Histoire de fantôme

Le titre est un peu bizarre, mais pas définitif, c'est juste que pour le moment je n'en n'ai pas d'autre....
Cette histoire m'est venue après mon dernier déménagement, je ne sais pas trop d'où elle m'est venue, et je ne cherche pas à le savoir.  Comme vous le remarquerez en la lisant elle parle, une nouvelle fois, de jumeaux, ça je pourrais vous expliquez pourquoi, mais je ne veux pas :)


Ce qui m'est arrivé, je ne sais pas comment l'expliquer.
Nous venons de déménager pour la dixième fois, à peu près tout les deux ans. Nous arrivons dans notre nouvel appartement, le 12 juillet 2014, dans lequel je ne suis pas forcément très heureux d'emménager puisque je sais qu'on y sera moins bien que dans le précédent, jusqu'à ce que je tombe sur cette créature. Elle est assise devant la porte de l'appartement qui fait face au notre, des écouteurs dans les oreilles et un ordinateur portable sur les genoux, elle semble même pas nous voir faire des allers-retours les bras chargés de cartons.
  • Étrange endroit pour travailler, me transmet mon frère alors que nous entrons une nouvelle fois dans l'appart.
Il a raison. Elle aurait put trouver au moins dix endroits plus confortable que le palier et pourtant c'est là qu'elle a choisie de s'asseoir. Si j'avais été un temps soit peu parano j'aurais dis qu'elle nous espionnait. Sauf qu'elle ne semble même pas lever les yeux de son clavier, sur lequel elle tape à une vitesse folle, quand nous passons près d'elle. Et j'ignore pourquoi la savoir ici me mets mal à l'aise. À chaque fois que je passe une étrange sensation m'envahis. Je me dis que je dois essayer de lui parler, au moins pour lui dire bonjour, mais lors du dernier voyage, lorsque j'ai enfin rassemblé mon courage pour le faire elle n'est plus là. Étrangement déçu je lâche le dernier carton brutalement, obligeant ma mère à me faire de nouveaux reproches sur ma brutalité. Je ne l'écoute pas et me rend directement dans ce qui sera bientôt mon nouveau repère. Mon frère s'y trouve, sans délicatesse je lui demande de partir, il ne bouge pas, me répondant :
  • Arrête de me rejeter, je suis le seul à pouvoir t'aider.
  • Sauf que ce n'est pas de ton aide dont j'ai besoin.
  • C'est tout ce que je peux te donner.
J'ouvre la porte fenêtre, comme si je pouvais fuir sur l'étroit balcon qui me fait face.
  • Tu veux vraiment que je te laisse ? demande-t-il tout bas.
  • Je ne sais pas, souffle-je.
Ce que j'aimerais pouvoir chasser les souvenirs de mes pensées, je donnerais tout pour qu'ils disparaissent dans le souffle du vent qui balaye violemment la ville depuis trois jours. Alors je me sens, une nouvelle fois, entraîné dans les ténèbres, la fille d'à coté apparaît sur le balcon à ma gauche. Je sursaute presque lorsqu'en levant sa guitare elle me salut :
  • Je joue ici tout les soirs. J'espère que ça ne t'ennuie pas. Mon père ne supporte pas la musique.
Comme un idiot je reste planté là à sourire, mon frère claque des doigts pour me faire réagir, cette fois le sursaut est flagrant, alors je rentre presque en courant, me sentant ridicule. Fermant à moitié la porte je crie :
  • Ha c'est malin ! À cause de toi elle va croire que je suis un idiot.
  • J'y crois pas ! Elle t'intéresse, rit-il.
  • Tu dis n'importe quoi.
  • C'est ça ! Dois-je te rappeler que je lis en toi.
  • Ça suffit, marmonne-je.
Vexé comme un gamin je le fuis en montant ma batterie, ne lui adressant plus la parole de la soirée.
  • Elle est toujours dehors, me dit-il alors que la nuit est tombée depuis plusieurs heures.
  • Et alors, marmonne-je toujours contrarié.
  • Tu pourrais aller te présenter.
  • Pour quoi faire ?
  • Déjà pour lui signaler que tu sais parler, et aussi pour lui dire que toi aussi tu fais de la musique. C'est un bon début.
Comme je ne bouge pas, il poursuit :
  • Allez, un peu de courage. Ne m'oblige pas à te supplier.
Le courage n'est pas ce qui me manque, c'est plutôt la motivation, l'envie de me faire des amis qui me fait défaut.
  • Pourquoi ça semble avoir tant d'importance à tes yeux ?
  • Peut-être qu'elle ne sait rien. Peut-être qu'elle peut être ton amie.
  • Je ne veux pas d'ami.
  • D'accord, reste là à bouder, j'vais aller la draguer. Tu ne viendras pas te plaindre quand elle aura succombé à mon charme.
  • À ton charme fantomatique, tu veux dire, répondis-je en esquissant un sourire.
  • J'ai au moins réussi à te faire sourire.
Me décidant enfin à lui faire plaisir j'arrête le montage de mon instrument pour retourner sur le balcon. Elle est, effectivement, toujours là, les yeux fermés elle joue à merveille. Profitant du fait qu'elle ne me voit pas je lance :
  • C'est joli ce que tu joues.
  • C'est pas fait pour, rétorque-t-elle.
  • Pourquoi tu fais de la musique, alors ?
  • Parce que j'aime ça, parce ça me détend. Mais je ne cherche pas à faire de belles mélodies. Je veux juste que ce soit puissant, que ça raconte quelque chose, que ça parle aux gens qui écoutes, que ça résonnent dans leurs têtes. Tu es musicien, tu devrais le savoir.
  • Comment tu sais que je suis musicien ?
Elle s'arrête de jouer pour montrer les baguettes que j'ai glissées dans la poche de mon bermuda.
  • Oh, ouais, effectivement.
  • Tu voulais autre chose ?
  • Heu... juste... me présenter, bredouillé-je mal à l'aise.
  • Je t'écoutes ! lance-t-elle.
On dirait qu'elle s'attend à ce que je fasse un long discours de cérémonie ou quelque chose du genre.
  • Et bah je... je m'appelle Ethan Sawyer, et... à mon grand désespoir je devrais intégrer le lycée de ce trou paumé en septembre.
  • Moi c'est Skaï. Skaï Johnson. Et crois moi, pour la troisième année consécutive je désespère de reprendre les cours. Bien plus que toi, quelles que soient tes raisons.
  • Comment tu peux en être sûr ? Tu ne me connais pas.
  • Crois-moi sur parole. Tu comprendras bien assez vite.
À l'instant où je m'apprête à la questionner un peu plus, m'apercevant que ça me plaît de parler avec quelqu'un, une personne se met à crier chez elle et elle rentre à la vitesse de l'éclair. Je laisse la fenêtre ouverte, au cas où elle revienne jouer et m'installe derrière la batterie. Je voudrais pouvoir me défouler, faire le plus de bruit possible, sauf qu'il est 22h45 et que je risque encore de m'attirer des ennuis. Et même si je les accumule depuis plusieurs mois je ne les cherche pas volontairement. Mon frère, assit sur mon lit, ne cesse de donner l'écho à chacun de mes rythmes.
  • Arrête ça ! m'énerve-je.
  • Pourquoi ? Ça ne te dérangeait pas, avant.
  • Ce n'est plus comme avant, au cas où tu l'aurais pas remarqué !
  • C'est sûr, avant tu n'étais pas aussi méchant avec moi. Pourquoi t'es comme ça ?
  • Comme si tu le savais pas ! jette-je agacé.
  • Je suis là pour toi, rétorque-t-il comme une évidence.
  • C'est pas pareil ! cri-je.
Il se fige, et maman débarque dans ma chambre affolée :
  • Ethan, ça va ? Pourquoi tu as crié ?
  • Heu... pour rien, marmonne-je. J'ai... raté un morceau de batterie. Désolé.
  • J'aimerais vraiment qu'on arrive à discuter tous les deux.
  • Ce serait bien, en effet, approuve mon frère.
Je le regarde à peine puis refixe mon regard sur la grosse caisse en répondant :
  • Pas ce soir.
  • Tu pourrais faire un effort, poursuit-il.
Je ne réponds pas, ne le regarde pas. J'ai vu tellement de souffrance et de colère dans les yeux de ma mère qu'il m'est impossible de la regarder en face et de lui parler.
  • Très bien, conclue-t-elle. Bonne nuit.
Je soupire quand la porte se referme, pose mes baguettes sur le tambour. Mon frère reprend :
  • Ethan...
  • Non, le coupe-je. Pas un mot. Je vais dormir, laisse-moi.
Il soupire tristement, je me jette sur mon lit et il disparaît quand j'éteins la lumière. « Il fait chaud, très chaud, j'ai du mal à respirer, je remarque soudain que la maison est en flamme autour de moi, la peur me paralyse, je voudrais crier mais je n'y arrive pas. Il faut que j'aille le chercher. Deux bras puissants s'emparent de moi pour me tirer vers l'extérieur. Lorsque l'air frais de décembre me frappe le visage je hurle de toutes mes forces alors que personne n'écoute. Il faut s'éloigner, le bâtiment risque d'exploser. À la seconde où je croise les yeux horrifiés de ma mère une seconde explosion retenti. Je vois les flammes immenses étinceler dans ses prunelles, un vertige me saisi, je perds connaissance. » Assis dans mon lit, trempé de sueur, le cœur battant à tout rompre, les mains tremblantes je tente de reprendre mon souffle. À peu prêt calmé j'enfile un pull trop grand, qui couvre mon caleçon, et sors sur le balcon maudire intérieurement la nuit qui ne se lasse pas de tomber et cette foutue lune qui étincelle comme si tout allait bien. Je voudrais hurler, là, tout de suite, noyer mes pensées dans le plus long crie que je n'aurais jamais poussé. Une voix près de moi m'en dissuade :
  • Toi aussi tu es insomniaque ?
  • Pas exactement, répondis-je à Skaï. J'ai le malheur d'avoir une conscience.
  • Au moins tu en as une. C'est le cas de trop peu de gens, aujourd'hui.
Je me tourne vers elle, perplexe.
  • Tu fais souvent des cauchemars ?
  • Uniquement la nuit.
Elle rit, j'esquisse un sourire, même si cette réalité me fait mal.
  • Tu as envie de bavarder un peu ? demande-t-elle ensuite.
  • Pourquoi pas. De toute façon je ne peux pas dormir.
  • Tu fais de la musique depuis longtemps ?
  • Depuis l'âge de 8 ans. J'ai appris le violon, le piano et la batterie.
  • Pourquoi le dernier instrument est totalement en opposition avec les deux autres ?
  • Parce que j'ai appris le violon parce que ma mère le voulait, j'ai fais du piano pour faire plaisir à mon père, et j'ai une batterie parce que j'ai toujours adoré les percutions et que ça me correspond beaucoup plus que le reste.
  • Pour ma part j'ai toujours voulu faire de la musique, sauf que mon père a toujours été contre. Pour sa fille unique il ne voulait que la danse, la gymnastique, ou encore la natation synchronisé. Mais surtout pas de matière artistique. D'après lui ça ne mène à rien. Donc quand j'ai eu l'âge de bosser j'ai trouvé un job pour me payer une guitare et apprendre.
  • Ton père a dû être ravi, ironise-je.
  • Absolument, rit-elle. C'est la raison pour laquelle je ne peux jouer que dehors.
  • Ça craint, souffle-je.
  • Tu rentre en quelle section en septembre ?
  • Terminal L.
  • Pareil. Et j'ai hâte de me tirer d'ici ensuite. Je vais me trouver une fac très loin de mon père.
  • Et ta mère ?
  • Elle nous a quittées quand j'avais 7 ans. Accident de voiture.
  • Désolé, murmure-je mal à l'aise.
  • Ça ne fait rien. Le plus horrible c'est qu'on fuyait mon père et sa dictature. Un type nous a coupé la route et notre voiture est allée s'écraser contre le mur de la maison d'en face. Ma mère est morte sur le coup, j'ai eu la jambe gauche cassée et je suis retournée avec mon père.
  • La vie est géniale ! m'exclame-je sarcastique. C'est moins horrible, mais mon père : brillant avocat s'est tiré avec sa secrétaire il y a 9 ans. Une pouf qui aurait put être ma sœur aînée, j'en étais écœuré quand il me l'a présenté. J'avais l'impression que le plus grand cliché du monde venait de prendre vie sous mes yeux.
  • Tu le vois toujours ?
  • Non. Il a voulu faire partie de nos vies, mais elle ne voulait pas de nous alors ils se sont barrés en Italie où elle lui pond un mioche tous les trois ans.
  • Tu as une grande famille alors.
  • Non, marmonne-je, je n'ai plus de famille.
  • Il te reste ta mère, au moins.
  • Hmm, je préfère ne pas en parler.
  • Comme tu veux. Tu aimes quel genre de musique ?
  • Un peu tout à part la techno.
  • La techno c'est pas de la musique ! répond-t-elle scandalisée.
  • Comme je suis d'accord. C'est seulement du bruit, rien de plus.
  • Tu connais un peu la ville ?
  • Pas vraiment. J'ai traîné un peu quand ma mère faisait les papiers avec le gars de l'agence, mais j'ai rien vu d'extraordinaire.
  • Si tu ne fais rien de l'été je pourrais te servir de guide si tu veux.
J'accepte sa proposition d'un hochement de tête, elle sourit, un étrange frisson me parcours et elle détourne le regard. Je m'assois par terre, appuie ma tête contre le mur et ferme les yeux. Après quelques minutes de silence Skaï me dit :
  • Tu devrais peut-être retourner te coucher.
Sans ouvrir les yeux je réponds :
  • Je ne me rendormirais pas de toute façon.
  • Tu fais quoi dans ces cas là ?
  • J'écoute de la musique ou je lis.
  • Jusqu'à l'aube ?
  • Jusqu'à l'aube.
  • Même s'il n'est que 4h00 du matin ?
  • Ouais, souffle-je.
C'est la première fois que je l'avoue à quelqu'un et je me sens bizarre. En plus je ne la connais pas et je suis en train de lui raconter tout ce que les autres ignorent à mon sujet. Pour éviter qu'elle s'aperçoive de mon trouble je la questionne :
  • Toi, tu te rendors ?
  • Oui. Je retourne me coucher vers 5h00 et j'arrive à dormir jusqu'à 7h00 quand on a cours et 9h00 les autres jours.
  • Quelle chance !
  • Je t'apprendrais, ajoute-t-elle avec un sourire.
J'en fais de même, pourtant pas convaincu de pouvoir arrêter les horreurs qui hantent mes nuits. Le silence s'installe, les yeux toujours clos je me laisse envelopper par la douceur de la nuit, n'écoutant que le vent dans les branches d'arbres. Je me concentre sur ses bourrasques, sur les mèches de mes cheveux qu'il fait voltiger pour oublier mes pensées. Skaï reprend plus tard :
  • Je vais retourner me coucher.
  • Hum.
  • Tu devrais rentrer aussi. Tu serais toujours mieux dans ton lit que sur le béton froid du balcon.
Je ne répond pas, elle me souhaite une bonne nuit et tire ses volets derrière elle. Je reste encore un moment dehors avant de retourner dans ma chambre. J'attrape mon i-pod, le met en route avant de me laisser tomber sur mon lit. Le volume à fond me permet de somnoler sans pour autant dormir, ce qui m'évite de faire de nouveau cauchemar. Généralement, j'utilise cette technique que lorsque j'ai vraiment besoin de me reposer, parce que le matin quand je l'éteins une horrible migraine m'écrase la tête. Lorsque j'ouvre les yeux le jour est levé, ma montre indique 9h15, j'ai battu un record. D'habitude à 8h00 je suis de retour dans le monde des vivants. 9H15 c'est une première. Mon frère est là, souriant il questionne :
  • Tu as bien dormis ?
  • Tu sais bien que non.
  • Je sais aussi que tu as fais plus ample connaissance avec la charmante voisine.
  • Tu nous écoutais ?!
  • Je veille, c'est tout.
Je bougonne en m'habillant pour aller prendre un semblant de petit déjeuner comme tous les matins.
  • Bonjour ! lance ma mère quand je rentre dans la cuisine.
  • 'Lut, marmonne-je.
  • Tu m'aides à défaire quelques cartons quand tu es prêt ?
Je m'apprête à lui dire que ce n'est pas utile de les défaire pour les refaire dans deux ans, cependant mon frère se joint à nous en disant :
  • Un peu d'aide serait la bienvenue.
  • OK, marmonne-je en versant la moitié de la boite de chocolat au fond de mon bol.
La matinée passe vite, nous finissons de déjeuner quand je demande :
  • Je peux aller faire un tour en ville cet après-midi ?
  • Si tu veux, oui. Ça te fera du bien de te détendre un peu.
Je quitte la salle à manger, m'arrête devant la porte et sans me retourner lui dit :
  • Tu devrais le faire aussi. Hier j'ai vu qu'il y avait un institut de beauté qui fait des massages comme t'aime. Tu devrais y aller pendant que t'es en vacance.
Comme elle ne me répond pas je jette un rapide coup d’œil par dessus mon épaule. Des larmes ruissellent sur ses joues alors qu'elle s'efforce de réagir :
  • Je le ferais. Merci chéri.
Je file dans ma chambre récupérer quelques affaires avant de sortir de la maison.
  • C'est gentil ce que tu as dis à maman, me dit mon frère derrière moi.
  • C'est normal.
  • Je ne m'y attendais pas. C'est à peine si vous vous adressez la parole ces derniers temps, alors ça m'a surpris. Elle aussi de toute évidence.
  • Je ne voulais pas la faire pleurer.
  • Je sais, sourit-il. Elle aussi, croit moi. Ça l'a beaucoup touchée c'est tout.
  • Il faut qu'elle prenne soin d'elle.
  • Tu pourrais le faire un peu aussi, tu ne crois pas.
  • J'vais me promener pour le moment, dis-je en branchant mon i-pod.
Sa voix se perd dans les paroles de la chanson, et son image disparaît derrière mes lunettes de soleil. Je traîne par-ci par-là, cherchant un endroit où m'isoler, un endroit pour oublier que ma mère m'a amené dans la capitale du trou perdu « Trouville. » À la sortie de la ville un panneau indique dans falaises et un cour d'eau, j'en prends la direction en espérant pouvoir trouver un coin tranquille. Je regrette rapidement la lueur d'espoir qui m'a traversé l'esprit en arrivant sur place parce que, de toute évidence, c'est le QG de la jeunesse de « Trouville. » Je les observe se jeter des rochers jusque dans la rivière, c'est à celui qui sautera du plus haut point. Je soupire en les entendant rirent joyeusement, moi qui a depuis longtemps oublié ce qu'était un éclat de rire je n'ai qu'une envie : fuir. Je fini par repérer un sentier à peine visible qui semble monter beaucoup plus haut, en désespoir de cause je décide de le suivre et me retrouve, après quelques minutes de marche, au sommet de la plus haute falaise. Je m'assois à l'ombre, entre les deux seuls arbres qui s'y trouve, ramène mes jambes contre moi, croise mes bras sur mes genoux et enfoui ma tête dedans. Je ferme les yeux, me concentrant que sur les chansons qui défilent. Au bout de quelques minutes un courant d'air froid me caresse la nuque, je retire mes écouteurs, les doigts de mon frère effleure ma peau, il murmure :
  • Il m'arrive d'oublier que tu as ce tatouage.
  • Comment tu m'as trouvé ?
  • Je te connais bien.
Je relève la tête lorsqu'il s'assoit à coté de moi en m'expliquant :
  • Maman est allée prendre rendez-vous pour un message, comme tu le lui as dis.
  • C'est bien.
  • Elle sait pour le tatouage ?
  • Toujours pas. Tu sais, ça fait un moment qu'elle ne me regarde plus vraiment. Et il ne se voit que lorsque je suis torse nu ou que j'ai la tête baissée.
  • Tu as de la visite.
Je me tourne vers le sentier qu'il désigne pour voir Skaï arriver avec sa guitare.
  • Comment tu as trouvé cet endroit ?
  • J'ai suivi le sentier.
  • Il se voit à peine ! Il n'y a que moi qui monte ici !
  • Tu veux que je m'en aille ? demande-je en la voyant contrariée.
  • Tu peux rester, c'est bon, répond-t-elle après une minute de réflexion.
  • Ça t’ennuie si je viens ici parfois ? la questionne-je quand elle s'assoit près de moi, là où se trouvait mon frère il y a encore une minute.
  • Non. Tant que tu viens tout seul.
Je hoche la tête. Elle sort sa guitare rouge vif puis commence à jouer quelques accords.
  • Comment va ta mère ?
  • Bien, suppose-je.
  • Je l'ai vue en partant. Elle m'a dit bonjour et en voyant ma guitare elle a ajoutée que son fils est musicien, batteur très exactement et qu'elle pense qu'on s'entendrait bien. Elle a précisé que nous aurions bien l'occasion de nous croiser, puis elle m'a souhaité un bon après-midi et on a prit chacune un chemin différent.
  • Si tu l'as vue pourquoi tu me demande comment elle va ?
  • Certaines personnes savent faire semblant et paraissent sincères alors qu'elles ne le sont pas.
  • Ma mère n'est pas du tout ce genre de personne ! Quand elle fait ou dit quelque chose c'est parce qu'elle le veut, parce qu'elle le pense. Elle te dit bien en face ce qu'elle pense de toi, sans détours, sans sous-entendu.
  • Dois-je comprendre que tu en as fais les frais ?
  • Plus d'une fois, oui. Tu ne sais peut-être pas qui elle est, mais c'est un ingénieur connu internationalement. Sa réputation la précède où qu'on aille et les gens l'admire pas seulement pour son travail ou ses recherches, mais aussi pour sa franchise, sa capacité à tenir tête à un homme, à s'affirmer quand elle sait qu'elle a raison, et d'imposer ses idées sans déclencher une guerre. C'est parfois assez épuisant de vivre avec une personne comme ça.
  • Je ne comprends pas. Ici, il n'y a rien pour son travail.
  • Non, elle ne bosse pas à « Trouville, » elle va à trente bornes d'ici. À l'agence... heu, C.R.C.A, un truc comme ça.
  • C'est à Summerson, c'est bien ça ? Pourquoi ne pas être allé vivre là-bas directement ?
  • Alors ça, c'est le plus grand mystère de ma vie. Quand je lui ai posé la question elle m'a répondu qu'elle en avait assez des grandes villes et qu'un peu de calme nous ferait du bien. Sauf que c'est plus que calme « Trouville. »
  • C'est original « Trouville » comme surnom pour Everspring, je n'avais jamais entendu.
  • Je vois pas quel nom elle pourrait avoir d'autre ! Il n'y a rien ici.
  • Tu exagères. Il faut juste que quelqu'un te fasse découvrir où les jeunes fuient.
  • Vas-y racontes.
  • D'abord il y a un cinéma avec quatre salles qui passe aussi bien des films d'art et d'essai que des grosses productions. Ensuite, il y a une petite salle de théâtre. Je fais d'ailleurs partie de la troupe des jeunes comédiens de la ville.
  • Ah oui ? Je te voyais plus réservé que ça.
  • Ça dépend des moments. Et puis sur scène je peux hurler toute la rage que j'ai en moi sans qu'on me demande de me taire.
Après plusieurs heures entrecoupées de silence et de questions pour se connaître je rentre chez moi. Sur le chemin du retour mon frère me rejoint, je l'interroge :
  • Pourquoi t'es partis tout à l'heure ?
  • Je ne voulais pas te déranger.
  • Ta présence ne me dérange pas.
  • Non ? Pourquoi tu me demande si souvent de disparaître ?
  • Je... je suis malheureux ! Alors si ce que je dis n'a parfois aucun sens c'est normal.
  • Ne me rejette pas, alors. Je suis là pour toi.
  • Mais c'est pas pareil ! Ce n'est plus comme avant, murmure-je.
  • Il faudra bien que tu l'acceptes un jour.
  • Non. Je ne veux pas. Je ne peux pas.
Un court silence s'impose, puis tout bas je reprends :
  • Tu... tu voudrais m'aider à faire un truc ?
  • Tu veux demander à Skaï de sortir avec toi ?
  • Non, marmonne-je.
  • Tu n'aimerais pas sortir avec elle ?
  • Non.
  • T'es vraiment décidé à être seul et malheureux pour le reste de ta vie.
  • Oui.
  • Pourquoi ? C'est insensé ! Avant tu avais pleins de projets, pleins de rêves.
  • Oui, comme tu le dis, avant. Parce qu'avant je savais que tu étais à mes cotés, que tu pourrais me soutenir, que tu serais là quand mes rêves se réaliseraient, que si j'avais peur ou que j'avais des doutes je pourrais me réfugier auprès de toi, que je pourrais te trouver n'importe quand, même juste pour un peu de réconfort.
  • Tu peux toujours. Je suis là.
  • Non ! Arrête de dire ça, tu sais bien que ce n'est pas vrai ! m'énerve-je.
Il s'en va, blessé par mon attitude, et mon âme étouffe un peu plus. Je voudrais pouvoir mourir, que le calvaire s'arrête pourtant même ça je ne peux pas le faire. Impossible, j'ai fais une promesse. Alors que je suis en train de défaire quelques cartons dans ma chambre, pas tout à fait décidé à poser mes bagages, mon frère revient.
  • Je peux entrer ? demande-t-il devant la porte.
  • Évidement. Depuis quand tu as besoin d'une permission.
  • Depuis que tu es en colère contre moi.
  • Ce n'est pas à toi que j'en veux, c'est... cette situation que je hais, explique-je en rejetant les affaires dans le carton.
  • Tu veux de l'aide pour ranger tes affaires ? questionne-t-il en s'approchant de moi.
Je lève les yeux vers lui avec un sourire triste et lui précise :
  • C'est ce que je voulais te demander tout à l'heure.
  • Oh, d'accord. Et bien, transformons-nous en architecte d'intérieur.
Je mets de la musique et écoute ses indications pour installer mon univers. Quelques heures plus tard il s'arrête en m'interrogeant :
  • Ça tu en fais quoi ? Tu veux le jeter ?
Comme il me tourne le dos j'arrête de ranger les CD et le rejoins devant le carton. Mon souffle se coupe lorsque je vois ce qu'il montre : la seule photo de lui et moi qu'il me reste. Sans que je puisse les retenir des larmes ruissellent le long de mes joues, j'attrape le cadre en répondant :
  • Je t'interdis de le jeter ! C'est bien clair !
  • Pourquoi ? Tu n'arrêtes pas de dire que plus rien n'est comme avant et cette photo date de avant. Elle te raccroche à quelque chose que tu n'auras plus. C'est donc tout ce que tu veux : être prisonnier du passé.
  • C'est tout ce qui me reste : une condamnation à perpétuité.
  • Ce n'est pas vrai, c'est seulement toi qui ne veux que ça.
  • Parce que d'après toi je mérite mieux ?!
  • Dois-je vraiment répondre à ça ?
  • C'est inutile, les choses sont comme ça un point c'est tout.
  • Ça au moins ça n'a pas changé, t'es toujours aussi borné, sourit-il malgré tout.
Je dépose le cadre photo sur la table de nuit en murmurant :
  • J'ai le droit d'être malheureux après ce qui s'est passé. Toute ma vie s'est effondrée en une poignée de seconde. J'ai perdu... tout mon univers et mon unique... raison de vivre.
  • Personne ne t’interdit d'avoir mal, Ethan. Seulement la souffrance n'est pas une fin en soi. La vie continue, ta vie continue.
  • Comment elle peut continuer ? demande-je en le regardant. Ce n'est plus possible d'avancer avec de telles ombres accrochés à moi. J'ai envie de mourir à chaque fois que maman pose les yeux sur moi...
  • Ça finira par passer. Avec le temps vos blessures guériront. Il faut seulement le vouloir. Et puis ça ne fait qu'à peine plus d'un an.
  • Un an, sept mois, deux semaines, quatre jours et douze heures.
  • C'est à ce point là, chuchote-t-il.
Plus effrayé que fasciné.
  • Toi qui dis me connaître mieux que moi même, tu ne t'en étais pas rendu compte ?
Il secoue la tête négativement, infiniment triste, désolé de prendre conscience si tard de l'étendue des dégâts.
  • Laisse-moi t'aider, souffle-t-il en s'avançant vers moi.
Je m'apprête à répondre lorsque maman s'invite dans la pièce :
  • Ravie de voir que tu as finalement décidé de t'installer.
  • Est-ce que j'avais le choix ? marmonne-je en regardant le sol.
  • On a toujours le choix. Le repas est prêt ! lance-t-elle avant de repartir aussi vite qu'elle est venue.
Le temps de relever les yeux mon frère est déjà parti, je soupire longuement et me dirige vers la cuisine. Lorsque je retourne dans ma chambre j'entends que Skaï est en train de jouer de la guitare sur le balcon. En fait, nos chambres ne sont séparés que part un mur et nos deux balcons ne sont qu'à un mètre cinquante l'un de l'autre, ce qui fait que l'on entend très bien la musique de l'autre quand les fenêtres sont ouvertes. Je me jette à plat ventre sur mon lit, restant dans le noir, les yeux fermés à écouter ses mélodies. «  J'ai du mal à respirer, je tousse, j'ai l'impression que mes poumons sont en feu. Mes yeux me brûle, j'arrive pas à les garder ouvert. Je dois pourtant avancer, il faut que je le retrouve. Je cris son prénom. Une poutre s'effondre près de moi, je tousse de nouveau, l'air me manque. Je me remets en route, mais deux mains m'agrippe fortement et me tire en arrière. Je me débats, l'autre est bien trop fort et m'en empêche. Il me tire plus fort, une nouvelle poutre s'effondre et manque de nous tomber dessus. » Assis dans mon lit, je cherche de l'air, j'ai du mal à respirer, mon cœur cogne tellement fort que c'en est douloureux. Je grimace en inspirant profondément et essaye de me calmer.
  • Est-ce que ça va ? interroge mon frère debout devant la fenêtre.
  • Non. Tu le sais très bien.
  • Tu devrais en parler avec maman.
  • Pourquoi faire ? Tu crois qu'elle a le pouvoir d'effacer mes souvenirs ?
  • Elle peut peut-être t'aider.
  • Je crois pas.
  • Alors laisse-moi rester près de toi.
  • Quoi ? Tu veux dire comme...
  • Comme il nous arrivait de le faire avant, oui.
  • Ça ne marchera pas.
  • On peut au moins essayer avant de passer directement aux conclusions.
  • J'en sais rien, souffle-je en m’avançant jusqu'à lui. Je voudrais... j'ai envie que... tenté-je en effleurant ses bras.
  • Je sais, mais c'est impossible.
  • Comme si je pouvais l'oublier, marmonne-je en sortant sur le balcon.
  • Qu'est-ce que tu ne peux oublier ? m'interroge skaï en me faisant sursauter.
Comme il n'y avait plus de musique j'ai cru qu'elle était rentrée. Pourtant, elle est bien là, assise en tailleur, son ordinateur sur les genoux.
  • Alors ? insiste-t-elle.
  • Tu ne dors donc jamais ?
  • Pas souvent, non. Je suis insomniaque, comme je te l'ai dis hier.
Je hoche la tête en me rappelant ce détail, puis m'assois par terre en regardant fixement l'obscurité devant moi.
  • Tu as encore fais un cauchemar ?
  • Pour changer.
  • C'est eux que tu aimerais pouvoir oublier ?
  • Entre autre, oui, répondis-je en me tournant vers l'endroit où se trouvait mon frère.
Une vague de tristesse m’envahis, j'aurais aimé qu'il reste avec moi cette nuit.
  • Tu veux me raconter ces cauchemars ?
  • Non, marmonne-je. Je... j'ai pas très envie de discuter ce soir.
  • Je sais qu'on ne se connaît pas, et on ne peut pas dire qu'on soit ami, mais parler ça fait du bien. On est pas obligé de discuter des sujets dont tu n'as pas envie de parler. Il y en a d'autres. Comme par exemple, demain c'est le 14 juillet ça te dirais qu'on aille voir le feu d'artifice ensemble ?
  • Si tu veux.
  • Tu dis ça comme si je t'y obligeais. Si tu n'en n'as pas envie tu dis non et c'est tout. Si tu préfère rester avec ta mère je comprends.
  • Non. Il y a bien longtemps que je ne l'accompagne plus à ce genre d’événement.
  • Pourquoi j'ai la sensation que ça fait un moment que tu ne fais plus rien avec elle ? Pourtant quand elle parle de toi on sent bien qu'il y a de l'amour et que vous avez été proche à un moment. C'est comme si du jour au lendemain vous aviez arrêté de vous parler, de vous entendre. Vous ne faites plus que vivre sous le même toit.
  • Serais-tu un genre de sorcière qui lit dans les feuilles de thé ?
  • Non, rassure-toi, je cerne les gens assez facilement c'est tout. C'est comme si j'arrivais à percevoir tout ce qu'ils veulent me cacher.
  • En gros t'es en train de dire que tu connais déjà tout de moi !
  • En fait, non. Étrangement, tu es le premier avec qui ça ne marche pas. Je ne perçois rien. Sauf ce qui est flagrant, bien sûr. C'est comme si un esprit protecteur faisait barrière.
  • Ryan, souffle-je.
  • Quoi ?
  • Rien.
  • Tu le savais, c'est ça ?
  • Non. Et je ne crois pas à ces choses là.
  • Si tu le dis, me répond-t-elle comme si elle se doutait de quelque chose.
Le silence nous enveloppe un instant, puis elle reprend :
  • Vu que tu fais ta vie comme tu l'entends, sans rien demander à ta mère ça te dirais qu'on aille manger un morceau dehors avant le feu d'artifice ?
  • Il y aurait un endroit sympa pour ça ?
  • Au moins un, oui.
  • Hum, d'accord.
Comme elle n'ajoute rien je lui souhaite une bonne nuit et rentre, laissant la fenêtre ouverte. Je m'allonge sur mon lit, allume mon i-pod et ferme les yeux. Je le retire une minute plus tard en sentant un courant d'air froid courir sur mon bras. Mon regard se pose sur mon frère allongé près de moi.
  • Je peux rester ? demande-t-il.
Je hoche la tête avec un sourire.
  • Alors dors, murmure-t-il en effleurant mon visage du bout des doigts.
Malgré son envie de m'aider et mon infini besoin de faire comme si rien n'avait changé je ne parviens pas à trouver le sommeil.
  • Parle-moi, s'il te plaît.
  • De quoi tu veux qu'on discute, Ethan ? Il est deux heures du matin.
  • Oui mais, j'arrive pas à dormir. S'il te plaît, j'ai besoin d'entendre ta voix. Est-ce que tu crois que la situation va s'arranger ? Tu crois qu'on peut-être à nouveau une famille ? Est-ce que je peux... être ami avec Skaï ?
  • Elle t'intéresse cette fille, hein ?
  • Disons plutôt qu'elle m'intrigue.
  • Ça semble réciproque vu ce qu'elle te disait tout à l'heure.
  • Je croyais que tu étais parti.
  • Je veille, je ne suis jamais loin. Et pour te répondre, tu dois être ami avec elle, ça te fera du bien. Ça te permettra de retrouver une vie un peu plus normale.
  • Mais toi ? J'veux pas que tu t'en ailles ! En septembre on reprend les cours et...
  • Et quoi ? Je serais toujours là. Aussi longtemps que vous en aurez besoin.
  • J'ai peur, souffle-je en me rapprochant de lui.
  • De quoi ?
  • D'aller mieux et de te regarder partir. J'y arriverais pas. Il y a un an, sept mois, deux semaines et maintenant cinq jours, poursuive-je en regardant ma montre, j'ai cru mourir, mais je me suis réveillé et tu étais auprès de moi. J'ai voulu croire qu'on me donnait une seconde chance jusqu'à ce que je comprenne que ce que je voyais n'étais pas la réalité.
  • Et depuis tu erres comme un mort-vivant.
  • Non, pas comme, c'est ce que je suis : mort et vivant à la fois. Je suis mort dedans et vivant en apparence.

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