"J'ai écris notre passé"

Encore un autre de mes romans, toujours qu'en extrait bien sûr, qui traite surtout de l'adoption d'un enfant et de ces conséquences sur la vie de l'enfant. Les questions de la place de cet enfant au sein de sa famille adoptive et biologique me reviennent souvent en tête, c'est quelque chose qui me préoccupe beaucoup alors que je ne suis pas concernée. Ici tout se fait à la façon d'un journal intime, où l'on suit les épreuves et l'avancer de l'histoire au travers de moment précis raconté par les deux personnages principaux. Il y a très souvent plusieurs points de vues dans mes textes, mais là ça va on comprends bien qui parle à quel moment.


Prologue.


Mon reflet sur le lac gelé. J'entends la glace craquer à chacun de mes pas. Avancer, reculer, ça n'a plus d'importance. Plus je marche et plus la glace semble mince. Il est trop tard pour faire demi-tour. Soudain un cri résonne :
  • Mady !
Je me tourne lentement vers la rive, tu es là, à faire de grands signes. Une fois de plus tu cris :
  • Qu'est-ce que tu fais ?
Je ne sais pas. J'ignore pourquoi et comment je suis arrivée là. Mes yeux étaient mouillés, m'empêchant de voir où j'allais, et dans ma tête il faisait si sombre qu'aucune pensée ne pouvait m'atteindre.
  • Mady, reviens !
Pourquoi faire ? Tu as dis que tu ne voulais plus jamais me revoir. Tout ça parce que tu as découvert mon secret. Voilà, à cause de toi, mes yeux sont de nouveau tout mouillés. Je ne vois plus où je vais, la glace craque encore. Si mon âme avait put faire un bruit, le jour où tu as été si cruel, c’aurait été celui-là. Ce craquement, cette déchirure, sonore et étouffé à la fois.
  • Sean a raison ! Il faut que tu fasses lire ton histoire !
La notre en fait. J'ignorais ce qui t'étais arrivé, j'ignorais que ces mots te parlaient autant. Ce n'était que de la fiction au départ, inspiré de mon passé et de l'avenir que j'imaginais. Je ne savais pas que l'absence à mes cotés, l'ami imaginaire de l'orphelinat c'était toi. Lentement, mes pas me ramènent vers la rive, vers toi, mais je me fige pour questionner :
  • Pourquoi tu es venu ?
  • Pour toi. Pour te demander pardon. Et te convaincre d'envoyer ton roman à un éditeur.
Et si je ne voulais pas ? Si je préférais rester seule, comme avant ? Si je préférais continuer d'écrire pour personne ? Au moins quand on vit seul il n'y a qu'à nous qu'on fait du mal. Je n'avais pas l'intention de te blesser. Tu ne m'as même pas laissée le temps de t'expliquer. Je ne voulais pas avoir d'ami, ce n'était pas dans mes projets en arrivant ici. J'ai été encore plus surprise que toi quand j'ai écris ces mots, quand je me suis aperçues que je tenais à toi bien plus que je l'avais imaginée.
  • Reviens Mady ! S'il te plaît. C'est dangereux de rester là.
C'est vrai. Pourtant, tout à l'heure ça n'avait pas d'importance pour moi. C'est même, peut-être ça qui m'a attiré ici. L’héroïne de l'histoire passe à travers la glace et son ami la sauve. Peut-être que je veux faire comme elle. Peut-être que je veux que tu me sauve et qu'on reprenne notre amitié comme elle était avant cette stupide dispute. Parce qu'elle est stupide notre dispute. Si tu réfléchis bien, elle n'a aucun sens. Au lieu de t'énerver de cette façon, tu aurais pus me raconter ton histoire calmement et on aurait parlé de nos passés douloureux ensemble. On aurait cherché tous les deux, les souvenirs de l'autre que nous avons et de cette période de notre enfance. Je suis lassée de tout ça, tu sais. Tes mots m'obsèdent depuis des semaines, m'empêchant de dormir et de réfléchir. J'ai pas écris une seule phrase qui tienne vraiment la route depuis ce jour là. Avec toi, je pensais avoir trouvé quelqu'un de fiable, un ami comme je n'en avais encore jamais eu. Tout s'est effondré le jour où je t'ai donné mon manuscrit pour que tu me connaisses mieux. Je n'avais encore jamais fais une telle confiance à quelqu'un. Mais toi, tu es différent.
  • Mady, je t'en prie. Viens là.
D'accord. Seulement parce que j'ai froid et que j'ai envie que tout ça s'arrête. J'avance dans ta direction, peut-être un peu trop rapidement parce que la glace cède sous mes pieds. Juste le temps de crier :
  • Lucas !
Et je me retrouve sous l'eau glacée. L'ironie du sort, c'est que c'est moi qui ai écris ces mots. À quelques détails près, ça se passe pareil. La glace s'est fissurée de partout, je remonte à la surface et te vois nager vers moi en criant :
  • Mady ! Mady !
J'attrape ta main et nous retournons, ensemble, sur la rive. Tu sors rapidement une couverture de ton sac à dos et m'enroule dedans avant de remettre tes vêtements. Tu me prends dans tes bras et me frictionne le dos vivement en demandant :
  • Ça va ? Comment tu te sens ? Tu n'as pas trop froid ?
  • Ramène-moi... à la maison, te dis-je en claquant des dents.



1


1er juin 2011. Je viens d'arriver dans une nouvelle ville, encore. Je m'appelle Madyson Carter, j'ai 17 ans et j'ai déjà déménagée 11 fois. Pourquoi est-ce que je bouge autant ? Le métier de mon père. Mais cette fois c'est particulier, on connaît cette ville, on y est déjà venu. Pour tout dire, c'est même d'ici dont on est parti la première fois. C'est ici que je suis née et que j'ai vécue 5 ans. Je n'ai pas beaucoup de souvenir de cette période. Quasiment aucun en vérité. Je pense que je les aie volontairement enfouies, parce qu'à cette époque j'étais seule. On m'a abandonnée à la naissance, mes parents m'ont adoptée quand j'avais à peine plus de 5 ans. Ils m'ont tout expliqué quand j'avais 11 ans. Ils voulaient attendre mes 16 ans, mais je suis tombée par hasard sur mon dossier d'adoption et j'ai demandée ce que signifiait le mot adoption. Donc, avant l'âge de 5 ans, les seules informations que j'ai sur moi c'est le nom d'un père que je refuse de connaître et une photo de moi devant l'orphelinat avec un petit garçon qui a le dos tourné, et qui, apparemment, était proche de moi. J'étais pas franchement ravie quand on m'a dit qu'on revenait ici. Je n'ai pas envie de revoir les gens que j'ai connus étant petite. Vous me direz, ils doivent tous m'avoir oublié, mais pas moi. J'ai une mémoire incroyable et je n'oublie rien. Pas même un visage que j'ai aperçue une fois. Enfin, j'ai 3 mois pour me faire à cette idée. Et pour m'occuper l'esprit, je commence à aménager mon univers, fait de musique et de mots. J'ai une quantité astronomique de livres et un tout petit peu plus de cd et disques vinyles. Ce sont mes deux amis les plus fidèles, et mon meilleur ami, depuis l'âge de 9 ans est un stylo bille rechargeable indéfiniment et un carnet que je promène partout. J'ai écris, depuis le temps, 45 nouvelles, 17 romans, et 25 chansons. Actuellement, je me suis lancée dans l'écriture d'une sorte de biographie, inspirée de mon passé obscure. C'est le fait d'apprendre que nous revenions ici, à Rockcreeck Lake, là où mon existence à commencée, pas tout à fait joyeusement, qui m'a poussée à entamer ce nouveau roman.


3 juin. Mon monde est construit et décoré. J'ai envie d'aller marcher un peu pour voir si je me trouve une nouvelle cachette. Un endroit où je peux m'isoler en étant sûre de ne jamais être dérangée. Je branche mon i-pod, le casque visé sur les oreilles, je relève mes cheveux en les nouant autour d'un stylo, passe mon sac sur mon épaule et quitte la maison. Un coup d’œil sur les panneaux m'indique qu'il y a un lac. En réfléchissant, l'espace d'une seconde, je me rappelle que le personnel de l'orphelinat nous y emmenait une fois par an en été. À cette époque de l'année il doit y avoir un monde fou. Alors, je le contourne en passant par le parc. Là aussi il y a trop de monde à mon goût, donc je me glisse entre les arbres et monte sur la colline. D'ici on surplombe le lac, c'est magnifique. Comme je le pensais il y a énormément de personnes autour et dans le l'eau. Des ados en train de s'amuser. Ados dont je suis censée faire partie, mais dont je suis à l'écart. J'ai pourtant essayée de m'intégrer, d'avoir des amis, des petits amis aussi. Sauf que, pour l'amour je ne suis pas assez impliquée, trop absorbée par mes passions. Pour l'amitié, je déménage beaucoup trop pour réussir à tisser un lien durable et je ne vois pas l'utilité des soirées beuveries avec alcools et drogues en tout genre. Tout ces trucs ne les aident pas du tout à aller mieux, ni à se détendre. Ce n'est que pure illusion. Tout ça ne m'intéresse pas. Évidement, être seule c'est pas le truc le plus géniale et le plus amusant du monde. Mais quelque part, je suis seule depuis le jour où je suis venue au monde, alors les choses sont comme ça et je les accepte. Vu que personne ne se soucis de ma présence et que les arbres me camouflent suffisamment pour qu'on ne m'interpelle pas, je m'installe pour écrire. Cependant, j'ai du mal à me concentrer, voir tout ces jeunes là en bas, me fait penser qu'en septembre je vais en retrouver un grand nombre au lycée. J'ai pas envie de revoir ces visages familiers. Eux ne me reconnaîtrons pas, c'est sûr, mais moi si. Leurs prénoms me reviendront en mémoire comme si je les avais quittés hier. Je n'aime pas repenser à mon enfance et quand ils comprendront qui je suis, ils parleront les uns avec les autres, échangeant les souvenirs de moi qu'ils possèdent. Je soupire, augmente le son de mon i-pod et me remets à écrire :
« Aujourd'hui, un nouveau couple est venu voir Mary, ils ont passé un peu de temps avec elle. Cela se passe toujours de la même façon, quand des parents potentiels viennent ici et Mary le sait bien. Ils lui ont montrés des photos de leur maison, de leur fils aîné et de leur chien. Mais, Mary est déjà trop vieille pour eux. C'est assez étrange quand on sait que Mary n'a que trois ans et demi. C'est n'importe quoi. Tout ces gens en mal d'enfant qui défilent ici et qui font croire aux enfants qu'ils rêvent de les avoir dans leur famille, et repartent en disant qu'ils sont déjà trop âgés à leur goût. Après les avoir regardés partir, elle rejoint Luc dans la cour. Ils vont ensemble se réfugier dans leur monde imaginaire qu'ils se sont crée et la déception de Mary s'envole. »
Le soleil commence à tourner, il est 18h00 et comme il y a un peu moins de monde au lac, je décide de passer par là pour rentrer chez moi. J'évite quand même de marcher trop près des groupes d'ados. Cependant, l'un d'eux m'interpelle :
  • Hé, jolie demoiselle, tu viens boire un coup ?
Mathew Carver, déjà à la maternelle il voulait embrasser toutes les filles. Il n’a pas changé. Je m'arrête, abaisse mes lunettes de soleil, puis repart la seconde d'après. Ses copains éclatent de rire en se moquant de lui. Je souris, ravie du résultat et désespérée d'imaginer que je vais me retrouver avec eux en septembre. Il va encore falloir que je fasse un effort surhumain pour rester calme et agresser personne.


9 juin. Depuis que j'ai trouvée cette « cachette » je m'y rends tous les jours. Je vais écrire, observer les gens et penser, contre ma volonté, à mon enfance. Aujourd'hui, avant d'aller sur la colline, je m'attarde un peu en ville, un magasin de musique à ouvert. Le type vend aussi bien des instruments de musique que des cds, des vinyles, des tournes disques et des vieux juke-boxes. Pendant que je regarde les vinyles de rock, un garçon en face de moi m'observe étrangement. Apparemment, il travail ici puisqu'il est en train de ranger les bacs. Il me regarde les sourcils froncés, intrigué, comme s'il cherchait à savoir s'il ne m'a pas déjà vu quelque part. Un peu exaspérée je change d'endroit, sauf qu'une fois à la caisse il est encore là. En me rendant la monnaie, il me questionne :
  • On ne se serait pas croisé quelque part ?
  • Impossible. Je viens d'arriver.
De revenir, en vérité, mais je ne veux pas lui dire, j'ai pas du tout envie de discuter. Pendant tout le trajet qui me conduit sur la colline je pense à ce garçon. Ma mémoire semble posséder une trace de lui, de sa présence dans ma vie. Pourtant, je ne parviens pas à la retrouver. Je suis persuadée de l'avoir connue, et c'est étrange que je ne retrouve pas de souvenir. Je n'oublie rien, jamais. En ouvrant mon carnet, mes yeux se posent sur la seule photo que j'ai de moi à l'orphelinat. Je ne sais pas pourquoi je la scotche toujours dans mes calepins, pourquoi j'ai ce besoin de toujours l'avoir avec moi. Aujourd'hui, elle me trouble, je n'arrive pas à détacher mon regard de ce petit garçon à mes cotés. Je me suis demandé, un nombre incalculable de fois, qui il était et pour quelle raison il tournait le dos à la personne qui prenait la photo. Et, ces mêmes questions m'envahissent à cet instant. Qui il est, lui ? Et qui est ce garçon au magasin de musique ? Je secoue la tête, comme pour en chasser toutes ces interrogations, change de musique et me mets à écrire.
« Mary se souvient très bien du jour où Luc a failli s'en aller. C'était en automne, un vendredi et il faisait un temps épouvantable. Mary s'en rappelle si bien parce que lorsqu'il faisait mauvais et que les enfants étaient obligé de rester à l'intérieur, elle et Luc se cachait toujours au même endroit ; derrière les hautes plantes vertes près du bureau de la directrice, pour espionner les adultes en s'imaginant toutes sortes d'histoires. Ce jour là, Mary était cachée seule, parce que des parents étaient venus pour Luc, et que de leur cachette il avait une très bonne vue sur le bureau. Quelques jours plutôt les deux enfants c'étaient promis de quitter ce lieu tous les deux, et seulement tous les deux. Ce couple était déjà venu deux fois pour voir Luc, alors Mary savait ce qui allait se passer. Ils allaient repartir avec son ami et elle se retrouverait seule, ici. Mais, Luc était malin, très malin et surtout très têtu, quand il avait décidé quelque chose il était impossible de lui faire changer d'avis. Alors, lorsqu'il comprit qu'il allait être séparé de Mary il s'est enfui du bureau pour la rejoindre. La directrice à alors expliquée que les deux enfants était très proche et en voyant toute la tristesse sur leurs visages, la femme avait renoncée. Ils ne pouvaient adopter qu'un seul enfant et ne voulait absolument pas séparer ces deux là. Donc Mary et Luc sont restés ensemble. Pour le moment. »
Comme je suis seule ce soir, mon père est parti en mission et ma mère est en réunion, je m'attarde un peu. Je reste sur la colline jusqu'à 19h00, avant de repasser par le centre ville pour me prendre une pizza. En attendant mon tour, je vois le garçon du magasin de musique entrer aussi. Il s'arrête derrière moi en disant :
  • Re-bonjour.
  • Tu me suis ?
  • Évidement. En dehors de mes heures de travail je pourchasse les jolies filles. Un chouïa agressive. Mais, tu as de très bons goûts musicaux.
Je passe commande, et il ajoute :
  • Par contre tu as des goûts bizarres en matière de pizza.
J'essaye de dissimuler un sourire. Je ne veux pas lui montrer que se présence ne me dérange pas. Je ne veux pas m'attacher à quelqu'un. Je récupère mon repas et m'en vais. Je l'entends murmurer :
  • À bientôt mademoiselle.
Toute la soirée je râle parce que mes pensées sont envahies par ce mec. Pourquoi il m'intrigue tant ? En général, le genre humain ne m’intéresse pas. Enfin, j'ai appris à composer avec la solitude, je ne veux pas que ça change. Tout ce que je veux c'est écrire, rester dans mon monde sans me prendre la tête. Sauf que c'est mal barré, parce que j'ai écris 10 lignes en 2h00. Je laisse tomber pour aller me plonger dans un bain, un peu de musique en fond sonore. Son visage vient même hanter mon sommeil. Cherchant à me défaire de cette sensation, j'allume la lumière, attrape quelques feuilles et un stylo pour écrire le premier truc qui me traverse l'esprit. Une heure plus tard, je repose tout ça. Mais, au lieu de me recoucher, je vais prendre mon carnet, posant mes yeux sur la photo, regardant cette petite fille aux longs cheveux roux et aux grands yeux bleus qui sourit tristement. Jamais je ne l'avais si souvent observée que depuis que nous sommes revenus ici. Il y a aussi ce petit garçon qui m'intrigue de plus en plus, tout comme le type du magasin de musique. La pendule indique 3h05 du matin, il est vraiment trop tard, ou trop tôt pour se torturer les neurones.


Nous sommes lundi. Je suis en congé, alors je me promène un peu dans le parc, profitant du soleil. Tiens, la fan de The Cure arrive en face de moi. C'est vraiment étrange ce que j'ai ressenti en la voyant. Je me suis senti infiniment heureux, comme si je venais de retrouver quelqu'un que je n'avais pas vu depuis des années. Sauf que c'est impossible, elle a dit qu'elle venait d'arriver ici. Pourtant, son visage m'est familier, ses cheveux couleur de feu me rappellent quelqu'un mais, je n'arrive pas à me souvenir. Je m'arrête pour la regarder monter sur la colline. Je voudrais la rejoindre, seulement j'ignore quoi lui dire et elle ne semble pas vouloir avoir quelqu'un près d'elle. Mon histoire à moi, là voilà : j'ai toujours vécu dans cette ville. J'ai toujours supposé que les gens qui m'ont conçu l'ont quitté et c'est monsieur et madame Sanderson alias papa et maman qui m'ont recueilli quand j'avais tout juste 5 ans. J'ai même jamais ouvert mon dossier d'adoption tant cette partie de ma vie est floue et triste. Mes parents sont des gens super et mes deux petites sœurs, adoptées également, sont agaçantes, mais je les adore. Je vais avoir 17 ans dans quelques jours et en septembre je vais entrer en terminale. Ça me plairait beaucoup que la folie fan de rock soit dans ma classe. Je trouverais facilement quelque chose à lui dire sur les cours, sur n'importe quoi. Là, c'est beaucoup trop compliqué, si je lui dis qu'elle me rappelle quelqu'un dont je me souviens pas, elle va croire que je suis dingue. Moi aussi, je me prendrais pour un fou à sa place. Pendant que je la regarde se réfugier entre les arbres, mon meilleur ami Sean me fait sursauter en lançant :
  • Hé Lucas ! Bah quoi t'as vu un fantôme ? Oh non, c'est une fille. Où elle est ? questionne-t-il en regardant de tout cotés.
  • Laisse tomber, tu veux.
  • T'es déjà accroc, se moque-t-il.
  • Arrête. Pourquoi t'es là ?
  • J'voulais me baigner. Je t'ai vu planter là, alors je venais m'assurer que tout allais bien.
  • Hum, ça va. Un peu perplexe, mais je vais bien.
  • Elle doit être sacrément jolie pour te faire cet effet là.
  • Ça n'a rien à voir avec son physique.
  • Mais bien sûr !
  • Y a des choses plus importantes que ça !
  • Avoue que t'y pense aussi ! T'es un ados bourré d'hormones, près à exploser. Comme n'importe lequel d'entre nous.
  • J'suis sérieux. Il se pourrait que je la connaisse, mais elle affirme que non.
  • Donc tu la suis partout.
  • Sois pas idiot, tu veux. Je l'ai croisé par hasard. Je me baladais et je l'ai vu passer. Depuis quand tu me prends pour un serial killer ?
Il éclate de rire, avant d'expliquer :
  • Non. Je voulais juste te faire parler d'elle.
Sean est mon voisin depuis que j'ai emménagé chez les Sanderson, c'est la première personne avec laquelle j'ai joué et noué une amitié à ma sortie de l'orphelinat. Il y a quelques années, 2 ans en fait, je lui ai raconté mon histoire, ce dont je me souviens en tout cas. C'est la seule fois où on en a parlé. Ce jour là il m'a dit que maintenant je n'étais plus seul. Et c'était vraiment le cas jusqu'à ce que je croise le regard de cette fille. Pour en revenir à Sean, on a grandi ensemble et on a toujours été dans la même classe. On nous prend très souvent pour des frères parce que physiquement on se ressemble beaucoup. On fait la même taille, on a la même corpulence, les cheveux châtain clair à peu près de la même longueur. La seule chose qui nous différencie c'est que lui a les yeux verts et moi marron. Il me demande :
  • Du coup tu compte rester là jusqu'à ce qu'elle revienne ?
  • Non, je, heu...
  • Whao, souffle-t-il. Elle te perturbe à ce point là ?
Je le regarde sans répondre. J'ai pas envie d'expliquer pour quelle raison je suis aussi troublé.
  • Bah, mon vieux, elle te met dans un bel état. Tu viens te baigner avec toi pour te rafraîchir les idées.
  • Hum, d'accord.


Lundi 15h20. « C'est en mai que Mary a quitté l'orphelinat. Elle se rappelle que son père portait son uniforme de l'armée. Toutes ses médailles l’attiraient et il l'a laissé jouer avec. Luc n'était pas là, elle ne l'avait vu nulle part. Elle avait espérée le trouver caché derrière les plantes en sortant du bureau, mais il n'y avait personne. Mary était très triste de s'en aller sans pouvoir dire au-revoir à celui qui avait été son meilleur ami, son confident, son frère pendant ces 5 années. Elle demanda à la directrice, madame MC Faden, où était Luc, et la dame lui répondit qu'elle l'ignorait. Sa nouvelle maman lui a alors dit qu'ils reviendraient pour voir Luc, qu'ils pourraient rester amis. Sauf que Mary n'a jamais revu Luc après ce jour. »
Je lève les yeux de mon calepin, c'est étrange comme ça me perturbe d'écrire ces mots. J'observe un instant les gens autour du lac, mon regard est attiré par deux jeunes qui chahutent au bord de l'eau. Je reconnais le type du magasin de musique. Ça aussi c'est bizarre. J'ai l'impression de le voir partout depuis la première fois que je l'ai rencontré. À nouveau je regarde la photo, ce petit garçon là aussi m'interpelle. Je devrais peut-être aller à l'orphelinat voir s'ils peuvent me dire quelque chose sur lui. Je ne sais pas. Depuis qu'on est là, c'est presque devenu une obsession. Ça m'empêche de dormir, de trouver l'inspiration. Je ne sais plus. Et comme on ne voit pas son visage j'ignore si quelqu'un pourra m'aider. Peut-être qu'une personne se souviendra de certaines informations. Et après ? Qu'est-ce que je ferais de ces données ? Je frappe à toutes les portes de la ville pour le retrouver ? Je ne sais même pas si c'est ce que je veux : le retrouver. Tout ce que je sais, c'est que son existence ne m'a jamais autant touché que depuis qu'on est revenus dans notre ville natale. Je voudrais juste des réponses. Si j'ai oubliée son existence, ou plutôt enfouie ces souvenirs, il y a forcément une raison. Mon cerveau n’oublie rien, donc je voudrais comprendre pourquoi il a jugé nécessaire de me dissimuler ces informations. Je passe ma main sur ma nuque en fermant les yeux une seconde, puis reporte mon attention sur les deux garçons en contre bas et recommence à écrire.
Bien plus tard dans la journée. Ma mère me fait sursauter en entrant dans ma chambre. Elle sourit avant de questionner :
  • Tu vas bien chérie ?
  • Ouais. Dis-moi, tu sais qui c'est ? lui demandé-je en lui montrant la photo dans mon calepin.
  • Une jolie petite fille un peu triste. Qui, j'espère, ne l'ai plus.
  • Non, maman. Rassure-toi, je suis très heureuse. Mais, c'est du petit garçon dont je parlais.
  • Oh. Non, je suis désolée, je ne me souviens pas.
  • Ça ne fait rien.
  • Tu pourrais demander à papa. Peut-être que lui s'en rappelle.
  • Il doit revenir quand ?
  • Il ne sait pas encore. Il a dit qu'il appellerait ce soir. Si jamais tu veux lui parler, c'est l'occasion.
  • D'accord.
Elle passe sa main dans mes cheveux en souriant, puis me laisse pour aller répondre au téléphone. C'est la deuxième fois qu'on parle de mon passé. La première fois c'était le jour où ils m'ont expliqué que j'avais été adoptée. Je ne parlerais pas à mon père de mes questions ce soir. Il est à l'autre bout du monde, je ne veux pas qu'il pense que je vais mal. Je ne tiens pas à ce qu'il s'inquiète, alors j'attendrais son retour. De toute façon, je ne suis plus à ça près, quelques semaines de plus ou de moins, ça n'a plus d'importance. Et puis, ça me permettra de réfléchir à ce que je veux vraiment.


Nous sommes mi-juillet. Le temps passe à une vitesse folle. Je n'arrête pas de croiser la fan de The Cure et elle m'intrigue toujours autant. À chaque fois que je vois ses cheveux couleur de feu détaché ou noué autour d'un stylo, la même sensation me traverse. Et chaque fois que mes yeux se posent sur elle la certitude de la connaître se renforce. Elle est repassée deux fois au magasin, j'ai essayé de lui parler, sauf qu'engager une conversation avec une fille sans qu'elle croie qu'on la drague, n'est pas toujours simple. Donc on a échangé quelques mots sur ses goûts musicaux qui sont en partis les miens. Elle était un peu moins agressive que la première fois, mais c'est flagrant qu'elle préfère rester en retrait, qu'elle ne veut pas se lier avec quelqu'un d'autre. Elle pose des murs invisibles autour d'elle. J'ignore pourquoi elle se protège de cette façon et encore moins comment lui faire baisser ses murailles pour pouvoir me glisser dans sa vie et apprendre qui elle est. Depuis la toute première fois, avoir des réponses sur ce que je ressens, sur mes impressions est devenu presque vitale. Je voudrais comprendre pourquoi. Sean est persuadé que je suis amoureux d'elle, mais ça n'a rien à voir avec ça.


1er Août. Mon père est rentré il y a trois jours, j'ai décidée que j'allais lui poser la question par rapport à la photo. J'ai envie de savoir qui est le petit garçon et quel lien on partageait à l'orphelinat. Après, si j'obtiens ces infos, je ne sais pas ce que j'en ferais, si j'essayerai de le retrouver ou pas. Comme je l'ai dis, j'ai pas spécialement envie d'avoir quelqu'un auprès de moi et en même temps la solitude me blesse profondément quand je pense à lui. Sauf que, j'ai également peur de ça, de le retrouver et qu'il ne se souvienne pas de moi, qu'il ne veuille pas de moi dans sa vie. J'ai suffisamment été rejetée pour toutes mes vies à venir. Je rejoins mon père dans le jardin, m'assois près de lui en le questionnant :
  • Je peux te parler un moment ?
  • Évidement, mon cœur. Qu'est-ce que tu veux ?
Je pose la photo sur la table en lui demandant :
  • Est-ce que tu sais qui est le petit garçon à coté de moi et si on était proche ?
  • Je me rappelle que tu avais un ami à l'orphelinat, oui. Mais je peux pas te dire si c'est lui ou pas, vu qu'on ne voit pas son visage. Et j'ai oublié son prénom. Je me doute que ça ne t'aide pas beaucoup.
  • C'est déjà un début.
  • Quelque chose te tracasse, chérie ?
  • Non. C'est juste que depuis qu'on est revenu ici je pense souvent à... avant, et cette photo m'intrigue. En voyant un garçon en ville il y a quelques semaines, j'ai eu l'impression de le connaître. C'était tellement intense que ça m'a vraiment troublée. Alors, je me suis demandé si, peut-être, ça pouvait être lui.
  • Tu as envie de le retrouver ?
  • Je voudrais au moins savoir son nom et si on était proche.
  • C'est la seule chose ? m'interroge-t-il tout bas.
  • Je te le promets, papa. Faut pas que maman et toi vous inquiétiez. Je ne veux pas vous quitter. Je veux juste avoir des infos sur lui. Juste sur lui, je te le jure.
  • Je te crois ma puce. Quand on adopte des enfants, on s'inquiète toujours un peu plus que les autres parents, mais on t'aime très fort et on fera tout pour que tu sois heureuse. Et, je pense que si tu veux en savoir plus sur cet enfant, tu devrais aller à l'orphelinat. Emmène ton dossier et la photo, ils retrouveront sûrement des traces quelque part.


17 août. C'est le début de l'après-midi, j'ai énormément réfléchie depuis la discussion avec mon père. Il m'a fallu du temps pour rassembler mon courage et cette fois je suis bien décidée. Je suis presque arrivée à la sortie de la ville, il me reste quelques mètres à faire avant d'être à l'orphelinat. Cependant, il n'y a aucun grand bâtiment en vue, seul des petites maisons m’entourent. Je ne comprends pas, je suis pourtant certaine d'être au bon endroit. Je me souviens parfaitement du trajet qu'on faisait pour aller en ville et à l'école. Je me rappelle, également, très bien du bâtiment, c'était un vieux manoir en bois avec une grande terrasse où on jouait parfois. J'ai complètement quittée la ville, je reviens sur mes pas, déboussolée. Une dame âgée arrive dans mon sens, alors je l'arrête :
  • Excusez-moi, s'il vous plaît.
  • Oui.
  • Il n'y avait pas un orphelinat ici ?
  • Oh si, mais il a été détruit il y a presque 5 ans.
  • Détruit ! Pourquoi ?
  • Il tombait en ruine. Les enfants ont été transférés à l'orphelinat de la ville voisine.
  • Géniale, marmonné-je. Et, vous savez si les personnes qui y travaillaient sont toujours dans le coin ? La directrice ? Quelqu'un ?
  • Non, je suis désolée, je l'ignore.
  • Ça ne fait rien. Merci de votre aide.
  • Vous semblez triste. Vous avez vécue dans cet orphelinat ?
  • Oui, il y a longtemps. J'avais espérée retrouver quelqu'un.
  • Je suis désolée.
  • C'est pas grave. Merci encore. Bonne après-midi.
  • Au-revoir mademoiselle.
Elle s'éloigne, je reste figée, perdue, déboussolée. J'avais finie par espérée obtenir des réponses et tout s'est effondré en l'espace d'une seconde. Je déteste cette sensation d'être seule au monde, face à un décor dévasté, cette sensation de vide infinie. J'ai la gorge nouée, je me sens mal, faut pas que je reste là. J'ai plus du tout envie de me promener et encore moins de croiser trop de monde en allant sur la colline, alors je vais me réfugier au fond de mon jardin, m'asseoir au pied du saule pleureur. Je m'enferme dans ma bulle en plaçant mon casque sur mes oreilles, mettant le son relativement fort. Mon regard se perd sur la palissade, puis petit à petit se brouille et déborde de larme. Au départ, je n'avais aucune attente, aucun espoir, je ne voulais rien de plus qu'un nom. J'ai finie par désirer beaucoup plus que ça, par me dire que peut-être le petit garçon pouvait avoir envie de me revoir, sauf qu'un bulldozer à écrasé, aplati, tous mes espoirs. Je ne pourrais jamais retrouver ce garçon, je ne pourrais jamais savoir quel lien on partageait. Ça avait fini par me plaire l'idée de trouver enfin une personne qui pourrait combler ce vide, de retrouver un ami. Ma mère me fait sursauter en posant sa main sur mon épaule. Je retire mon casque en même temps qu'elle demande :
  • Qu'est-ce qui ne va pas, ma puce ?
  • Ils ont... détruit l'orphelinat. Papa m'a dit d'aller... les voir, mais... mais je ne pourrais jamais savoir qui c'est... je... je voulais juste... son prénom.
  • Mon bébé, je suis désolée.
Elle s'assoit à coté de moi pour me faire basculer dans ses bras, me berçant doucement pour me calmer. Mes larmes cessent, mon cœur s'apaise. Le coup est dur à encaisser, je vais malheureusement devoir faire avec. Tout ce que je voulais c'était avoir un peu plus de souvenirs sur cette période de ma vie, avoir une preuve que tout n'était pas si sombre. Et puis, je ne sais pas pourquoi je me prends la tête avec ça, j'ai dis que je ne voulais pas avoir d'amis. Il vaut peut-être mieux que je m'en tienne à cela, aussi dur que ce soit. Vu à quel point ça me blesse d'essayer de retrouver quelqu'un dont j'ignore tout.


7 septembre. J'ai repris les cours, les profs on déjà commencé à nous prendre la tête avec le bac et comme ça m'a énervée, je profite de la pause pour m'isoler et écrire un peu. Assise au soleil, mon casque sur les oreilles j'essaye d'oublier les gens qui m’entourent. Sauf que quelqu'un se plante devant moi. Je retire mon casque en jetant :
  • T'es devant le soleil !
  • Salut Madyson, je ne sais pas si tu te souviens de moi...
Je lève les yeux une seconde avant de répondre :
  • Je sais parfaitement qui tu es, Célia Sullivan. Ton père conduisait le bus qui nous emmenait à l'école. Comme il n'y avait que les enfants de l'orphelinat, il l'appelait « le bus des enfants perdus. » Comme si on vivait au pays imaginaire et que l'espace d'un trajet on pouvait s'imaginer la vie qu'on voulait. Sauf qu'il finissait toujours par nous ramener au capitaine crochet.
  • C'est dingue que tu te rappelles de ça.
  • Je me souviens d'un tas de chose. On n'allait à l'école avec tous les autres enfants de la ville sur demande du maire, parce qu'il a grandi à l'orphelinat et qu'il a souffert de la mise à l'écart que ça impose. Et j'avais espérée, en revenant ici, que ce soit toujours comme ça, sauf qu'ils ont...
  • Détruit l'orphelinat, me coupe-t-elle.
Je poursuis mon écriture et elle questionne encore :
  • Ça ne te perturbe pas de parler en écrivant ?
  • J'ai appris à faire avec.
  • Je peux savoir ce que c'est ?
  • Je ne parle jamais d'un roman en cour. Tu veux quoi en fait ?
  • Te parler. En maternelle on était amie. Quand je t'ai vue à la rentrer, je me suis dis que, peut-être, tu aurais aimée me revoir.
« C'est pas vrai ! Pourquoi les gens ne me laissent pas tranquille. Je viens d'apprendre que je reverrais jamais quelqu'un qui m'étais, apparemment, proche, j'ai du mal à l'encaisser, je voudrais juste qu'on me laisse en paix. » Comment ça se fait que même si on fait tout pour rester seul, il y a toujours au moins une personne qui veut s'incruster dans notre bulle.


Nous sommes au lycée. Assis à l'écart de la foule, pendant l'heure de la pause, mes yeux vagabondent et finissent par se stopper sur la seule personne qui les attire irrémédiablement.
  • Mais arrête de la regarder comme ça ! s'exclame Sean. Tu sais que ton obsession devient flippante.
  • Si tu pouvais comprendre ce que je ressens, tu arrêterais de me prendre pour un fou.
  • C'est toi qui refuse de me parler, Lucas. La seule chose que tu m'as dis c'est que tu crois la connaître. Sauf que tu m'as dis ni d'où, ni de quand. On se connaît depuis l'enfance, tu me fais confiance, non ?
  • Bien sûr, ne soit pas idiot. T'es mon meilleur ami, mon frère, la seule personne en qui j'ai toute confiance.
  • Alors, écoute mon conseil et va lui parler. Elle est dans notre classe en plus, tu peux trouver n'importe quelle excuse pour l'aborder sans lui faire peur.
Je soupir, désespéré. Si au moins j'étais sûr de moi. Des tas de gens chuchotent après son passage comme s'ils savaient quelque chose de spécial sur elle. Mais, je n'ai aucune envie de leur parler, j'ai jamais accordé d'intérêt à ce que pense les autres. Je ne vais pas commencer maintenant et encore moins pour un événement qui me perturbe autant. Je refuse de remettre mon opinion, mon point de vue entre leurs mains couverte de jalousie et de cruauté gratuite. La sonnerie retentit, les cours reprennent, m'empêchant d'approfondir ma réflexion.


16 septembre. Le cours de maths m'ennuie à mourir, j'ai envie d'écrire au lieu d'essayer désespérément de résoudre ces équations. Je déteste les chiffres, beaucoup trop tordus, beaucoup trop complexe à mon goût. En plus j'ai absolument pas la tête à ça, j'ai très mal dormis la nuit dernière parce que j'ai encore rêvé de ce petit garçon et de la destruction de l'orphelinat. J'ai eu beau tenter de faire comme si ça ne me touchait pas, y a rien à faire. Ça me hante, ça me torture et du coup je m'isole de plus en plus. Plus j'avance dans mon roman et plus les insomnies se rapprochent, c'est l'enfer. Le type du magasin de musique a, une fois de plus, les yeux rivés sur moi. Il m'intrigue toujours autant ce Lucas Sanderson. Quand j'ai entendue son nom, le premier jour, j'ai été traversée par un frisson étrange et le nom de mon personnage, Luc, m'a frappé comme une évidence. Depuis ce jour, l'envie de lui parler se fait chaque jour plus pressente, plus tenace. Seulement, je suis plus douée avec un stylo que pour discuter avec les autres. J'espère qu'il viendra à nouveau vers moi pour me dire n'importe quoi, ce qu'il veut, je m'en fiche tant que ça me permet de lui parler, de savoir qui il est et surtout pouvoir répondre à la question : pourquoi j'ai l'impression si persistante de le connaître, de l'avoir connue.


C'est la fin des cours. Il est 17h00. En quittant la salle, je dis à Sean :
  • J'vais lui parler, maintenant. Elle rentre toujours à pied, j'vais l'accompagner.
  • Tu ne sais même pas où elle habite !
  • Si. Trois rues plus loin que chez moi. Et puis, il fait beau, mes parents ne seront pas là avant 20h00, alors je peux traîner.
  • Comme tu veux. Mais... Lucas, fais attention.
  • À quoi ? T'as peur qu'elle m'agresse ?
  • Tu sais parfaitement de quoi je parle.
  • Il faut que je sache.
  • Va, dit-il avec un signe de tête en direction de Madyson.
Je marche un peu vite pour la rattraper et lui demande :
  • Ça t’ennuie si je fais un bout de chemin avec toi ?
  • Non, répond-t-elle tout bas.
Je ne sais absolument pas quoi lui dire en réalité. J'aurais pourtant un millier de questions à lui poser. Et la première que je jette est :
  • Je te vois souvent écrire pendant les pauses. Ça fait longtemps que tu as commencée ?
  • Plusieurs années. J'avais 9 ans la première fois.
  • Tu veux en faire ton métier ?
  • Peut-être.
Le silence s'installe à nouveau, c'est elle qui le brise pour questionner :
  • Tu as toujours vécu ici ?
  • Oui.
  • Ça fait longtemps que tu travaille au magasin de musique ?
  • Depuis que je suis en âge de le faire. Le propriétaire est mon oncle, j'ai en quelque sorte grandi dans sa boutique parce que la musique me passionne depuis toujours.
  • Tu joue d'un instrument ?
  • De trois en fait. Saxophone, piano et batterie. J'ai appris les deux premiers avec ma mère et le troisième juste pour me défouler.
Elle sourit. Je l'interroge une nouvelle fois :
  • Tu ne joue pas de quelque chose, toi ?
  • Non. Je joue avec les mots seulement. Parfois j'écris des chansons en écoutant un morceau, mais ça s'arrête là.
  • Est-ce que tu fais lire ce que tu écris ?
  • Jamais ! s'exclame-t-elle de façon à me faire comprendre qu'il ne faut pas que j'y pense.
Encore une fois les mots s’effacent. Torturé par ce désir de comprendre pourquoi j'ai l'impression de la connaître depuis toujours je lui demande tout bas :
  • Je peux te poser une question un peu personnelle ?
  • Je préférerais pas.
  • Très bien.


16 septembre, fin de journée. Son regard se fixe sur le sol, je me sens mal, je suis incapable de baisser mes murailles même l'espace d'un instant. Si je veux le connaître, il faut que j'arrive à me livrer à lui, au moins un peu. Un moment plus tard, il me dit :
  • J'habite par là.
Nous nous arrêtons, ses yeux se plantent dans les miens, je dis :
  • Bon week-end.
  • Merci. À toi aussi.
Il me tourne le dos pour s'éloigner, sans réellement le vouloir j'appelle :
  • Lucas !
Un frisson me traverse, le sentiment d'avoir déjà prononcé ce prénom m’envahis. Sauf que c'est impossible, je n'ai jamais rencontré un autre garçon qui portait ce prénom. Comme il m'observe un peu perplexe je m'empresse d'ajouter :
  • Je ne viens pas d'arriver en fait. J'ai... j'ai déjà vécue ici.
Ses yeux s'écarquillent, il s'apprête à poser une question alors je pars rapidement, mettant mon casque sur mes oreilles. Mon cœur bat à une vitesse folle, j'voulais pas lui faire de révélation de ce genre, même si tout le lycée est déjà au courant. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à lui avouer ce détail. Sans doute pour lui montrer que je peux me livrer. Toute la soirée et toute la nuit je ne cesse de repenser à ce que j'ai dis à Lucas. Ça n'a pourtant aucune importance puisque les autres le savent aussi. Mais, il y a bien plus entre nous, un secret, un souvenir, un je ne sais quoi. Je finie, malgré tout, par trouver le sommeil et sombre quelques heures.


17 septembre. Dans l'après-midi je me rends en ville pour trouver un cadeau pour l'anniversaire de mon père qui est la semaine prochaine. Après avoir cherché un peu partout, je me dirige vers le magasin de musique. Mon cœur s'affole quand je passe la porte et vois Lucas derrière le comptoir. Je ne pensais pas le trouver la aujourd'hui. Je suis relativement mal à l'aise à cause de mon aveu d'hier. J'ai pas spécialement envie d'en discuter maintenant.


À la boutique. Je suis en train de rêvasser quand je vois Madyson entrer. Je lance :
  • Salut Mady !
  • Salut, murmure-t-elle en fuyant vers les bacs de vinyle.
Je suis certain que ce n'est pas un hasard si nos chemins se recroisent si tôt. Je m'approche d'elle pour demander :
  • Tu as besoin d'aide ? Tu cherches un truc en particulier ?
Elle ne me regarde pas pour répondre :
  • Je cherche un album des Beatles pour mon père. Il lui en manque un et je me souviens plus du titre. Comme je connais tous les autres, je pensais que ça me reviendrais en les voyant. Mais j'ai l'impression qu'ils n'y sont pas tous.
  • Il y en d'autres au fond du magasin.
  • Merci, souffle-t-elle avant de s'éloigner.
Je laisse passer une minute avant de la rejoindre. Tout bas je l'interroge :
  • On dirait que tu me fuis. Pourquoi ?
  • Désolé. J'suis fatiguée. Ah, c'est celui là qu'il me faut.
  • Je te fais un paquet cadeau, alors.
  • S'il te plaît, oui.
Pendant que j'emballe le vinyle, son regard se perd au loin. J'ai tellement envie de la connaître, envie de faire partie de sa vie. Alors, poussé par ce profond désir, je la questionne :
  • Tu es occupée demain ?
  • Non. Je... pensais aller écrire près du lac.
  • Est-ce que tu m'autorise à t'accompagner ?
La voyant hésité, j'ajoute :
  • Je ne dirais pas un mot, si tu veux.
Elle récupère son paquet avant de dire en fuyant mon regard :
  • Tu me trouveras sur la colline.
  • Très bien. À demain.
Cette fille me rend dingue ! Et le pire c'est que je ne suis même pas amoureux d'elle. Je ne peux même pas expliquer ce que je ressens. Jamais je n'ai eu cette sensation, ce besoin d'être proche d'une personne à ce point. C'est comme si nous partagions un secret, sans pouvoir en parler ensemble. J'aimerais tellement l'interroger sur certains détails précis, sauf qu'elle refuse toute question trop intime. J'ignore ce qu'il lui est arrivé pour qu'elle se protège des autres de cette façon. Ce qui est sûr c'est qu'elle m'autorise à passer du temps avec elle, donc je n'ai pas intérêt de la harceler avec mes interrogations ni à faire quelque chose de stupide. J'ignore comment va se passer la journée de demain. J'ai hâte d'y être tout en étant un peu inquiet.


Il est 15h00, ce dimanche. Lorsque j'arrive sur la colline, Madyson est déjà là. Comme elle est en train d'écrire, je m'assois près d'elle en murmurant seulement :
  • Salut.
  • Tu vas bien ?
  • Hum. Tu écris quoi ?
  • En général je ne parle pas d'un roman en cours.
  • Ah.
  • C'est une sorte d'autobiographie. Je retrace ce que je crois être mes propres souvenirs à travers les yeux d'un personnage.
  • Pourquoi... pourquoi au lycée les gens chuchotent des trucs quand tu passe ?
  • Parce qu'ils ont de vagues souvenirs de moi. De l'époque où j'étais là. Et, comme je n'ai pas une histoire banale, leurs parents leurs ont sûrement racontés des choses qui les ont marqués.
  • Et ça t'es égale qu'ils le fassent ?
Elle lève les yeux de son carnet pour me répondre :
  • Complètement. Je me fous éperdument de ce que les autres pensent ou peuvent dire sur moi. D'ici quelques semaines ils arrêteront, tu verras.
  • Moi, je ne me rappelle pas, murmuré-je.
  • Bah, compte pas sur moi pour te rafraîchir la mémoire ! jette-t-elle plus du tout amicale tout en se remettant à écrire.
Elle tient vraiment à éviter le sujet de son passé et surtout à m'en tenir à l'écart. Avec elle je fais un pas en avant et trois pas en arrière. Discrètement, elle me lance un coup d’œil, comme si elle était mal à l'aise d'être toujours sur la défensive avec moi. Je lui dis :
  • Puisque tu ne veux pas me parler, je vais le faire. Si tu m'autorise à rester avec toi, c'est que tu veux me connaître, je suppose...
Elle lâche son stylo, ferme les yeux une seconde avant de dire, tout en fuyant mon regard :
  • Je sais qui tu es, seulement mon cerveau a enfoui ce souvenir. Je suis vraiment pas douée avec les gens, je suis seule depuis toujours, j'ai déménagée tellement de fois que j'ai jamais réellement pus m'attacher à quelqu'un. Je ne sais pas comment on fait, je ne sais pas comment on tisse des liens avec les autres.
  • Si je n'avais pas Sean, je serais comme toi. La solitude est ma meilleure amie depuis le jour où je suis venu au monde. Je te comprends parfaitement. Quelque chose d'étrange nous lie, si tu ne veux pas que l'on cherche ce que c'est, ça ne fait rien. Tant que tu me laisse rester avec toi, même si on ne discute pas. J'aimerais pouvoir être près de toi.
  • Tu finiras par te lasser du silence.
  • C'est pas comme si tu ne parlais pas. Et, je suis certain qu'on finira par discuter des choses qu'on cache. Tes murailles ne sont pas indestructibles, tu sais.
  • T'as intérêt de faire bien attention si tu compte t'engager dans tes travaux de démolition.
  • Il y a peut-être aucune chance pour que tu le fasses mais, ais confiance, s'il te plaît. Donne-moi une chance, c'est tout ce que je demande.
  • Tu sais que si tu es là aujourd'hui, cette chance tu l’as déjà obtenue. Libre à toi d'en faire ce que tu voudras.
Je souris avant de lui dire :
  • Bon, et si je te racontais une bonne blague ?
Après avoir posé les bases de notre relation bizarre, nous rions des bêtises que je lui raconte, nous parlons un peu de Sean, des gens du lycée...


Dimanche après-midi. J'ai complètement arrêtée d'écrire pour écouter Lucas. Il y avait au moins une éternité que je n'avais pas autant ris, j'avais presque oubliée à quel point ça fait du bien et mal au ventre aussi. On est bien ici, comme enveloppé dans une bulle, je me sens apaisée, en confiance, comme si j'étais avec un ami très proche ou avec quelqu'un que j'aurais rêvée de retrouver.
Il est à présent 21h30. Assise sur mon lit, je repense à cette journée tout en essayant d'écrire. Je finie par mettre la musique un peu plus fort, m'enfermant dans mon monde pour pouvoir reprendre mon histoire.
« Mary et ses parents ont quitté la ville. Elle se sent très seule dans sa nouvelle école. Luc n'est pas là et il lui manque beaucoup. Ici personne ne lui parle, personne ne la console, personne ne la fait rire. Et les seuls moments où elle s'évade pour tenter de retrouver son ami dans le monde imaginaire qu'ils s'étaient créés, il y a toujours sa maîtresse qui la force à rester avec les autres. Les jours passent, les semaines, les années, Mary voyage beaucoup avec ses parents, les souvenirs de son enfance disparaissent au fil du temps, se font moins clair, ils s'enfouissent dans sa mémoire. Elle à du mal à se lier avec les autres, elle ressent constamment une profonde solitude, un profond manque que ni ses camarades ni ses petits amis n'arrivent à combler, même pas un minimum. Cette souffrance qu'elle tait lui serre le cœur en permanence sans qu'elle en comprenne la raison. »


21 octobre. Nous sommes en vacance ce soir. Lucas et moi nous voyons tous les dimanches et de temps en temps le mercredi après-midi. Seul Sean est au courant, parce qu'au lycée nous n'échangeons qu'un simple « bonjour ». Nous n'en n'avons pas parlé, ça s'est fait tout seul, cette distance pour les cours, mais il a bien comprit que cela me convient très bien. Pendant le cours de maths, il m'envoie un SMS pour me dire : « j'boss pas pendant les vac. On peut c voir ? » J'adore ce langage codé, ça craint ! C'est une insulte à la littérature ! Ça rendrait fous les plus grands écrivains. Je lui réponds juste : « OK ».
Plus tard dans la soirée. Mes parents sont sortis, la musique hurle un peu plus que d'habitude, je me sens d'humeur à composer. Après avoir écris deux chansons, je reprends mon roman quelques heures.
« Au départ Mary racontait son passé aux gens qui se disaient être ses amis, qui disaient l'aimer, mais certaines personnes ont joué de ce détail pour lui faire du mal. Alors Mary s'est jurée que plus personne ne saurait rien d'elle, que plus personne ne ferait partie de sa vie. Elle parle avec ses camarades parce qu'elle n'a pas le choix, cependant hors du collège elle n'en voit aucun. Elle n'a jamais réussi à aimer, comme le voudrait la définition de ce verbe, les petits amis qu'elle a eu. Jamais elle ne s'est confiée à eux sur son adoption, ni sur la photo qu'elle accroche dans chacun de ses carnets. Mary s'est murée au fil du temps, des déménagements, dans une forteresse blindée dans laquelle il n'y a pas de place pour deux. »
Mon portable me fait sursauter, comme chaque fois que je m'évade dans mon monde. C'est encore Lucas, je décroche en lui demandant :
  • Pourquoi tu me harcèle ? Je t'ai dis oui tout à l'heure.
Il rit avant d'expliquer :
  • D'abord, pardon d'appeler si tard. Ensuite, je l'ai fais parce que je voulais savoir si tu aimerais venir au ciné avec Sean et moi demain après-midi. En fait, on se retrouve vers 11h00 pour déjeuner ensemble et après on va voir le film.
  • Tant que ça n'ennuie pas Sean.
  • Mais non il t'adore !
  • Arrête, je lui ai parlé une fois.
Il rit encore, puis me dit :
  • Il voudrait te connaître... un tout petit peu.
  • OK. Tu connais mes conditions.
  • Il y aura pas de problème, je te le promets.
  • À demain.
  • Bonne nuit, Mady.
À part mes parents, il est le seul à me surnommer ainsi et la délicatesse avec laquelle il le prononce me fait frissonner à chaque fois. Et il y a cette sensation qui s'empare de moi, quand il le dit, cette impression qu'un souvenir essaye de refaire surface sans y parvenir. C'est comme si une autre personne prononçait mon surnom de cette façon, sans que j'arrive à me souvenir de lui ou d'elle. Et j'en reviens toujours à cette photo. Est-ce lui qui, le premier, m'appelait comme cela ? Est-ce lui qui me manque autant ? Est-ce lui qui crée ce vide si grand au fond de moi ? J'avais dis que je ne penserais plus à tout cela, que je laisserais tomber mon « enquête » après avoir appris la destruction de l'orphelinat. Sauf que je n'y arrive pas, c'est plus fort que moi, je veux savoir qui est ce petit garçon, je veux connaître son prénom et pouvoir le retrouver. Même si ça semble impossible, mon esprit ne tient pas à lâcher l'affaire aussi facilement, et j'ignore pourquoi.
« Mary n'était pas particulièrement ravie de retourner dans sa ville natale. Cela lui faisait penser à son enfance à l'orphelinat beaucoup plus souvent qu'à l'ordinaire et elle n'aimait pas ça. Le seul point positif qu'elle avait trouvé, c'était qu'elle pourrait peut-être revoir le petit garçon de la photo. Quelques jours après être arrivée, Mary se rend en ville en quête d'une libraire où elle pourra assouvir son besoin d'évasion littéraire. Elle fouille dans les étagères, se promène de rayons en rayons, puis s'arrête pour feuilleter un roman. Un garçon d'environ son âge stoppé non loin de là, jette un coup d’œil vers elle avant de lui dire :
  • Il est super celui-là. J'ai adoré.
Mary se tourne vers son interlocuteur et se fige en voyant son visage. Elle se retrouve envahie d'une étrange sensation, comme si elle le connaissait, comme si elle l'avait déjà rencontré. Il la regarde avec la même expression de doute au fond des yeux, mais aucun d'eux ne fait un pas pour questionner l'autre. »


22 octobre. Il faut que je parte rejoindre Lucas et Sean en ville et ça m'inquiète un peu. Je ne suis vraiment pas à l'aise avec les gens. Sean à l'air gentil, Lucas à une confiance aveugle en lui, seulement moi je ne le connais pas. Il a dut arriver ici après mon départ parce que je n'ai aucun souvenir de lui, rien pour me rassurer. Je ne tiens pas à ce qu'il pose trop de questions, en vérité je préférerais qu’il n’en pose aucune. Bon, après tout Lucas m'a promis que tout se passerais bien et je dois lui faire confiance. Je respire profondément en passant mon sac sur mes épaules avant de quitter la maison. Lorsque j'arrive au point de rendez-vous les garçons sont déjà là. Je glisse un « salut » général, Sean y répond poliment et Lucas ajoute :
  • Tu es très jolie en robe.
Je baisse les yeux, complètement déstabilisée, puis répond tout bas :
  • Merci.
  • On va faire un tour, lance Sean en nous regardant étrangement.
Pendant la balade il me questionne un peu, que des demandes sans importance, rien de personnel. De toute évidence Lucas l'a informé de mes interdits. Cependant, il finit par m'interroger :
  • Et, en fait, tu connais Lucas d'où ?
Sans le vouloir je me fige sur place, le regardant les yeux écarquillés.
  • Quoi ? Ça fait partie des questions interdites ?
  • Sean, s'il te plaît.
  • Mais quoi ? Ça fait 1000 ans que tu te le demande. Vu que tu ne l'as toujours pas questionné, je le fais.
  • J'en sais rien ! Ça te va comme réponse !
  • Non, dit-il en fronçant les sourcils. Seulement, j'ai l'impression de vous avoir blessé tous les deux en posant cette question. J'vous trouve vraiment suspect, mais si c'est votre choix...
Le silence s'impose un moment, puis les conversations reprennent quand nous nous installons pour déjeuner. Tout en les écoutants discutés j'écris quelques lignes :
« Après avoir échangés quelques mots pour les cours, avec Luc, et s'être un tout petit peu rapproché de lui, Mary, qui a toujours cette sensation de le connaître aimerait pouvoir discuter un peu plus sérieusement avec lui. N'étant pas vraiment à l'aise avec les gens, surtout pour la première approche, elle aimerait que ce soit Luc qui fasse le pas vers elle. Et c'est ce qu'il fait, ce vendredi à la fin des cours. Il se joint à elle sur le chemin du retour, la questionnant sur ses goûts littéraire, puis sur ses autres passions. Mary sent bien dans sa voix et dans son comportement, que Luc voudrait lui demander quelque chose de beaucoup plus personnel. Cependant, il ne franchi pas la barrière imposée implicitement, ce qui soulage Mary, qui n'a pas du tout envie de se confier. »
Puis Lucas me dit :
  • Mady, il faut y aller.
Après le film nous nous promenons encore, discutant de choses et d'autres, je questionne mes compagnons sur leur amitié. Depuis quand ils se connaissent, comment ils se sont rencontrés... C'est Sean qui répond à la plupart des interrogations, semblant protéger Lucas de certains événements, de certains détails ou souvenirs. Je n'apprends donc rien qui puisse m'éclairer sur ce qui peut nous avoir unis par le passé. Lorsque je cesse de parler, c'est Sean qui prend le relais en demandant :
  • Et toi alors, on n'a pas le droit de connaître ton histoire ?
  • Je t'ai déjà tout dis ce matin. Le reste ne t'importe pas.
  • J'ai envie de vous secouer comme des pruniers tous les deux.
  • Sean, tu ne vas pas recommencer, intervient Lucas.
  • Je ne comprends pas pourquoi vous ne parlez pas de ce que vous mourrez d'envie de savoir sur l'autre. Vous vous connaissez, vous en êtes sûr à 99%, mais vous refusez de faire le pas pour vous remémorer les souvenirs qu'il faut.
  • Sean, je t'en prie, arrête.
  • T'es mon meilleur ami Lucas, t'es comme mon petit frère, vu que j'ai 6 mois de plus que toi. Depuis cet été je te vois complètement perturbé par une fille à qui tu refuse de poser la seule question qui te libérerait l'esprit. Je ne dirais rien puisque tu me l’as demandé et que je te respecte beaucoup trop pour faire quoi que ce soit contre ta volonté.
  • Ça, c'est un ami, murmuré-je.
  • Quant à toi, gentille demoiselle, quoi que tu cache n'oublie pas que ça le touche aussi. Tu n'es pas aussi bien protégé que tu le penses. Tes murailles ne sont pas aussi solide que tu l'imagine et tu laisse transparaître beaucoup plus de chose que tu le voudrais. Tu te protège de tout le monde comme si tu avais peur de t'attacher à quelqu'un et d'être abandonnée encore. Ou comme si tu avais perdu quelqu'un de cher et que tu ne t'étais jamais remise de sa disparition.
Je ferme les yeux en voyant ceux de Mady se mettre à briller. Et Sean poursuit :
  • Mais sache que Lucas n'a aucune mauvaise intention. Il veut juste des réponses, tout comme toi.
  • Il faut que j'y aille, dit-elle en s'éloignant.
  • Non attend, Madyson, ne t'en vas pas comme ça. J'voulais juste...
  • Oubli tout ça, le coupe-t-elle. Laisse tomber les interrogatoires, les tentatives de leçon de morale. Ça ne te réussi pas.


Samedi après-midi. Sean s'apprête à rejoindre Madyson, alors je le retiens par le bras en soufflant :
  • Laisse-la partir.
  • Lucas, j'suis désolé.
  • Arrête. Depuis le temps que je te connais, j'ignorais que tu pouvais être aussi indélicat.
  • Tu ne comprendras peut-être pas, mais je l'ai fais pour toi. Ça me rend dingue de te voir dans cet état depuis qu'elle a débarquée ici.
  • Depuis qu'elle est revenue, tu veux dire.
  • Peu importe. Lucas, regarde-toi ! À chaque fois qu'elle est là, t'es complètement obsédé par elle et par ce qu'elle te rappelle de totalement flou ! Parle-lui, pose les questions qu'il faut. Elle te rend malheureux et je ne le tolère pas.
  • J'suis pas malheureux, c'est pas vrai.
  • Ah non ! Pourtant quand elle est dans les parages tu ne ris pas, tu ne souris pas, tu reste fixé sur elle comme si il n'y avait plus qu'elle sur terre. Je ne laisserais personne te torturer, te faire du mal, tu entends. Et encore plus si tu ne te défends pas.
  • Je veux rentrer.
  • C'est ça, esquive la conversation. C'est facile de fuir.
  • J'ai entendu ce que t'as dis, Sean. Je te remercie de t'inquiéter autant pour moi, mais c'est mon problème.
  • C'est aussi le mien quand tu m’entraîne dans ce genre de sortie à trois.
  • OK, très bien, on ne recommencera pas. Je la reverrais seul, comme ça y aura plus d'embrouille.
  • C'est pas la solution.
  • Ça suffit !
Il me fixe, désespéré de ne pas parvenir à me résonner davantage. En même temps après ce qu'il a dit à Madyson j'ai bien peur qu'elle n'ait pas envie de me revoir de si tôt. On aurait dit que ce que disait Sean la touchait infiniment, comme si c'était son histoire, ce qu'il lui était arrivé. Je mourrais d'envie de la prendre dans mes bras, seulement j'ignore si les contacts physiques sont autorisés. Cela fait 2h00 que je suis rentré, j'ai vraiment envie de l'appeler pour savoir comment elle va. Pour m'excuser de ce que Sean lui a dit. J'y pense encore et encore, puis me décide. Je raccroche lorsque le répondeur se met en marche. De toute évidence elle ne veut pas parler pour l'instant. Je n'insiste pas et la laisse tranquille.


22 octobre 21h30. Je suis chez moi, seule. Encore infiniment torturée par les mots de Sean, je ne cesse d'écrire pour essayer de me détendre un peu. D'abord une petite chanson, pleine de mélancolie. Je ne sais plus comment évacuer la souffrance :
« J'ai beau vouloir,
Cacher mon désespoir,
Ils savent voir,
Derrière le miroir.
On ne peut pas cacher,
Indéfiniment son passé.
Mais, à qui faire confiance,
Dans ce monde plein de souffrance.
Ses mots m'ont blessée,
Inutile de t'expliquer
Tu l'as bien remarqué.
Personne n'avait si bien supposé,
Ce qu'a put être mon passé.
Parfois j'voudrais pouvoir oublier... »
Puis je poursuis en reprenant mon roman, ce qui ne fait qu'empirer ce que je ressens :
« En début d'après-midi, Mary a fuit ses parents sans un bruit, sans un mot. La souffrance de Luc la torture depuis trop longtemps et la sienne ne fait qu’accroître son malaise. Sans réellement savoir où elle va, ses pas la conduise près du lac gelé, très près. Le goût du danger l'attire encore un peu, elle avance sur la glace l'entendant craquer, se fissurer sous son poids. L'hiver est bien avancée, presque terminé en fait, la température remonte et réchauffe la glace, la faisant fondre petit à petit. Mary est à présent au milieu du lac, la glace continue de se fissurer sous ses pieds, des larmes ruisselles sur ses joues, Luc lui manque beaucoup, elle aimerait le voir, mais lui ne le veut pas. Soudain, comme dans un rêve, sa voix résonne, la fait sursauter. Il l'appelle, elle ne réagit pas, continuant son avancé sur le lac. Luc cri à nouveau son nom, lui demande de revenir vers la rive, vers lui, sauf que Mary doute de la raison de sa présence. Elle s'arrête pour l'interroger, entendant une nouvelle fois la glace gémir et se fendre. Mary finie par obéir à la volonté de son ami, avançant lentement vers lui. Mais, le lac s'ouvre sous ses pieds, l'eau gelée l'enveloppe, elle tente de remonter à la surface, voyant Luc nager vers elle. Il lui agrippe le bras, l'aide à refaire surface avant qu'ils nagent ensemble vers la rive. Luc se rhabille rapidement puis enroule Mary dans sa veste, la prend dans ses bras pour la réchauffer. Elle se met à pleurer sans réellement savoir pourquoi, demandant à Luc de ne plus jamais la laissée seule.
- Plus jamais, lui répond-t-il dans un souffle. »


Le lendemain, dimanche. Je rejoins Sean au terrain de basket, comme prévu. En me voyant il me passe le ballon et je l'envoie tout droit dans le panier. Il lance :
  • Ouais, ça c'est mon pote ! De la graine de Mickaël Jordan !
  • Tu me jette des fleurs pour te faire pardonner de ce que t'as dis hier ?
  • Non. J'espère que tu comprendras un jour. Tu l'as appelé ?
  • J'ai essayé. Elle n'a pas répondu, dis-je tristement.
  • Lucas, soupire-t-il.
  • Oubli ça d'accord. On est là pour jouer au basket, alors arrêtons de parler et jouons.
Il me fixe toujours sans bouger, donc j'ajoute :
  • J'suis sérieux ! Si tu ne veux pas que Mickaël Jordan te botte les fesses, t'as intérêt de t'activer.
Il sourit enfin et on commence la partie.


Lundi 24 octobre 14h30. J'appelle Lucas pour lui dire que je vais sur la colline et que je veux qu'il me rejoigne. Il me dit qu'il est déjà dehors, qu'on se retrouve là-bas. Juste avant de raccrocher il me dit :
  • J'suis content d'entendre ta voix, Mady.
  • À tout à l'heure.
Il est déjà là lorsque j'arrive, assis en tailleur entre les arbres. Je m'installe à ses cotés en glissant un faible « salut ». Pour le moment nous ne parlons pas, nous avons tous les deux les yeux rivés sur le lac, puis il brise le silence en disant :
  • Mady, à propos de samedi, heu...
  • J'veux pas parler de ça, s'il te plaît. On sait tous les deux que Sean a raison, mais je ne peux pas. Avoir cette discussion avec toi maintenant, c'est pas possible. Je t'en prie, je...
  • Ça va, ça va, ne t'inquiète pas, murmure-t-il en prenant ma main. Je ne veux pas non plus en parlé. J'lui avais demandé de ne rien dire, mais il n'a pas réussir à se retenir. Il ne voulait pas te blesser, tu sais, chuchote-t-il.
Je regarde nos mains, l'apaisement que ça me procure est assez perturbant. Je sais que je ne suis pas amoureuse de Lucas, malgré tout sa présence, ses attentions me font autant de bien que s'il était mon âme sœur. Le voyant chercher mon regard, je relève la tête pour lui dire :
  • Tu as un ami très doué pour toucher les gens.
Il rit une seconde avant de répondre :
  • Ouais, il sait trouver les mots. C'est pour ça que je lui avais demandé de se taire. J'voulais pas qu'il te fasse de mal, avoue-t-il tout bas. Tes murailles cachent surtout ta grande fragilité. J'aurais voulu mieux te protéger.
  • J'voudrais un ami, pas un garde du corps, dis-je doucement en observant de nouveau nos mains.
  • Tu me permets quand même d'être les deux ?
  • Tant que tu ne joue pas les super héros, ça me va.
Une fois de plus il rit, puis nous parlons d'autre chose. Lucas et moi nous voyons régulièrement, parfois nous restons ensemble des heures sans dire un seul mot. Ils sont, par moment, inutiles et nous apprécions seulement d'être l'un avec l'autre. Depuis les vacances de la Toussaint nous ne sommes pas ressortis tous les trois. J'ai pourtant dis à Lucas que je n'en voulais pas à Sean, mais ils semblent avoir passé un accord implicite tous les deux alors je n'ai pas insisté. Ma confiance en Lucas est beaucoup plus grande à l'heure qu'il est. Ça fait des semaines que j'y pense et je n'arrête pas de me dire qu'il est peut-être temps d'approfondir les choses avec lui. De jouer, enfin, carte sur table en abordant la seule époque de notre vie que nous tenons bien caché. Seulement, comme il m'est impossible de lui ouvrir mon cœur en face à face, je me suis décidée, difficilement, à lui confier les quatre premiers chapitres de mon roman. Personne n'a jamais lu mes écris, j'ignore même si j'ai un quelconque talent. L'écriture me fais du bien, ça m'apaise et j'adore laisser libre cour à mes idées les plus folles. Quoi qu'il en soit la prochaine fois que je vois Lucas je lui confierais mon roman et j'espère de tout cœur obtenir des réponses à mes questions, tout en essayant de répondre aux siennes.


27 novembre. Lucas doit me rejoindre à la maison pour la toute première fois. Mes parents sont sortis et comme il fait un temps digne de l'automne je nous voyais mal nous retrouver dehors. C'est relativement stressant pour moi, parce qu'il y a très longtemps que personne n'est venu chez moi, longtemps que personne n'a mit les pieds dans mon univers. Faire, en même temps, entrer Lucas chez moi et lui passer mon roman ça fait beaucoup, c'est très éprouvant pour moi. Jamais je ne me suis livrée, ouverte à quelqu'un de cette façon. Certes, je ne reviendrais pas sur ma décision, mais j'ai hâte que ce soit terminé. Il arrive quelques instants plus tard, banalement je lui fais visiter la maison en terminant par ma chambre, m'attardant une seconde avant d'ouvrir la porte. Il observe les murs sans faire de commentaire, lisant rapidement un texte par-ci par-là avant de s'asseoir sur le pouf contre le mur. Je m'installe sur mon lit en face de lui en même temps qu'il dit :
  • J'ai vu Sean hier soir. Il te passe le bonjour. Il espère qu'on sortira tous les trois un de ces quatre.
  • Ouais, bien sûr.
Le silence s'installe comme souvent, puis je me lève pour prendre la pochette sur mon bureau. Me voyant perdue dans une intense réflexion, Lucas questionne :
  • Qu'est-ce que c'est ?
  • Les réponses à tes questions. C'est le début du roman que je suis en train d'écrire.
  • Tu veux que je le lise, c'est ça ? Je croyais que tu ne faisais jamais lire tes écris.
  • En effet. Sauf que là c'est différent. Tout ce que je te demande, c'est de ne pas l'ouvrir ici.
  • Très bien, souffle-t-il en récupérant la pochette. Est-ce qu'il faut que je te le rende rapidement ?
  • Non. Si tu veux attendre un peu avant de le lire, il y a aucun problème.
Il hoche la tête, nous continuons de nous regarder sans rien ajouter jusqu'à ce qu'il demande :
  • Est-ce que je pourrais en parler à Sean ?
  • Du roman ou des réponses qu'il t'apportera ?
  • Les deux. On partage tout depuis toujours, il... voudra savoir... tu sais...
  • Puisque tu lui fais confiance, d'accord.
  • Sean est un gars bien, Mady. Il n’est pas très diplomate quand il s'agit de sentiment, mais derrière sa brutalité et son indélicatesse se cache un grand cœur. Tout ce qu'il veut dire c'est qu'il est inquiet pour moi, pour toi.
  • Il n'aura bientôt plus à l'être. Enfin j'espère, murmure-je.
Lucas se lève pour venir se mettre à coté de moi, tout en prenant ma main, il dit :
  • Je suis certain que ça va aller. Pourquoi tu t'inquiète autant ? On restera ami quoi que tu ais écris.
  • La dernière fois que j'en ai parlée ça a mal fini. Et... après avoir lu ces pages tu changeras peut-être d'avis sur moi.
Il éclate de rire avant de dire :
  • Je sais tout sur toi, sauf ce qui nous lie autant. Quoi que ça puisse être je resterais avec toi. Je ne t'abandonnerais pas, je te le promets.
Ses mots me font mal, c'est atroce. J'arrive juste à articuler :
  • Pas de promesse, je t'en prie. Surtout pas celle-là.
  • Mady, qu'est-ce qui t'es arrivée ?
  • Tout est là. Au départ, je pensais que c'était de la pure fiction, seulement les mots me parlaient beaucoup trop pour que ce soit que pure invention. Tout n'est peut-être pas entièrement comme ce qui est arrivé, mais le plus gros est là.


16 décembre. C'est les vacances de Noël, Lucas, Sean et moi rentrons à pieds après les cours. Quand nous arrivons au carrefour où les garçons bifurquent, Lucas me dit :
  • J'vais le faire ce soir. J'vais commencer, d'accord.
Je hoche la tête, Sean nous regarde étrangement, je m'apprête à lui expliquer, mais il s'empresse de dire :
  • Je ne poserais pas de question.
  • Très bien. Mes parents m'attendent, on doit aller à une cérémonie avec mon père. J'y vais.
  • Je t’appellerais.
  • Bonne vacance, les garçons.
Je m'ennuie à mourir ici, je ne sais même pas à quoi elle sert cette soirée. Ma mère m'a interdit de prendre mon sac, donc mon carnet et mon stylo sont à la maison. Je ne peux m'évader ni physiquement, ni à travers une fiction et pour couronner le tout je n'arrête pas de penser à Lucas qui doit être plongé dans mon roman. J'aimerais savoir où il en est, si ça réveille quelque chose en lui, s'il est le petit garçon de la photo, ou pas. Et d'un autre coté je ne veux pas qu'on ait cette discussion à cause de ce qu'il pourrait répondre. J'ai envie de me retrouver dans mon monde, je ne suis pas du tout à l'aise ici, au milieu de tout ces gens, déguisée en princesse Raiponce. J'ai rarement été aussi mal à l'aise et pas à ma place que ce soir.


Vendredi soir. Assis sur mon lit depuis plus d'une heure, j'ai le roman de Mady entre les mains, enfin le début, et je n'arrive pas à le commencer. Mon regard est fixé sur le titre : « Ton passé est le mien » et rien que ça m'a fais frissonner. Je me sens un peu ridicule d'avoir peur de lire ses mots. J'attends tellement de ses révélations que j'angoisse à l'idée d'être déçu par ce que je pourrais apprendre. À peine ai-je entamé la lecture que je m'arrête à nouveau au bout des quinze premières lignes. « La première fois que Mary ouvrit les yeux, elle était dans un petit lit en plastique entourée de nombreux autres bébés. Chaque jours, des hommes et des femmes, nouveaux parents venaient voir ces petits êtres avant de repartirent avec eux quelques jours plus tard. Personne ne venait voir Mary. Jusqu'au jour où un homme est venu la prendre. Sauf qu'au lieu de la ramenée à la maison, il l'a conduit presque à la sortie de la ville, dans un vieux manoir transformé en orphelinat. L'abandonnant aux soins des personnes, qui, chaque jour, venaient apporter réconfort, tendresse et protection. Tout ce qui restera à Mary de cet homme, c'est un nom à l'endroit où il est écrit : père biologique. Deux mots qui trôneront comme un coup de poignard dans son cœur d'enfant. Au fil des années elle les retiendra et les haïra un peu plus : Mikaël Johnson. » Je repose le tas de feuille sur la pochette, me dirige vers mon armoire pour récupérer, sous une pile de vêtement, mon dossier d'adoption. Je ne l'ouvre pas, observe seulement la chemise cartonnée avec le logo de l'orphelinat. Je respire profondément et reprends la lecture. Mais, je m'arrête à nouveau au bout de quelques lignes, totalement bouleversé. C'est comme si tout ce que j'avais voulu oublier sur mon enfance me sautait à la figure. Je ne peux pas poursuivre, c'est trop dur, ça fait trop mal. Je glisse mon dossier avec le roman dans la pochette avant de cacher le tout dans mon armoire. Personne n'aura idée d'aller chercher quelque chose là-dedans. Enfin, mes sœurs ne fouillent pas dans mes caleçons.
La première semaine des vacances est finie. Je n'ai toujours pas rouvert le roman de Madyson. Je ne l'ai pas vu non plus. J'ai été tellement perturbé par les premières pages que je préfère rester seul pour le moment. Je n'arrête pas de penser à ce que j'ai lu, à mon dossier d'adoption et à l'histoire de Mady. Tout ça me trouble énormément.


Lundi 26 décembre. Je me décide enfin à poursuivre un peu la lecture. Cependant, au bout de quelques pages un passage me touche de trop : « C'est à 11 ans que Mary fut informée de son adoption, de ce que cela voulait vraiment dire. Elle était en train d'aider sa mère à ranger des papiers quand elle est tombée sur cette chemise en carton. Elle fut intriguée par le logo d'une vieille bâtisse, un vieux manoir, juste au-dessus duquel était écrit : dossier d'adoption. Elle questionna alors sa mère pour savoir ce que cela signifiait. Helena fut un peu perplexe, elle et son mari n'avait pas envisagé d'en informer Mary avant qu'elle est atteint l'âge de 16 ans. Cependant, la jeune fille voulait des réponses et sa mère les lui donna avec le plus de clarté possible. Les derniers mots qu'elle dit à sa fille sur le sujet étaient :
  • Garde ce dossier, chérie, il est à toi. Il t'apportera les réponses que tu cherches encore. Et si ce n'est pas le cas, papa et moi seront toujours là pour y répondre et t'aider à comprendre.
Mary emporta le dossier dans sa chambre et l'ouvrit. Non pas pour chercher des informations sur ses parents biologiques, non, elle ne lue aucun des documents qu'il contenait. Tout ce qu'elle voulait trouver c'était des photos d'elle à cette époque qu'elle pourrait donner à ses parents puisqu'ils n'en avaient pas. Elle n'en trouva qu'une seule. Sur cette image Mary posait devant le bâtiment, identique à celui de la couverture, à ses cotés se tenait un petit garçon qui tournait le dos à l'objectif. Cet enfant intrigua Mary, elle voulait savoir son nom, qui il était, s'ils étaient amis ou non. Comme il n'y avait rien sur la photo, Mary fut déçue, elle voulait des réponses. Malgré tout, elle décida de ne pas interroger ses parents, elle savait que les questionner sur le sujet pourrait leur faire du mal, leur faire croire qu'elle n'était pas bien avec eux, ou tout autre chose. Et ça, Mary ne le voulait pas, elle aimait infiniment ses parents, qui était des gens merveilleux. » Je dépose les feuilles à coté de moi, passe mes mains sur mon visage en lâchant un profond soupir. Depuis que j'ai commencé ce roman je suis complètement perturbé, déboussolé, j'ai même pas vu Sean tant tout ça m'obsède. J'attrape d'une main hésitante mon dossier d'adoption, regardant la chemise avec le même logo que celui que Mady décrit. Je passe sur les documents officiels, ce qu'ils racontent ne m'intéresse pas. Puis je tombe dessus, la seule photo qu'il contient. La voir me procure une sensation violente, un coup de poignard en plein cœur. C’est pratiquement la même que celle du roman. Je me tiens devant l'orphelinat, une petite fille aux longs cheveux roux est près de moi, et elle tourne le dos à la personne qui prend la photo. « Je ne peux pas le croire ! Qu'est-ce que ça signifie ?! Est-ce qu'elle savait tout depuis le début ? Est-ce qu'elle m'a donnée ce roman juste pour que je lui dise que j'en suis satisfait ? Je n'y comprends rien ! Elle s'est moquée de moi ! » Je feuillette la suite des pages et mon regard s'arrête que sur des événements qui me concerne et qui ne font qu’accroître ma colère. J'apparais dans son texte sous le nom de Luc. « C'est pas croyable ! J'avais confiance en elle ! » Je jette les feuilles sur mon lit, attrape mon portable pour lui envoyer un message : « y fo k j t vois, tt de suite ! » Sa réponse arrive pendant que j'enfile ma veste : « j'suis chez moi. » Elle me fait entrer, me conduit à sa chambre, puis quand elle voit que j'ai la pochette à la main, elle demande :
  • Tu l'as lu en entier, déjà ?
  • Non ! J'ai pas eu besoin pour m'apercevoir que tu t'es bien foutu de moi !
  • Pardon ?
  • Te fous pas de moi davantage, tu veux ! Tu disais me connaître, mais avoir tout oublié. C'était des conneries ! Tu sais tout de moi depuis toujours et tu t'es servi de mon histoire pour écrire ton bouquin à la con. Tout ce que tu voulais de moi c'était des infos en plus, des détails sur mes souvenirs de cette époque pour écrire la suite !
  • Mais de quoi tu parle ?
  • Arrête de jouer les imbéciles ! Même tes personnages te trahissent ! Mary et Luc, très recherché comme substitue à Mady et Lucas ! T'es comme les autres, en fait, tu ne vaux pas mieux. Tu te sers du malheur des autres pour ton plaisir. Si tu savais comme je m'en veux de t'avoir fais confiance !
  • Lucas, je t'en prie, dit-elle les yeux brillants.
  • Ne t'abaisse pas à me supplier de te pardonner. Je le ferais jamais ! Je ne veux plus jamais te revoir !
Je commence à partir, me retourne une dernière fois pour lui tendre la photo en disant :
  • Et ça, j'en veux pas ! J'sais pas comment tu l'as vue et ça m'est égale. Quoi qu'elle ait put signifier, tout ça c'est fini, c'est clair ! Il n'y aura plus jamais de toi et moi ! Je te déteste !
Puis je claque la porte, fuyant tout ce qu'elle me rappelle, toute ma souffrance et ces images, ces souvenirs qui me reviennent par flash successifs. J'suis tellement énervé que je marche rapidement à travers la ville, sans savoir où je vais, j'veux juste me calmer.

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