu m'éclaires, je suis perdu là !
  • J'ai des invitations, le videur est l'un de mes amis.
  • Tu plaisantes ?
  • Non ! Viens !
Elle me traîne jusque devant un type immense ; je vous jure, même moi avec mon mètre quatre-vingts, je me sens petit à côté de lui.
  • Salut Ben !
  • Sophie ? Alors comment tu vas ? C'est lui ton cousin ?
  • Ouais, Morgan je te présente Ben ; Ben, Morgan.
  • Ravi de te connaître.
  • Moi de même, me répond-t-il en souriant.
Il dit quelque chose à l'oreille de Sophie et nous laisse enfin entrer. Nous déposons nos blousons au vestiaire et pénétrons dans la boîte de nuit. La chaleur, la musique et la fumée qui monte de la piste de danse nous enveloppent. Je regarde rapidement les gens qui nous entourent, il y a beaucoup de mecs. J'aimerais que Tom soit là. Il y en a un qui attire mon attention, il ne nous quitte pas des yeux, même lorsqu'on nous emmène vers notre table je sens son regard sur nous.
  • Alors, t'as repéré quelqu'un ? demande Sophie
  • Heu, non, pas vraiment !
  • En tout cas lui il t'a repéré, dit-elle en me montrant d'un signe de tête le garçon qui nous observe.
  • Tu l’as payé combien ?
  • Quoi ?
  • Mais, regarde-le ! Il est blond, doit faire la même taille que Tom et il a l'a même carrure que lui.
  • Et alors, j'y suis pour rien, je le connais pas ce mec !
  • Vraiment ?
  • Oui vraiment !
Le silence tombe, puis elle demande :
  • Tom te manques ?
  • Ouais, soupiré-je, je ne savais pas qu'il était possible que quelqu'un me manque à ce point.
  • Est-ce que tu l'aimes ?
  • Je ne sais pas ! J'en suis pas certain, j'ai... j'ai cette image qui me revient sans cesse devant les yeux...
  • Le moment où vous vous êtes embrassés ?
  • Non, avant, quand je l'ai pris dans mes bras parce que ce qu'il était en train de me raconter le bouleversait. Ce moment était, malgré ça, tellement parfait ! Il n'y avait que lui et moi, je me foutais complètement de ce qui pouvait arriver, que quelqu'un du lycée nous voit où qu'il me dise qu'il m'aime. En vérité, je crois qu'à cet instant, je n'attendais que ça. Nous ne faisions plus qu'un, je le protégeais entre mes bras et il se calmait doucement. Je suis vraiment bien quand je suis avec lui, totalement apaisé de tout ce qui peut me tourmenter, ça n'a jamais été le cas avant. J'ai l'impression d'être dans un autre monde avec lui, perdu dans ses yeux, je ne suis plus sur terre mais, il y a toutes ces incertitudes qui me troublent. J'ai besoin d'être sûr et de retrouver un état d'esprit plus serein avant de retrouver Tom. Si jamais il m'aimait vraiment, je ne voudrais pas lui dire que c’est pareil pour moi et me rendre compte que ce n’est pas le cas un mois plus tard. Lui faire du mal serait pire que de le perdre.
Elle me sourit de façon étrange, je finis mon verre et reporte mon attention sur le mec de tout à l'heure qui a toujours les yeux braqués sur moi.
« Et si je l'invitais à danser ? Ça ne fera pas bizarre, on est dans une boite gay. Comme ça je saurais si j'aime ça ou pas, enfin... Vous me trouvez bizarre, non ? »
Le temps que j'ai perdu à réfléchir lui a permis de venir jusqu'à nous, il se tient debout face à moi. Sophie me sourit, il demande :
  • Une danse, ça te tente ?
Mon cœur s'affole une seconde, puis j'attrape la main qu'il tend vers moi et le suis jusqu'à la piste.
Nos yeux ne se quittent pas. Il pose ses mains sur mes hanches, un frisson me parcourt, c'est comme avec Tom. Pourquoi ont-ils dans leurs gestes autant de douceur, autant de tendresse ? Aucune fille ne m'a jamais touché de cette façon, jamais. Nos corps se rapprochent et s'éloignent au rythme de la musique, nous enchaînons les danses les unes après les autres, sans jamais se quitter des yeux. Il n'a pas les yeux verts de Tom, ni cette façon qu'il a de me regarder, mais j'aime bien. Être là ne me déplaît pas.
Le DJ stoppe la musique et lance un quart d'heure de slows. Les mains de mon partenaire glissent sur ma taille et se posent dans le bas de mon dos, j'en fais de même et colle nos deux corps.
Je pose ma tête sur son épaule et m'imagine dans les bras de Tom.
« Suis-je en train d'avouer quelque chose ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que j'aime être touché par les garçons, que ça me déplaît pas de danser avec eux, ouais enfin, j'aimais aussi danser avec les filles ! Ah ! Je ne sais pas ! Ok stop ! On arrête les prises de tête et on profite de l'instant présent. »
Les slows s’enchaînent durant les 15 minutes réglementaires, je suis bien contre son corps, même si ce n’est pas celui de Tom.
« C'est dingue ça, je danse avec un mec et je n’arrête pas de penser à Tom ! Je suis amoureux ? Aucune idée, mais, heureusement, que lui n'entend pas mes pensées. »
À la fin du dernier morceau, nous restons enlacés encore un moment, face à face, les yeux dans les yeux. Lentement son visage se rapproche, je l'arrête :
  • Non, j'ai quelqu'un ! C'est OK pour danser, mais pas plus !
  • D'accord, désolé !
Il me lâche, me remercie d'avoir dansé avec lui et s'en va. Je rejoins notre table, Sophie arrive en même temps et demande :
  • Pourquoi tu ne l’as pas embrassé ?
  • Quoi ?
  • Je discutais avec un mec au bar, je vous ai vus.
  • Hum.
  • Et donc, tu l'as pas embrassé parce que...
  • Parce que j'ai embrassé, Tom !
  • Et... alors ?
  • Et alors ? Il est possible que ce baiser ait autant d’importance pour lui que pour moi. Alors, s’il m’aime un peu, et qu’il se passe quelque chose entre nous, je ne voudrais pas tout foutre en l’air parce que j'aurais embrassé un type dont je ne connais même pas le nom !
  • Tu veux qu'il se passe quelque chose entre Tom et toi, donc ?, demande-t-elle en souriant comme si elle connaissait déjà la réponse
  • Et bah... oui... apparemment...
  • Fais pas cette tête, tu le savais depuis le début, tu te le cachais simplement. Il a fallu qu'on vienne ici pour que tu ouvres enfin les yeux sur tes sentiments !
  • Je suis officiellement gay, c'est ça ?
  • Pourquoi t'as l'air aussi perdu ?
  • Bah, ce n’est pas un truc que j'imaginais m'avouer un jour... je suis gay...
  • Hey, ce n’est pas un drame !
  • Non, ce n’est pas un drame, bien sûr que non, mais... si Tom ne veut pas de moi ? Et comment je vais le dire à mes parents ? Et surtout à Tom ?
  • Hé relax, Morgan ! Personne ne te demande d'en informer la planète entière dans la seconde. Et en ce qui concerne Tom, tu ne devrais pas douter de lui, ce mec est dingue de toi !
Tout le monde se met à crier autour de nous, nous venons de changer d'année. Et elle promet d'être pleine de surprises et de nouveautés.
Sophie et moi nous embrassons et mon danseur nous rejoint, me souhaite tous ses vœux et ajoute :
  • Ton copain à beaucoup de chance.
Et il repart en souriant.
Mon copain, de toute évidence j'aimerais qu'il le devienne mais, pour le moment je ne sais pas ce qu'on est l'un pour l'autre. Je vais l'appeler.
  • Allô !
  • Ah, Sarah ! Heu... ça va ?
  • Ouais et toi ?
  • Ça va ! J'appelais pour vous souhaiter une bonne année ! Désolé de le faire que maintenant mais, ici on vient juste de changer d'année.
  • C'est pas grave, bonne année à toi aussi et à ta cousine.
  • Dis-moi, Tom est là ?
  • Heu... Morgan... il...
  • Quoi ?
  • Il dort !
  • Il dort ?
  • Bah heu... il... il est encore tôt ici, tu sais !
  • Dis-moi la vérité Sarah, il dort vraiment ou il ne veut juste pas me parler ?
  • Morgan...
  • Non, je t'en prie, ne dis rien. Souhaite-lui seulement une bonne année et j'espère qu'elle le sera. À bientôt.
  • À bientôt, Morgan, dit-elle un peu tristement.
Je range mon téléphone, mon regard se perd dans la foule, Sophie, inquiète demande :
  • Hey, ça ne va pas ?
  • Il ne veut toujours pas me parler !
  • Laisse-lui du temps, Morgan !
  • Mais, ça va faire deux semaines !
  • Attends encore un peu, soit patient, ça va s'arranger.
  • J'espère vraiment que t'as raison.
À cet instant, je me rends compte à quel point je tiens à lui. Il est devenu en deux mois le centre de ma vie. De là à dire que je suis amoureux, je ne sais pas encore, ce n’est pas clair en moi. Et cette situation n'arrange rien, j'ai besoin de lui parler, besoin de savoir si j'ai autant d'importance pour lui, qu'il en a pour moi. Les gens autour de nous semblent le croire mais, j'aimerais l'entendre de sa bouche. Je me sens pas bien, j'ai envie de rentrer mais, Sophie me devance en disant :
  • On rentre, je suis fatiguée !
Je sais bien que ce n'est pas vrai, qu'elle a seulement remarqué que je n'avais plus le cœur à faire la fête. Nous récupérons nos blousons et sortons, son ami Ben nous appelle un taxi et discute avec elle jusqu'à ce qu'il arrive.
Lorsque nous rentrons à la maison, des rires s'élèvent du salon, grand-mère est encore avec ses amis.
  • Je vais me coucher, marmonné-je.
  • Bien sûr, bonne nuit, dit gentiment Sophie.
Je jette ma veste sur la chaise et me laisse tomber sur le lit. Je suis perdu. Jamais je ne me suis senti aussi mal quand je sortais avec une fille. Là je ne sors même pas avec Tom et je suis dans un état lamentable.
Il y a ce truc qui brûle si fort au fond de moi, qui est si doux quand je suis avec lui. J'aimerais au moins entendre sa voix, m'assurer qu’il ne va pas trop mal. Si seulement il voulait me parler, même si on ne devient jamais amant, je refuse de le perdre en tant qu'ami. Même si pour ça, il faut que je tire un trait sur ce qui est en train de naître en moi, et qui m'effraie toujours un peu, je le ferais, si ça peut l'apaiser. Je ferais n'importe quoi, sauf être loin de lui.
Nous sommes vendredi, enfin, les vacances sont pratiquement finies, je suis dans l'avion qui me ramène auprès de Tom, du moins je l'espère. Il est 20h00 lorsque nous atterrissons. Mes parents m'attendent à la sortie de l'aéroport, ma mère a les yeux qui brillent, j'vais encore avoir droit au câlin qui dure trois heures et aux « comment tu vas mon poussin ? Tu t'es bien amusé ? T'as pas fait de bêtise chez ta grand-mère ? » Genre, j'ai encore cinq ans ! Oh les parents ! En plus ma grand-mère les a appelés juste après m'avoir tenu la main jusqu'à la porte d'embarquement pour être sûre que je ne me perde pas ! Non, je vous assure, j'adore ma famille ! Les apparences sont trompeuses !
Lorsque nous arrivons dans notre rue, mon regard se tourne vers la maison de Tom et je l'aperçois derrière une fenêtre au premier étage.
Mon cœur se met à battre incroyablement vite et je ne peux empêcher mes lèvres de s'étirer en un immense sourire. Je cours jusque dans ma chambre, me place devant la fenêtre et sors mon portable pour envoyer un message à Tom, mais mon téléphone vibre avant que j'ai eu le temps de faire quoi que ce soit.
Sur l'écran s'affiche : « nouveau message de Sarah » mon sourire commence à s'effacer puis je lis : « Coucou, Tom vient de te voir passer, ravi de savoir que tu es de retour. On ne pourra pas se voir demain, nos parents sont là mais, on se voit lundi, bon dimanche. T et S. » Je renvois tout de suite un message pour dire que j'ai hâte de les retrouver et défais ma valise en écoutant en boucle le CD qu'il m'a offert.
Voilà, il est 2h00 du mat’ et nous sommes dimanche soir ou plutôt lundi matin carrément trop tôt. Je suis à la fois ultra excité et super inquiet à l'idée de retrouver Tom. Je voudrais lui dire que je suis officiellement gay et très probablement amoureux de lui mais, j'ai aussi terriblement peur. Peur qu'il ne veuille pas me parler, peur qu'il me dise qu'en vérité il préfère qu'on soit juste des amis. Parce qu'après tout ça, ça risque d'être dur à encaisser. Je veux qu'il me dise ce qu'on est l'un pour l'autre.
À mon grand soulagement, le réveil sonne. Je saute immédiatement du lit et plonge sous la douche puis dévale l'escalier jusqu'à la cuisine pour prendre mon petit déjeuner.
  • Morgan, qu'est-ce qui t'arrive ? s'étonne ma mère qui me voit aussi excité qu'une pile électrique.
  • Rien, je suis content !
  • De retourner à l'école ?
  • Non, de retrouver mes amis !
Je remonte en courant et dix minutes plus tard, attrape ma veste et mon sac quand mon portable sonne, c'est un message de Sarah, je l'ouvre : « Coucou, ne passe pas nous chercher aujourd'hui, Tom est malade, je reste avec lui, tu peux passer après les cours si tu veux, bisous ».
Ma bonne humeur s'évapore comme un souffle de vent dans les arbres, je range mon portable et descends jusqu'au garage.
Assis derrière le volant, je me dis : « Je veux voir Tom, maintenant ! »
Je me gare devant chez eux, sonne et attends.
  • Morgan, t'as pas eu mon message ?
  • Si, mais... je peux voir Tom ?
  • Heu, oui, enfin, il dort mais... viens !
Elle me conduit à l'étage, jusqu'à la chambre de son frère. Elle me fait entrer, je m'approche du lit où il est endormi, m'assieds à ses côtés et demande :
  • Ça fait combien de temps qu'il est comme ça ?
  • Ce week-end il avait l'air fatigué et ne sentait pas bien mais, maman a dit que c'était qu'un prétexte pour ne pas retourner en cours. Il faisait ça souvent il y a quelques mois. Sauf que là, quelque chose clochait vraiment et ce matin quand je suis venue le réveiller je l'ai trouvée recroquevillé dans son lit, tremblant et brûlant de fièvre.
  • T'as appelé un médecin ?
  • J'ai essayée, aucun médecin de garde n'est disponible et notre médecin de famille n'ouvre pas son cabinet avant 9h00.
  • Génial ! Les médecins ils ne sont jamais là quand on a besoin d'eux ! Je peux rester jusqu'à ce qu'il vienne ?
  • Tu vas être en retard en cours, Morgan !
  • Je me fous complètement des cours, Tom est beaucoup plus important ! S'il te plaît, je peux rester ?
  • D'accord, je vais encore essayer d'appeler le médecin, je te le confie.
  • Je veille sur lui.
Elle sort de la chambre, je caresse doucement la joue de Tom, son visage est brûlant. Je récupère la serviette humide posée dans une bassine sur la table de nuit et l'applique délicatement sur son visage. Il remue légèrement, je prends sa main et murmure :
  • Tom, je suis là, on va s'occuper de toi.
Je dépose un baiser sur son front tout en sentant la présence de Sarah derrière moi. À mon grand soulagement, elle ne dit rien, attend que je me redresse pour s'approcher de moi et dire :
  • Le médecin est en route, une chance qu'il ait décidé de venir à son cabinet plus tôt ce matin.
  • Ouais !
Le médecin arrive une quinzaine de minutes plus tard. Sarah revient dans la chambre avec lui, je m’éloigne du lit pour lui laisser la place.
Après examen et quelques questions à Sarah, le diagnostic tombe.
  • Il a attrapé la grippe ! Rien de grave, je vais vous faire une ordonnance pour un traitement. Il faudra qu'il le commence rapidement, il faut faire baisser cette fièvre, alors n'hésitez pas à le réveiller.
  • D'accord, on va s'occuper de ça, répond-t-elle.
  • Vos parents ne sont pas là ?
  • Non, comme toujours !
  • Je vous fais un mot pour l'école, alors ?
  • Oui, merci ! Tu pourras le déposer au secrétariat en y allant ? me demande-t-elle ensuite.
  • Bien sûr !
  • Je ne crois pas vous avoir déjà vu ici, me dit le médecin.
  • Non, je suis arrivé en ville il y a deux mois à peine.
  • D'accord, prenez soin de lui.
  • Oui, monsieur.
Il donne l'ordonnance à Sarah et s'en va. Je retourne m’asseoir près de Tom et lui dis :
  • Tu l'as fait exprès, pas vrai ?
  • T'as tout compris, dit Sarah de nouveau derrière moi.
Je me tourne et lui dis :
  • Je plaisante, je sais bien qu'il n'a pas fait exprès d'être malade juste au moment ou je veux lui dire un truc important. J'espère qu'il guérira vite.
  • Ne t'en fais pas pour lui, il en a déjà vu d'autre. Tu devrais peut-être aller en cours, t'as presque une heure de retard.
« Je ne veux pas m'en aller ! Je ne veux pas le laisser comme ça ! » Ses doigts se serrent doucement sur ma main comme s'il nous entendait, puis Sarah dit :
  • Tu peux revenir après les cours, y a pas de problème.
La main de Tom quitte la mienne, sûrement rassuré, alors je me lève et dis à sa sœur :
  • À tout à l'heure, prend soin de lui.
  • Compte sur moi !
Je me sens bien seul dans ma voiture, c'est si calme ce matin. Mon cœur n'a pas quitté Tom, lorsque je rentre dans le gymnase, seul, pour la seconde fois en deux mois. La première fois, j'y avais retrouvé Tom, et rencontré Sarah mais, aujourd'hui ils ne sont pas là et tout me semble bien triste.
C'est Jessie qui m'accueille, me faisant sursauter en criant :
  • Bonne année, Morgan !
  • Bonne année à toi aussi !
  • Sarah et Tom ne sont pas avec toi ?
  • Non !
Je n'ai pas envie d'en dire davantage et Jessie a cette particularité que possède trop peu de personne, de ne pas poser de questions lorsque la personne n'a pas envie de parler.
Je la retrouve à la sortie du gymnase à midi, elle demande :
  • On mange ensemble ?
  • Heu, ouais.
C'est la première fois que je vais manger au lycée un lundi, pas cool !
Nous nous asseyons à une table isolée après avoir récupéré nos repas et discutons de ce que nous avons fait pendant les vacances.
John et sa bande de crétins passe à coté de nous et il me balance :
  • Bah alors, Morgan, t'arrive pas à te décider, les filles ou les garçons ? Peut-être que t'es bi ?
Je lui mettrais bien mon poing dans la figure mais ce serait lui donner ce qu'il cherche et ça je le ferai jamais.
  • Ce mec est vraiment lourd, me dit Jessie compatissante.
  • Non ! Il est con ! D'abord parce qu'il croit toutes les conneries que les gens racontent sur Tom et qu'en plus il est homophobe !
  • Tu sais, j'ai jamais cru un mot de ce que les autres disent sur Tom. Il n’est pas comme ça ! Bon, c'est vrai je le connais pas mais, je suis sûre qu'il ferait jamais de mal à personne. Et puis... tu gardes ça pour toi mais, avant j'étais dingue de lui, jusqu'à ce que je comprenne que je n’étais pas son type, dit-elle en riant.
Je souris, au moins quelqu'un qui a les pieds sur terre.
  • Pourquoi tu traînes avec ces gens ?
  • Je n’ai pas vraiment le choix en réalité, ce serait trop long à t'expliquer mais, ce n'est pas un hasard que je sois dans un lycée privé et bien protégé. Et à cause de ça, mon frère aîné a donné comme ordre à John de veiller sur moi pour qu'il ne m'arrive rien. Tu vois, c'est pratique ! Il fait partie de l'équipe de basket et moi je suis pom-pom girl, ainsi il peut veiller sur moi tout le temps.
  • J'ai vraiment de la chance d'être fils unique !
Nous rions tous les deux, cette fille est vraiment géniale. Le fait de discuter avec elle me permet d'atténuer un peu le vide que crée l'absence de Tom et de Sarah.
Nous sommes en cours et je trouve le temps affreusement long. Je regarde l'heure toutes les cinq minutes, ce qui n'arrange rien. 15h00 sonnent enfin. Jessie et moi nous séparons au portail du lycée et je saute dans ma voiture pour aller retrouver Tom. Sarah m'ouvre et me dit :
  • Il vient juste de se rendormir.
  • Ah oui ! Comment il va ?
  • Bah, la fièvre a l'air d'avoir baissé un peu mais, il faut attendre que les médicaments agissent.
  • Ouais, bien sûr.
Nous montons le rejoindre et comme ce matin, je retire ma veste avant de m'asseoir à coté de lui, en demandant :
  • Tu as quand même prévenu vos parents ?
  • Ouais, maman va essayer de rentrer demain soir.
  • Ok et de toute façon si il y a quoi que ce soit tu viens me chercher, même au milieu de la nuit, Sarah !
  • D'accord, mais, ne t'inquiète pas, on a l'habitude de traverser ce genre de choses ensemble.
On sonne à la porte.
  • Oh, heu ça doit être Vanessa, on doit faire un exposé, je te le confie quelques heures ?
  • Bien sûr, va travailler.
  • On sera dans le salon.
  • D'acc !
La seconde d'après, je me retrouve enfin seul avec Tom, qui a l'air de dormir profondément ; je prends sa main et murmure :
  • Dors, petit ange, je veille sur toi.
Je reste là des heures, sa main dans la mienne, mon regard tendrement posé sur son visage. Il finit par se réveiller partiellement, entrouvre les yeux difficilement comme si ses paupières pesaient des tonnes.
  • Hey, bonjour, murmuré-je.
  • Morgan... souffle-t-il.
  • Ouais, je suis là ! Sarah est en bas, tu veux que j'aille la chercher ?
  • Reste... reste avec... moi, dit-il en tentant de serrer ma main.
  • D'accord, je reste là, je reste avec toi.
Je passe tendrement mon autre main sur sa joue pendant qu'il referme ses yeux et se rendort paisiblement. Puis je reprends l'écriture d'une nouvelle chanson qui parle de lui, de nous.
Je suis resté auprès de lui jusqu'à 19h00. Ma mère m'appelle, totalement affolée de ne pas me voir à la maison, j’avais oublié de la prévenir, je n’ai pas vu le temps passer. J'ai passé toute l'après-midi à chercher une façon de dire à Tom que je suis gay et sûrement amoureux de lui. En fait, il se pourrait que je sois effectivement amoureux mais je n'en suis pas encore certain ; c'est la première fois que ça m'arrive. De toutes façons, aucune solution ne m'empêche d'avoir peur de sa réaction.
En sortant de cours, mardi à 17h00, mon trajet de retour s'arrête de nouveau chez Tom. Sarah me fait entrer et me conduit jusqu'à lui. Pour une fois, il est éveillé, enfin à peu près, il lutte un peu pour garder les yeux ouverts.
  • Hey, bienvenue dans le monde des vivants !
  • Salut Morgan, répond-t-il tout bas.
Je m’assois à coté de lui et demande :
  • Comment tu te sens ?
  • Et bah, j'ai l'impression d'être passé sous un rouleau compresseur mais à part ça, tout va bien, dit-il en essayant de rire.
J'esquisse un sourire et il se laisse glisser sous la couette, s'allongeant entièrement dans son lit et un peu contre moi.
  • J'ai pratiquement fini d'écrire les chansons, il ne m'en reste plus que deux à faire.
  • Cool, murmure-t-il.
Ses yeux se ferment, il semble chercher ma main, j'attrape la sienne et il soupire avant de rejoindre à nouveau le pays des rêves. Je reste là sans bouger, veillant sur son sommeil, regrettant un peu qu’on n’ait pas pu parler plus longtemps. À 19h15, je m'efforce de lâcher sa main pour rentrer chez moi, mon geste est accompagné d'un gémissement de mécontentement de sa part, alors je murmure :
  • Je reviendrai demain, repose toi.
Sarah, déjà en bas me dit en souriant :
  • À demain !
  • À demain, Sarah !
J'ai l'impression que chaque heure est une journée entière, c'est épouvantable ! J'arrive pas à me concentrer sur les cours, je n'ai qu'une envie : être auprès de Tom.
Lorsque midi sonne enfin, Jessie et moi nous précipitons au self pour pouvoir manger rapidement, puis vers 13h00, nos chemins se séparent, je vais enfin pouvoir le voir.
Lorsque j'arrive, une voiture est garée dans l'allée, je sonne et attends. Une grande femme blonde m'ouvre, sûrement leur mère.
  • Bonjour, me dit-elle.
  • Bonjour, Madame, je viens voir Tom.
  • Je suis désolé mais il est malade et doit se reposer.
  • Je sais, mais... je suis un ami de Tom et Sarah... et...
  • C'est bien mais, ça ne change rien.
Sarah arrive à mon secours et dit :
  • Maman, c'est, Morgan, laisse-le entrer !
  • Ah, c'est lui dont tu nous as parlé ?
  • Oui ! Entre Morgan !
  • Merci. Ça va ?
  • Oui ! monte, tu connais le chemin.
Je commence à monter quand j'entends madame Mendel lui dire :
  • Tu aurais dû me dire qu'il devait venir cet après-midi, il a dû croire que je ne voulais pas qu'il voit ton frère.
  • Maman, ce n’est pas la fin du monde, il ne va pas en faire un drame, alors toi non plus !
Apparemment il n'y a pas que ma mère qui fasse des drames de pas grand chose. En même temps il est vrai que j'aurais quand même pu me présenter, ma mère ne serait pas contente si elle savait ça, et dirait sûrement « ce n'est pas comme cela que je t'ai élevé ! »
Lorsque j'entre dans la chambre de Tom, il est agité, il doit probablement faire un cauchemar. Je jette ma veste sur la chaise et m’assieds près de lui pour tenter de le calmer en caressant son visage.
Je l'entends murmurer :
  • Arrête, laisse moi, j'veux pas faire ça... laisse-moi tranquille...
  • Tom, calme-toi.
Ça ne sert à rien, il ne fait que s'agiter davantage. Soudain il ouvre les yeux, me regarde effrayé comme s'il ne me reconnaissait pas et crie :
  • Non, laisse-moi ! Va-t’en ! J'veux pas ! Laisse-moi !
  • Tom, c'est moi, c'est Morgan, tout va bien, calme-toi !
Mais, rien y fait, il semble vraiment terrifié et répète :
  • Laisse-moi ! J'veux pas ! Arrête !
Sarah débarque dans la chambre comme une tornade et crie :
  • Pousse-toi !
Je me retrouve éjecté sans rien comprendre, elle prend ma place et serre Tom dans ses bras, répétant inlassablement :
  • Calme toi, Tom, t'es à la maison, tout va bien, tout va bien.
Il met tout de même plusieurs minutes à se calmer. Sarah continue de le bercer comme un enfant. Et je reste là, à les regarder, me demandant où est censé être ma place ici. Ils ne semblent avoir besoin de personne d'autre qu'eux, ils sont là, l'un pour l'autre et ne demandent rien à personne. Ils seraient nés jumeaux qu'ils ne pourraient pas être plus proches. Pour la deuxième fois de ma vie, je me sens complètement inutile et je n'aime pas ça du tout. Je commence à sortir de la pièce, seulement pour changer d'air une seconde, mais Tom appelle :
  • Morgan, t'en va pas.
  • Bouge pas, je vais le chercher.
Sarah me rejoint dans le couloir et doucement demande :
  • Je peux savoir où tu as l'intention d'aller ?
  • J'allais pas partir, je me sentais juste... de trop.
  • Pardon de t'avoir viré comme ça ! Je n’ai pas l'habitude de voir quelqu'un près de lui... Ça fait tellement longtemps qu'on a appris à veiller l'un sur l'autre, qu'il n'y a que nous deux et le monde autour, alors je... enfin désolée.
  • Un jour vous me laisserez en faire partie de votre monde ?
  • Bien sûr, on ne demande que ça, il nous faut juste un petit temps d'adaptation.
Une seconde de silence s'impose entre nous puis elle dit :
  • Tu devrais aller rejoindre Tom.
  • Bien sûr.
Lorsque nous rentrons dans la chambre, il me regarde les yeux brillants et murmure :
  • Morgan, je suis désolé... je ne voulais pas... te crier dessus, mais...
  • Hey, hey ce n’est pas grave, dis-je en m'asseyant de nouveau près de lui.
À ma grande surprise il se jette dans mes bras et répète :
  • Pardon, j'ai eu peur, je ne veux pas que tu t'en ailles.
Je le serre contre moi, il cale sa tête contre mon cou, comme un enfant terrorisé qui voudrait qu'on le rassure. Je suis si bien là, c'est incroyable comme truc. Quel bonheur que de l'avoir dans mes bras, j'aimerais qu'il reste là toujours, protégé contre moi.
Sarah rit et vient caresser les cheveux en pagaille de son frère en disant :
  • Je vous laisse, j'ai des devoirs à faire.
Quelques secondes plus tard, il se détache de moi, s’appuie contre ses oreillers et nous restons là à nous regarder dans un silence complet. Il n'y a que le bruit lointain de nos deux cœurs battant la chamade qui résonnent dans nos oreilles.
Le lendemain nous répétons le même scénario. Nous restons face à face sans rien se dire, les yeux dans les yeux et nos mains tendrement attachées sur le rebord du lit. C'est toujours la sienne qui vient doucement chercher la mienne, que je lui donne avec plaisir. J'ai beau chercher une explication à ce besoin mais, la seule qui me vienne est qu'il m'aime et que c'est une façon de me le faire comprendre. N'étant sûr de rien, je ne pose pas de question. Même si j'aimerais lui expliquer ma « découverte » des vacances et puis qu'on parle de nous, savoir ce qu'on fait, qui on est. Mais, je ne veux pour rien au monde faire exploser cette bulle si particulière qui nous unit et semble nous protéger des désagréments du monde extérieur. Nous sommes le vendredi 8 janvier, je me suis décidé à parler à Tom aujourd'hui, à lui dire tout, tout ce que je garde depuis ce baiser qu'on a partagé.
La sonnerie retentit. Mon cœur fait un bon monumental dans ma poitrine, je souhaite un bon week-end à Jessie, puis me sauve en courant.
Comme tous les jours de la semaine, je me gare devant chez moi et cours jusqu'à la maison de Tom et Sarah, leur mère m'ouvre et me dit :
  • Bonjour, Morgan, tu connais le chemin.
  • Oui, merci madame.
Je monte l'escalier, aujourd'hui la porte de la chambre est fermée et une douce musique s'en échappe. Je m'arrête pour l'écouter, Sarah me surprend, puis en riant demande :
  • Tu écoutes aux portes, maintenant ?
  • Ouais, j'écoute ce qu'il joue, c'est magnifique !
Elle sourit puis ajoute :
  • Vas lui dire !
  • Encore une minute !
Elle rit tout en descendant. Je me décide enfin à frapper, attends qu'il m'autorise à entrer et pousse la porte.
  • Salut, dit-il sans s'arrêter de jouer.
  • Salut ! Ça va mieux on dirait ?
  • Ça va.
Je m’assieds sur son lit, il continue de jouer mais, en plongeant ses magnifiques émeraudes dans mes yeux. Quelques minutes se passent avant qu’il demande :
  • Tu aimes ?
  • Beaucoup !
  • J'aimerais redonner des concerts.
  • Fais-le ! Refonde un groupe.
  • J'ai plus confiance.
  • Il faut réapprendre.
Il soupire et détourne le regard, se replongeant dans ses accords. Le silence de nos voix s'installe, seule sa musique meuble le vide qui vient de se créer. Cette douce mélodie mélancolique me rend triste et j'en oublie ma décision, ce qui tombe bien parce ce n’est pas du tout le moment.
Une heure plus tard, fatigué, il s'arrête de jouer et pose sa guitare près de lui. Son regard me fixe à nouveau, puis sa main glisse lentement jusqu'à la mienne.
J'ouvre la bouche pour lui parler mais me ravise. « Et si ça gâchait tout ? Je suis bien là, pourquoi vouloir briser la douceur de cet instant ? Parce que je veux qu'il sache et que j'ai besoin de savoir à quoi m'en tenir ! Mais, j'ai tellement peur, je ne veux pas le perdre ! Bon ça suffit, j'ai déjà eu cette conversation avec moi-même hier soir. Il faut qu'on parle ! »
Je me décide donc à briser ce silence qui nous unit :
  • Tom, il faut qu'on parle.
Il retire sa main de dans la mienne assez rapidement, détourne le regard et son corps est parcouru de frisson. « Ça commence mal ! » Il remonte la couette sur lui et en regardant derrière moi répond :
  • Il n'y a rien à dire !
Son ton est froid mais rempli de doute, il ne croit pas une seule seconde à ce qu'il dit.
  • Je veux seulement savoir si... ce qui est arrivé l'autre jour, au parc et avant, a de l'importance pour toi, parce que je...
Il ne me laisse pas finir et dit :
  • Non ! C'était qu'un jeu, oublie ça !
  • Quoi ? Non ! Ce n’est pas vrai ! Je comprendrais si...
Encore une fois il me coupe :
  • Il n'y a rien à comprendre ! Oublie ça ! Trouve-toi une fille et oublie-moi !
  • J'en ai pas l'intention. Explique moi ce qui se passe, je croyais que...
Il m’interrompt de nouveau :
  • Je te dis qu’il n’y a rien à comprendre ! C'était un jeu, une simple façon de penser à autre chose !
  • C'est des conneries !
Son attitude me blesse. Je me force à ne rien laisser paraître mais il s'entête dans ses mensonges, ça me fait mal, je ne comprends pas pourquoi il fait ça.
  • Non, c'est la vérité ! Trouve-toi une fille et oublie ça !
  • Arrêtes de répéter ça, tu ne comprends pas que les filles ne m'intéressent pas !
Pour la première fois il me regarde en face, surpris, puis refixe le mur derrière moi en disant :
  • Fais-le !
  • Non !
  • Il le faut !
  • Pourquoi ?
  • Parce que. Va-t’en !
  • Tom... soufflé-je, regarde-moi en face et jure-moi que tu ne m'aimes pas !
  • Non ! va-t’en !, crie-t-il.
Sarah arrive dans la chambre, se place aux cotés de son frère et demande :
  • Qu'est-ce qui se passe ?
  • Fais le partir, s'il te plaît, murmure-t-il en se laissant glisser dans son lit.
  • Tu... devrais t'en aller, me dit-elle un peu perdue.
Je récupère ma veste et commence à sortir, puis m'arrête dans l'encadrement de la porte, me retourne vers Tom pour lui dire :
  • Tu mens très mal.
Puis je sors, descendant l'escalier le cœur lourd. Sarah me rejoint juste avant que je ne passe la porte, elle demande :
  • Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Heu... tu ferais mieux de lui poser la question. J'ai dû rater un truc, je croyais qu'il attendait que je cède mais, apparemment je me suis planté. Je suis stupide. Bon week-end.
Je sors rapidement, elle appelle tristement :
  • Morgan !
Je ne me retourne pas, je ne veux pas qu'elle voit les larmes qui coulent sur mon visage. Cette fois, j'en suis sûr, je suis amoureux de lui. C'est un peu tard pour les certitudes me direz-vous, mais il paraît qu'on ne connaît la profondeur de l'amour qu'à l'instant de la perte. Cette phrase n'a jamais été aussi vraie. Je rentre chez moi, monte directement m'enfermer dans ma chambre, je veux être seul.

3


Tom
Sarah revient dans ma chambre pendant que je regarde Morgan traverser la rue.
  • Pourquoi t'as fais ça, Tom ?
Je reste silencieux, pour changer !
  • Regarde-moi, Tom !
Je me tourne vers elle, de lourdes larmes inondent mon visage.
  • Pourquoi tu l'as jeté comme ça ? Il est amoureux de toi !
  • Non, il ne m'aime pas... il en a l'impression... mais ce n'est pas vrai.
  • Tu crois vraiment ce que tu dis, là ? Tu crois qu'il aurait passé autant de temps à veiller sur toi s’il ne t’aimait pas ?
  • Les amis font ça.
  • Bien sûr, mais, dis-moi combien d'entre eux t'ont embrassé ?
  • Quoi ?
  • Ouais, lundi matin quand il était là, je suis descendu pour appeler le médecin et en remontant, je l'ai trouvé penché sur toi. Alors d'accord, il t'a juste embrassé sur le front, mais quels amis font ça, hein ? Ah oui et puis il y a aussi le, « dors petit ange, je veille sur toi » que j'ai surpris. Les amis disent ce genre de choses ?
  • Je ne sais pas, dis-je en me laissant tomber sur mon lit totalement perdu.
  • Les amis non, mais les amants si !
  • Non, soufflé-je entêté.
  • C'est ce que tu voulais, non ?
  • Je voulais qu'il m'aime, oui, mais pas qu'il y soit forcé. Je ne voulais pas lui faire de mal et c'est pourtant tout ce que j'ai réussi à faire. Je fais exactement la même chose que ces tarés ont fait avec moi.
Je me laisse aller dans ses bras, submergé par mes souvenirs.
  • Dis pas n'importe quoi ! T'es pas comme eux ! D’accord, ça n'a rien à voir, tu ne peux pas continuer de relier les deux choses constamment. Tu dois choisir, Tom, dit-elle en me berçant doucement.
  • Je ne peux pas faire ça, je... je l'aime, mais... j'ai... peur... de lui faire du mal encore... je préfère qu'il s'éloigne de moi...
  • Tu te rends compte qu'en prenant cette décision vous allez souffrir tous les deux pour rien ?
Il se consolera dans les bras d'une fille.
  • Si tu continues de dire des conneries, je te laisse tout seul !
  • Non, je t'en prie, me laisse pas
     
    4
Cette fois c'est officiel, je viens de me faire éjecter en beauté de leur petit monde. Après avoir passé plusieurs semaines dans l'entrée, la porte claque sur mon cœur avec une brutalité sans égale. Ça ne m’était encore jamais arrivé de me rendre compte que je suis amoureux et de me faire jeter dans la même seconde.
C'est vrai que je n’ai jamais été amoureux avant mais, Tom m'aura tout fait connaître. Avec lui, je fais des découvertes incroyables, mais la seule chose qu'il refuse de me faire découvrir, c'est ce que c'est qu’être aimé d'un garçon. Je voudrais tant pouvoir lui dire que je l'aime mais, c'est trop tard ! Il vient de me jeter et très probablement de me rayer de sa vie.
Le week-end passe vite, beaucoup trop vite. J'évite mes parents au maximum pour ne pas me retrouver confronter à la seule question que je redoute par dessus tout : « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Je crois que je serais incapable d’y répondre. Non pas que je n’ai pas compris ce qu'a dit Tom, mais ce serait faire trop d'aveux en même temps et je ne tiendrais pas le choc là, je ne suis pas en état.
Nous sommes dimanche soir, il est 21h00, je suis assis par terre les yeux rivés sur les étoiles ; en me déplaçant un peu j'aperçois les trois étoiles de Tom. L'idée était magnifique, dommage qu'elle n'est pas résistée aux peurs. J'excuserais presque sa réaction à cause de ça. Non, en fait, j'ai pardonné, parce que je sais très bien qu'il a menti et surtout pourquoi il l'a fait. Il est terrifié à l'idée que ce qui s'est produit avec Sacha puisse recommencer, mais je ne peux m'empêcher de regretter qu'il n'ait pas suffisamment confiance pour me le dire.
J'envoie un message à Sarah pour savoir ce qu'on fait demain matin, j'écris : « Demain, je passe vous prendre à la même heure que d'habitude ? Dis-moi que ça ne change rien ! » Mais sa réponse n'est pas celle que j'attendais, je lis : « Désolée Morgan, mais Tom veut prendre le bus. Je ne peux pas le laisser tout seul, il n’est pas bien. Je sais que tu ne dois pas aller mieux. Je vais essayer d'arranger ça, bisous. » Je jette mon portable plus loin, je ne peux plus regarder la photo de Tom sur mon écran, c'est de la torture ! Trop de souvenirs et en même temps si peu y sont rattachés, nous avons fait ces photos le jour où nous étions au parc. Juste avant que tout dérape et que ça devienne l'enfer. Je soupire, récupère mon portable, le déposant sur mon bureau et me réfugie sous la couette. Lorsque le réveil, sonne j'ai l'impression de ne pas avoir dormi, je me force à sortir de mon lit pour éviter de faire encore hurler ma mère. En allant au lycée, je me sens bien seul dans ma voiture et même la musique ne meuble pas l'absence de Tom et Sarah. J’arrive enfin devant la salle, il est déjà là, en train de discuter avec Sarah, enfin elle lui parle pendant qu'il admire le sol, comme à son habitude. Quand elle m'aperçoit, elle vient me dire bonjour et demande :
  • Comment tu vas ?
  • Comme on peut aller dans ce genre de situation.
  • Ça va s'arranger !
  • Ouais ! T'as déjà dis ça avant les vacances de Noël et tu vois où on en est !
Je me laisse glisser contre le mur pendant qu'elle retourne près de son frère puis Jessie arrive. Elle regarde alternativement Tom et Sarah plus loin et moi assis par terre, elle fait un signe de main à son amie et s'accroupit près de moi en murmurant :
  • Tu as envie d'en parler ?
  • Pas maintenant.
La prof arrive, nous entrons en silence, j'hésite à me mettre à coté d'elle parce qu'il n'y a personne, mais tout bas elle me dit :
  • Non, derrière.
Je m’assieds donc à coté de Tom, qui croise ses bras sur la table et enfoui sa tête dedans. De toute évidence je ne suis pas le seul à avoir mal dormi.
J'essaye de me concentrer sur le cours, mais le savoir à coté de moi sans pouvoir lui parler, ça me tue ! Lorsque la fin du cours sonne, une heure plus tard, je remarque qu'il s'est endormi. Profitant de la confusion et du bruit qui règne toujours à ce moment-là, je glisse ma main dans ses cheveux blonds et murmure :
  • Tom, réveille-toi, le cours est fini.
Mais il ne réagit pas, alors je passe délicatement ma main sur son visage, murmurant de nouveau :
  • Tom, réveille-toi.
  • Arrête, souffle-t-il comme une plainte sans ouvrir les yeux, ne voulant probablement pas croiser mon regard.
  • Pardon, dis-je en retirant ma main.
Voyant qu'il se relève, j'attrape mon sac et rejoins Jessie qui m’attend dans le couloir.
Nous nous dirigeons vers le gymnase :
  • Tom est fâché à cause de ce que tu voulais lui annoncer vendredi ?
  • Je n’ai même pas eu le temps de lui dire.
  • Pourquoi ?
  • Ce n’était pas le moment ! Il ne voulait pas m'écouter. Quoique j’aie pu dire, sa décision était déjà prise.
  • Ça va s'arranger.
  • Non, non il faut arrêter de dire ça. Sarah aussi l'a dit. Elle l'avait déjà dit avant les vacances et ça n'a fait qu'empirer.
  • Avant les vacances ? Ça fait longtemps que ça dure votre truc, là ?
  • Bah, non, enfin, c'est compliqué.
  • C'est vraiment compliqué ou tu ne veux juste pas en parler ?
  • Si tu connais la réponse, pourquoi tu poses la question ?
Nous entrons dans le gymnase, elle me dit :
  • On se retrouve devant l'entrée à midi ?
  • Hum, amuse-toi bien avec tes pompons.
Elle me tire la langue et entre dans le vestiaire des filles. Pendant que je fais de même dans le nôtre, attendant que Tom arrive. Mon survêtement est dans son casier et c'est lui qui a la clef. John, me dit :
  • Bah alors, il n’est pas avec toi ton chéri ?
  • Ferme-la !
  • Oh, t'es en colère ? Qu'est-ce qu'il y a ? Ton mec te fait la gueule ?
  • Mais, tu vas la fermer !, je cris en le collant contre les casiers.
  • Et maintenant ? Tu vas me frapper ? demande-t-il en riant.
  • Me cherche pas !
  • Oh ! Tu me fais super peur, moustique !
La colère s'empare de moi, son sourire m'exaspère, ce mec est un vrai con ! Il me balance :
  • Vas-y frappe moi, tapette !
Je ne fais pas le poids contre lui, je sais, mais ça, c'était le mot de trop. Je lui écrase mon poing sur la figure, ce qui me procure un grand soulagement tout en étant aussi la plus grande stupidité de ma vie. Ses deux chiens de garde m'attrapent pour me coller contre le mur, John m'envoie une jolie droite qui me sonne quelques secondes, je crache du sang et lui balance :
  • Espèce de lâche ! À trois contre un, ça c'est du combat à la loyale !
  • T'en veux encore ?
Il s'apprête à me frapper de nouveau lorsque Tom entre dans le vestiaire. Lui, par contre, est de taille à en mettre une à John. Il se jette sur lui, bloquant dans son dos le bras qu'il tendait vers moi, avant de l'écraser contre les casiers en disant :
  • Mais, à quoi tu joues, abruti ?
  • Te mêle pas de ça, Mendel !
  • Si tu veux frapper quelqu'un, trouve-toi quelqu'un de taille ! Si tu t'approches de lui ou de Sarah encore une fois, t'auras affaire à moi et je te promets que ce jour-là, tes petits chiens ne seront pas là !
  • Lâche-moi ! crie-t-il en tentant de se débattre.
  • Je n’ai pas encore fini ! Tout ce que Sacha a pu te raconter sur moi, n'est que le quart de ce que je suis capable de faire. Tu piges, chéri, dit-il pour être sûr que John ait suffisamment peur de lui pour ne pas recommencer.
  • Ça va ! Lâche-moi, répète–t-il.
Tom, se tourne vers Antoine et Pierre qui me tiennent toujours et balance froidement :
  • Lâchez-le, tout de suite !
En un dixième de seconde, ils s'éloignent de moi, Tom relâche John et ils sortent tous les trois du vestiaire.
Le prof gueule depuis la salle :
  • Dépêchez-vous les derniers !
Je ne lâche pas Tom du regard, il ne dit rien, bien sûr, alors je murmure :
  • Merci.
Il ne relève pas et se dirige vers son casier, me tend mon survêtement et un mouchoir. Puis il ouvre la porte en grand pour que je me retrouve face au miroir et remarque que ma lèvre saigne toujours. J'aime ses attentions muettes.
Ma mère va piquer une crise en me voyant dans cet état ! J'aurais aimé que Tom me demande si ça va mais, il ne faut pas trop en demander je crois.
À midi, je sors rapidement du gymnase, retrouve Jessie qui, forcément remarque ma lèvre et demande ce qui m'est arrivé :
  • Rien !
Puis nous commençons à nous diriger vers le lycée, quand Sarah appelle derrière nous. Elle nous rejoint.
  • Oh mon dieu, Morgan, dit-elle en passant ses doigts sur ma lèvre enflée.
  • Aieuuh !
  • Pardon ! Tom vient de me dire que John t'a frappé. Pourquoi il a fait ça ?
  • C'est John qui t'a fait ça ? demande Jessie surprise.
  • Oui, mais c'est moi qui ai commencé !
  • Quoi ?, s'étonnent-elles en même temps.
  • T'es devenu dingue ! ajoute Sarah.
  • Non ! Il m'a cherché, j'étais énervé, je n’ai pas réfléchi et je l'ai frappé. Lui, forcement, se trouvant dans l'incapacité de se battre seul a demandé à ses deux dobermans de me tenir pendant qu'il m'envoyait son poing dans la mâchoire. Cet abruti m'a ouvert la lèvre avec sa chevalière pourrie !
  • Ce n’était quand même pas la chose la plus intelligente que t'ais faite, me dit Sarah.
  • Tant pis ! Il fallait que la colère sorte, il m'a tendu une si belle perche que je n’ai pas pu résister, maintenant je me sens mieux, enfin...
  • T'es fier de toi, en plus ? demande Jessie.
Je hausse les épaules, Sarah nous dit :
  • On se retrouve tout à l'heure !
Je la retiens par le bras, pendant que Jessie interpelle John et je lui demande :
  • Attends ! Tu pourras remercier Tom. Je l'ai fait mais, je ne suis pas sûr qu'il ait entendu.
  • Si, il a entendu. Il m'a envoyée pour s'assurer que tu allais bien.
Je le regarde attendre Sarah de l'autre coté de la rue et soupire. Elle pose sa main sur mon bras en demandant :
  • Ça va allez ?
  • Hum... répondis-je, pas du tout convaincu.
Elle traverse et ils s'en vont, manger en ville comme tous les lundis. Pendant ce temps, Jessie discute avec John, ils parlent tellement fort que je les entends d'ici.
  • T'es complètement cinglé d'avoir frappé Morgan, tu ne pouvais pas te trouver quelqu'un d'autre ? crie-t-elle.
  • Hé, c'est lui qui m'a cherché !
  • Ce n’est pas une raison ! Il n’est pas de taille à rivaliser avec toi ! Ne t'approche plus jamais de lui ou mon frère en entendra parler !
  • Oh, ça va aller pour aujourd'hui les menaces, il y a déjà son mec qui s'en est chargé, alors lâche-moi !
  • Son mec ? De qui tu parles ?
  • De Tom ! Il a dit que si je m'approchais encore de l'autre moustique ou de sa sœur, il me réglerait mon compte. Il se croit plus fort que moi !
  • Il a des arguments de taille apparemment !
  • Ce mec est taré ! Tu ne sais pas ce qu'il est capable de faire ! Je ne comprends même pas que ta crevette lui tourne autour.
  • Arrêtes de dire des conneries, Tom, n'est pas ce que les gens en disent, et Morgan n'est pas gay !
  • Non ? Pose-lui la question ! Demande-lui s'il veut sortir avec toi !
  • T'es complètement cinglé !
  • Ouais, c'est ça ! J'vais bouffer !
Lorsqu'il s'en va, je rejoins Jessie et lui dis :
  • Si t'as fini, je voudrais bien aller manger, je meurs de faim.
  • Allons-y, dit-elle en me prenant par le bras.
Cette fille me rappelle tellement Kim. Elle a les mêmes habitudes avec moi que Kimberly.

5
Vers 12h45, nous sortons du self et allons nous asseoir sur un banc dans la cour. Je remarque, après quelques secondes, que Tom et Sarah sont là, eux aussi, assis sur un banc à quelques mètres en face de nous.
Tom
  • Il n’aura pas mit longtemps à la trouver sa nouvelle copine !, m’exclame-je amèrement en regardant Morgan, assis à coté de Jessie.
Sarah me donne une tape derrière la tête.
  • Aie ! Pourquoi t'as fais ça ? T'es pas bien ?
  • Tu dis que des conneries et ça m'énerve ! Morgan ne sort pas avec Jessie et tu le sais aussi bien que moi.
  • Je ne peux pas rester là, dis-je en me levant.
Mais, elle ne l'entend pas de cette façon et me tire par le bras pour m'obliger à me rasseoir à coté d'elle :
  • Tu vas rester là et contempler le résultat de tes bonnes idées.
  • Il y a trois jours tu as dis que tu comprenais et aujourd'hui tu changes d'avis ?
  • J'ai pas changé d'avis. Troquer les mots contre des caresses ce n’est pas forcement une mauvaise idée et il n’avait pas l'air contre.
  • Bien sûr que si !
  • Tais-toi et écoutes ! Personne ne l'a forcé à rester avec nous, s'il s'était senti agressé par tes caresses il ne serait pas resté, Morgan n'est pas stupide. Et personne ne l'a forcé à te prendre dans ses bras l'autre jour parce que tu étais au bord des larmes, tout comme personne ne l'a forcé à répondre à ton baiser une heure plus tard.
  • Il ne le voulait pas.
  • Tais-toi ! Parce que si ça avait été le cas, il ne t'aurait pas envoyé un message juste après pour savoir pourquoi t'étais parti comme ça. Il aurait pas non plus pris si souvent de tes nouvelles, il ne serait pas passé tous les jours de la semaine à la maison quand tu étais malade. Il y a un truc que je ne t’ai pas raconté, c'est comment je l'ai rencontré.
  • Vous vous êtes rencontrés au gymnase, non ?
  • Oui, on s'est effectivement rencontré au gymnase. Mais ce jour-là, je suis arrivée plus tôt parce que je savais que je t'y trouverais. Quand je suis entrée, j'ai retenue la porte parce que ça m'énerve de l'entendre claquer, il ne m'a donc pas entendu arrivée.
  • Morgan, était déjà là ?
  • Tais-toi ! Je l'ai trouvé assis par terre contre le mur, les yeux rivés sur toi. Je ne sais pas depuis combien de temps il était là, mais il semblait à la fois veiller sur toi et intrigué par ton attitude. Quelque chose de fort l'empêchait de détourner le regard. Il ne s'est aperçu de ma présence que lorsque j'ai fait claquer la porte pour le faire réagir. Depuis le premier jour, il y a quelque chose de fort entre vous Tom, quelque chose d'invisible mais de puissant. Tu peux continuer à le nier si ça te chantes, mais sache que je ne suis pas d'accord avec ça, avec le mal que tu lui fais. Parce que je suis sûre que si tu lui expliquais, il comprendrait très bien, tu as dis...
  • Je ne peux pas lui expliquer, j'ai l'impression d'être...
  • Tais-toi ! Tu as dis toi-même qu'il savait que tu n'étais pas en tort dans ce qui s'est passé avec Sacha. Morgan, te connais, enfin il sait comment tu es là, dit-elle en posant sa main sur mon cœur, et tout ce qu'il te demande c'est des explications, mettre les choses au clair avec lui, c'est tout ce qu'il veut. Enfin, non, il est très probable qu'il veuille plus que ça aujourd'hui, mais...
  • Je ne peux pas...
  • Tais-toi ! Mais, si tu lui expliquais tout, je suis certaine qu'il attendrait. Ce n'est pas un monstre, Tom, il n’est pas comme eux et ne le sera jamais. Il est même plus terrifié que toi à l'idée d'aimer un garçon et de vouloir sortir avec lui.
  • Sarah, tu me laisses en placer une ?
  • Non ! Mets un terme à cette situation qui vous blesse tous les deux !
Elle se lève au moment où la sonnerie retentit et nous nous dirigeons en silence vers nos salles de classe respectives.
Et pendant les jours, les semaines et les mois qui se sont écoulés depuis ce jour-là, elle n'a plus dit un mot sur le sujet. À chaque fois qu'elle m'entendait soupirer en regardant Morgan, ou murmurer son prénom en le voyant s'éloigner, elle disait simplement « tu sais ce que tu as à faire ». Tout paraît simple de son point de vue, mais la frayeur est là, tapie dans l'ombre et elle s'empare de moi à chaque fois que je veux faire un pas vers lui.
La semaine se termine difficilement, Tom et moi nous évitons au maximum, mais nous ne pouvons que durement lutter contre la force qui nous renvoie l'un vers l'autre.
Aujourd’hui, nous sommes samedi, le 16 janvier. Je suis au parc avec Jessie ; je ne voulais pas spécialement y aller mais hier soir, j’ai déjà refusé de me rendre à son match de basket ; je savais que j’y croiserai Tom puisqu’il dépose Sarah et la raccompagne ensuite. Voilà l’histoire. Nous marchons sans rien dire, les souvenirs de la journée que j'ai passée ici avec lui me hantent et me blessent, comme une lame qu'on enfoncerait un peu plus profondément à chaque pas. Au bout de quelques secondes elle demande :
  • Morgan, je peux te poser une question ?
  • Ça dépend, je suis obligé d'y répondre ?
  • Heu ! Ce serait mieux !
  • Alors non !
  • Tu veux bien arrêter de faire ta tête de mule et me parler ?
  • Mais te parler de quoi ? En général tu fais les questions et les réponses, tu as l'air de connaître chacune de mes réponses à l'avance. Qu'est-ce qui est différent cette fois ?
Elle s'arrête, me fait face et répond :
  • Je veux te l'entendre dire !
  • Dire quoi ?
  • Ce qui ne va pas ! Ce qu'il y a réellement entre Tom et toi. Vous avez l'air tellement mal chaque fois que vous vous croisez ou que vous êtes l'un à coté de l'autre !
  • Pourquoi ça t'intéresse tant ?
  • Parce que je voudrais pouvoir t'aider ! Et... aussi parce que John a dit un truc que je voudrais que tu éclaires.
  • Bah tiens ! Et je peux savoir ce qu'il a dit ?
  • Que tu tournais autour de Tom.
Je baisse les yeux. J'avais oublié ça, je pensais qu'elle aussi. Je demande :
  • Si c'était le cas, ça te dérangerait ?
  • Non, pas du tout.
  • Alors dis-moi, si même ce crétin s'en est rendu compte, comment se fait-il que tu ne l’ais pas remarqué ?
  • Alors, c'est vrai ?, demande-t-elle en me forçant à la regarder.
Je soupire, baisse de nouveau les yeux et réponds :
  • Oui, c'est vrai, je... j'aime Tom.
  • Et alors, c'est si horrible que ça de l'avouer ?
  • Il ne veut pas de moi !, m‘exclame-je les yeux toujours rivés sur le sol.
Je me sens bizarre. Je viens d'avouer à quelqu'un que je suis gay, amoureux de mon meilleur pote et je ne réalise pas bien le truc.
  • Pourquoi ? demande-t-elle en relevant ma tête une nouvelle fois.
  • Je n’en sais rien.
  • Tu n'as pas essayé de lui demander ?
  • Si, mais il m'a viré de chez lui.
  • Oh ! Et c'est arrivé vendredi, n'est-ce pas ? C'est pour ça que vous êtes dans cette situation ? C'est étrange, j'aurais juré que Tom était dingue de toi.
« Ouais, moi aussi ! Mais de toute évidence, il jouait bien la comédie ! Non, ce n’est pas vrai, tu dis n'importe quoi, Morgan, Tom t'aime, il est juste mort de peur. Comme si je ne l'étais pas ! »
  • Et maintenant ?, demande Jessie, en m’arrachant à mon dialogue mental.
  • Quoi, maintenant ?
  • Tu laisses tomber ?
  • Non ! Tu ne connais pas toute l'histoire, mais je ne peux plus rien faire, c’est à Tom d’agir maintenant. Tu vois, c’est comme une partie de poker. Tom aurait les quatre as qui représenteraient les murs qu’il a dressés autour de lui. Il a deux choix : soit, ils les abaissent et il remporte ainsi la mise, donc nos sentiments, soit il se couche, et il consolide les murs, et il fout nos vies en l’air en une demi-seconde.
  • Hum, c'est assez compliqué, mais tu ne vas rien retenter ?
  • Non, je risque de tout bousiller en faisant quelque chose.
  • D'accord, alors en attendant qu'on trouve une solution, on se remet à marcher parce que là, je gèle !
On reprend donc le cours de notre promenade :
  • Qu'est-ce que t'entend exactement par « qu'on trouve une solution » ?
  • J'vais pas te laisser comme ça, Morgan, t'es mon ami et te voir souffrir, c'est insupportable. Alors on va trouver un truc à faire, ensemble, pour que tu retournes auprès de Tom.
  • Merci, soufflé-je, les yeux, une fois de plus, rivés vers le sol.
Je suis content qu'elle ait bien pris la nouvelle de mon homosexualité, sauf que, maintenant, Tom est encore plus présent dans mes pensées. J'aimerais pouvoir lui dire à quel point il compte pour moi, pouvoir partager mes peurs et mes doutes avec lui.
Soudain, Jessie me donne un coup sur le bras, je relève la tête pour la regarder, elle me fait signe de regarder devant nous, Tom et Sarah arrive dans notre direction. Mon cœur s'affole, mon ventre se noue, j'ai du mal à respirer. Il essaye de s'éclipser mais Sarah l'en empêche. Ils arrivent à notre hauteur, Tom en face de moi fixe son attention sur les canards qui pataugent joyeusement dans la partie non gelée du lac. Je l'observe tristement, pendant que les filles parlent du match de basket d'hier soir puis, au bout d'un moment, Sarah, me demande :
  • Et toi, ça va ?
  • À merveille !, répondis-je sarcastique avant de faire demi tour et de m'éloigner.
Je me sens mal, c'est carrément intenable comme situation. Je sens le regard de Tom sur moi, je voudrais lui hurler que je l'aime mais ça ne servirait à rien. Pourtant je crève d'envie de le prendre à nouveau dans mes bras, de pouvoir goûter à ses doux baisers sans peur.
  • Vas lui parler ! m'ordonne Sarah.
  • Et tu veux que je lui dise quoi ?, murmuré-je.
- J'en sais rien, mais le laisse pas comme ça ! Vas ! Tout de suite !
Je me dirige donc un peu forcé vers lui et m'assoit contre l'arbre derrière lequel il est lui-même assis.
  • On aurait jamais dû faire connaissance toi et moi, lui dis-je tout bas.
  • Arrête avec ça, je t'en prie, soufflé-je les yeux pleins de larmes.
  • Je suis désolé, Morgan, je... je ne voulais pas qu'on en arrive là.
  • Alors, change les choses.
  • C'est dur.
  • Je sais, Tom, je sais. Mais... est-ce que ça ne vaudrait pas la peine d'essayer ? Tu le voulais au départ ?
  • Je ne veux plus souffrir.
  • C'est pourtant exactement ce que t'es en train de faire et dis pas le contraire ! Parce que si tu me détestais vraiment, tu ne me fuirais pas de cette façon.
  • Pardon, murmure-t-il avant de s'en aller à nouveau.
Je ferme les yeux ; une larme roule sur ma joue.
Les semaines passent, rien ne change. Mes parents désespèrent de me revoir sourire un jour. Je ne fais que parler de Tom avec Jessie, elle doit probablement en avoir marre. Et j’erre chez moi comme un mort-vivant.
Alors, depuis quelques semaines, pour rassurer tout le monde, je fais comme si tout allait bien, je me concentre sur les cours pour oublier que Tom est assis juste à coté de moi. Je prends de ses nouvelles par l'intermédiaire de Sarah, qui fait un peu le lien entre nous, sans vraiment s’interposer. Ça ne servirait à rien qu'une autre personne souffre de cette stupide décision.
Des mois passent, trois pour être exact, la moitié d'une éternité en vérité. Tom et moi ne nous sommes pas reparler depuis l'après-midi au parc et ça a assez duré, je veux bien être patient, mais je ne suis pas maso.
Après une longue discussion avec Jessie, je décide de reparler à Tom, aujourd'hui, nous sommes le vendredi 2 avril. Je ne vais pas vraiment lui parler, plutôt lui écrire ce qui me tourne dans la tête depuis trop longtemps.
À 10h00, Jessie demande :
  • Alors, tu comptes lui parler ? Quand ? T'as dit aujourd'hui je te rappelle !
  • Ça va je sais, je suis un peu nerveux d'accord ? Je vais le faire avant midi !
La sonnerie retentit dix minutes plus tard, et nous retournons en cours. Je suis vraiment super stressé, c'est maintenant que je vais jouer ma dernière chance. Et j'ai tellement peur qu'il me jette encore. Je n'accepterai pas de le perdre définitivement. Je voudrais au moins qu'on reste amis s'il ne veut pas de moi en tant qu'amant. J'aime vraiment être avec lui et surtout lui parler, même si parfois il sait rester silencieux des heures entières.
Bon allez ! Il est 11h30, je respire profondément, attrape une nouvelle feuille et écris à Tom :
J'ai envie de hurler,
De ton prénom mon cœur est brûlé.
Si longtemps résister,
Pour enfin succomber.
Je m'abandonne à toi,
Et tu pars loin de moi.
Tu as peur, c'est vrai,
Mais moi aussi, tu sais.
L'amour t'as fait du mal,
Laisse-moi te montrer
Qu'il peut être un régal.
Et pouvoir veiller,
Sur ton sommeil,
Semaine après semaine.
J'ai envie de hurler
De ton prénom mon cœur veut brûler.
Je la pose ensuite sur son dessin, il lit et ajoute quelques mots avant de me la rendre. Il a écrit :
Je ne peux pas !
Pourquoi ? 
La feuille circule entre nous,
Tu ne comprendrais pas !
    T'es bien sûr de toi ! Il y a un truc que tu ne comprends pas, Tom, c'est que je ne suis pas ton ennemi. J'ai été ton ami pendant quelques temps et ça à été la plus belle chose qui me soit arrivé depuis très longtemps. J'ai cru que tu voulais qu'on soit plus que ça mais, quand je te demande un peu de temps, tu me fuis. Plus tard, j'essaye de t'expliquer que j'en ai envie aussi, mais tu ne m'écoutes pas et me fous dehors ! Explique moi ce que j'ai raté, je suis perdu là !
    Ne complique pas les choses ! 
  • Très bien, dis-je tout haut.
Je fais une boule avec la feuille, me lève brusquement tout en demandant à la prof :
  • Je peux sortir ?
  • Non ! Pas sans raison valable !
  • Il faut que j'aille prendre l'air ! Ça vous va comme raison ?
Je n'attends pas sa réponse et sors de la salle en claquant la porte derrière moi, la feuille en boule toujours dans ma main. 






       Je vous mets ici deux romans qui traitent du même sujet que celui-là. Ils sont tous les deux du même auteur. 
Le premier c'est: Cet autre qui grandissait en moi de  Alexis Hayden et José-René Mora
Le résumé de l'histoireNous méritons toutes nos rencontres, disait Mauriac, elles sont accordées à notre destin et ont une signification qui nous appartient de déchiffrer» Bonnes ou mauvaises, que nous en comprenions ou non le sens et la portée, il est évident quelles nous préparent à vivre les suivantes. Kévin méritait-il Jérémy, et inversement? Se seraient-ils trouvés sils ne s'étaient pas cherchés? Toutes ces questions, les deux adolescents se les posent. Ces sursauts désespérés et inutiles, pour lutter contre eux-mêmes, contre l'impossible, contre la fatalité, seront-ils destructeurs et plus forts que leur amour? Une plongée au cœur dune adolescence difficile et de ses problématiques intimes liées à l'homosexualité. Avec sensibilité et poésie, peut-être un brin de nostalgie, et surtout une sincérité et une force de caractère à couper le souffle, Kévin, le narrateur, dit ses amours impossibles, les traumatismes de son enfance, son rapport à son père, ponctuant l'ensemble de ses réflexions d'adulte et de ses questionnements. Un récit fort, intense, où la joie de vivre et d'aimer l'emporte sur les conventions.
Le second c'est: Si tu avais été...  de Alexis Hayden et Angel of YS 
Le résumé de l'histoire:  Bryan traverse l’une des périodes les plus compliquées de l’existence : l’adolescence. Doutes, rébellion contre ses parents et quête d’identité : il fait face à tous les méandres que rencontre une personne dans l’apprentissage de l’âge adulte. Et bientôt, la différence. Son attirance pour Kévin qu’il a du mal à admettre et à avouer à ses parents et amis. Le questionnement, le refus, et puis la tentation. Cette histoire d’amour va lui faire découvrir tous les aspects de la passion : la rencontre, l’amour et le besoin de l’autre, puis la douleur, le manque et la perte.
         Vous pouvez les trouver facilement sur le site d'amazon. Je sais qu'ils y sont, c'est toujours là que je commande mes bouquins, c'est pour que je vous mets toujours ce site, mais j'imagine qu'on peut également les trouver ailleurs.
Je vous mets le site, faut aller voir, vraiment : Alexis Hayden

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