"Dans ses rêves"

Nouveau roman. Celui-là c'est un roman fantastique, qui parle aussi de l'autisme, un autre sujet dont j'avais envie de parler. Au départ c'était une nouvelle, puis comme j'avais pleins d'autres idées pour le développer j'en ai fais un roman. Comme d'habitude je n'en mets qu'une partie.

Résumé : Nous suivons les aventures de Gabriel, racontées par son frère Florian. Gabriel vit dans son monde à l'écart de la réalité, mais l'arrivée d'une étrange forme de magie va lui permettre de s'ouvrir au monde, à l'amour, à la réalité qui lui échappait. Leur univers tout entier va basculer, pour une fois, du bon coté.



Prologue.


Je l'observe de loin, parce qu'il n'apprécie pas de sentir nos regards sur lui, peut-être que ça le blesse, je ne sais pas. Mon petit frère. Il a un an de moins que moi. On peut croire que grâce à cela nous sommes très proches mais, ce n'est pas vraiment le cas. Il vit depuis toujours dans un autre monde. Un monde duquel nous sommes exclus, un monde qui nous est fermé quoi qu'on puisse dire ou faire. Il n'a jamais dit un mot, ne supporte pas qu'on le touche et ne nous regarde jamais en face. Sans que je puisse savoir pourquoi, je suis le seul à pouvoir le calmer dans ses moments de profonde détresse. Ce sont les seuls instants où je peux le prendre dans mes bras sans qu'il se débatte de trop. Personne n'a jamais réussi à trouver de quoi il souffre exactement. Parce qu'il se développe normalement et va en cours comme tout le monde sous certaines conditions bien sûr. Mais il a tout ces symptômes et ne fait presque rien d'autre qu'écrire à longueur de journée. Donc je reste là, debout dans le camion, un carton dans les mains, et l'observe. Il est assit sur les marches d'escaliers en train d'écrire je ne sais quoi dans son carnet, tout en se balançant d'avant en arrière. Nous emménageons dans une nouvelle maison, et aussi une nouvelle ville. Mes parents ont toujours refusés de mettre mon frère dans une école spécialisée, ce qui l'a aidé à avoir un semblant de vie normale en étant scolarisé comme tout le monde. Donc lundi nous irons au lycée ensemble, en classe de premier S. Le proviseur et les profs sont prévenus, ainsi que les élèves de la classe où nous serons. Personne ne doit s'approcher ni lui parler et il ne va pas en cours de sport. C'est les conditions à respecter pour que tout se passe sans dommages. Jusqu'ici les gens ont toujours acceptés sans trop poser de questions et j'espère que ce sera la même chose cette fois. Nous finissons de vider le camion sans qu'il nous prête la moindre attention, puis il rentre avec nous lorsque ma mère dit :
Allez Gabriel, on a fini.
Il va s'asseoir dans un coin de la maison et reprend l'écriture de je ne sais quoi. Peut-être qu'il me laissera lire plus tard, parce que parfois il ouvre son calepin et le laisse sur mon bureau ou sur mon lit. C'est notre seule façon de communiquer et les parents l'ignorent. Je leur transmets seulement les messages important sans réellement leur dire comment je le sais.
  • Est-ce que vous voulez aller faire un tour, les garçons ? questionne papa.
  • Gaby, tu veux aller visiter la ville ? lui demande-je.
Bien entendu il ne me répond pas et monte à l'étage. Il en revient un instant plus tard sans son carnet et s'arrête vers la porte. Maman me précise que nous n'avons que 2h00 devant nous, après il sera temps pour Gabriel de commencer ses rituels jusqu'au dîner. Notre vie est très carrée, tout est calculé à la moindre seconde afin de ne pas le stresser davantage. Nous marchons à une distance raisonnable l'un de l'autre pour éviter les contacts.


1

La ville est quasiment déserte, ce qui n'est pas très étonnant vu qu'on est dimanche. Cependant comme c'est le dernier jour des vacances de la Toussaint 2011, j'avais imaginé voir plus de monde dehors à profiter du dernier jour de liberté avant le retour en cours. À un moment je demande :
  • Tu as vu le château sur la colline ?
Il ne dit rien. Il y a bien longtemps que ses silences ne me perturbent plus. Je ne lui propose pas d'aller le voir de plus près avant d'en prendre la direction. Un jour j'ai compris qu'il adore les châteaux, les chevaliers et tout ce qui s'y rapporte. À mes dépends, c'est vrai, mais au moins j'ai appris quelque chose sur lui. Parce que je vous jure que c'est très étrange de vivre aux cotés de quelqu'un que vous ne connaissez pas. Lorsque nous arrivons devant la propriété on remarque qu'elle est habitée. Un type en costard, l'air pas cool du tout, nous accueil sans délicatesse.
  • Vous n'avez rien à faire ici !
  • Désolé, on vient d'arriver en ville. On ne savait pas que c'était habité.
Sauf que Gabriel est bien décidé à faire le tour de la maison et le type à l'en empêcher.
  • Hey, t'es sourd ? J'ai dis que vous ne deviez pas rester ici.
Il va pour attraper mon frère par le bras, je cri :
  • Non ! Ne faites pas ça !
L'homme se stoppe et demande :
  • C'est quoi le problème ?
  • Il ne faut pas le toucher.
  • Hein ?
  • Laissez tomber, je vais m'occuper de lui. Gaby, on ne peut pas entrer, il y a des gens qui vivent là et ils ne veulent pas qu'on visite. Viens.
Il s'arrête devant l'immense porte en bois, puis pose sa main dessus.
  • Mais, qu'est-ce qu'il fait ?
  • Je ne sais pas.
  • Il est bizarre.
  • C'est nous qui sommes bizarre de son point de vue.
Mon frère nous contourne en regardant le sol comme à son habitude et commence à prendre le chemin en sens inverse. L'homme me dit qu'il y a une journée porte ouverte la semaine prochaine, qu'on aura qu'à revenir à ce moment là. Je le remercie puis marche rapidement pour rejoindre Gabriel. Après cela nous rentrons à la maison, je le laisse me guider et c'est là qu'il nous conduit. La balade est finie. En rentrant je raconte un peu à nos parents ce qu'on a vu, y comprit le château, même si Gaby n'est plus dans la pièce. Plus tard dans la soirée, je monte voir ce que fais mon frère, j'entre-ouvre à peine la porte et le vois assis sur mon lit en train d'écrire tout en se balançant. Il n'a pas l'air en colère ni plus mal que d'habitude, alors je redescends. À peine ais-je franchi la porte du salon que ma mère demande :
  • Comment il va ?
  • Il est calme. Il est en train d'écrire.
  • Est-ce que cela ne vous intrigue pas de savoir ce qu'il écrit tout le temps ?
  • Papa, on a déjà eu cette conversation des milliers de fois. Peu importe ce qu'il note tant que ça l'apaise et de toute façon s'il veut qu'on sache quelque chose il nous le fait savoir d'une façon ou d'une autre.
  • C'est vrai. Il ne nous parle pas, mais pourtant on sait toujours ce qu'il veut ou non, confirme ma mère. Et je trouve qu'on ne s'en sort pas trop mal.
  • C'est sûr que les profs sont prévenus, hein ? Parce que lundi on a 2h00 de sport. Et je ne voudrais pas me battre avec un prof le premier jour.
  • Florian, voyons ! s'exclame mon père.
  • Avec des mots papa, pas avec mes poings.
  • Tout le monde est au courant. Il restera avec vous dans le gymnase. Ne t'inquiète pas.
  • Facile à dire, marmonne-je.
Quelques heures plus tard je monte me coucher. Gaby dort déjà, de toute façon même lorsqu'on n'a pas cours le lendemain, il doit se mettre au lit à des heures fixes. Les événements sont très cadrés pour éviter de le perturber. Je remarque qu'il a laissé son carnet sur mon lit. Je m'assois en tailleur et reprend la lecture là où je m'en étais arrêté la dernière fois. Il parle du déménagement en disant qu'il est content qu'on ait changé de ville. Enfin, ce n'est pas les mots exacte qu'il utilise, mais ça revient au même. Un peu plus loin il raconte notre rencontre avec le garde du corps qu'il surnomme « le gorille du château » et explique qu'encore une fois on l'a traité de monstre. À chaque fois que quelqu'un dit qu'il est bizarre ou pose des questions à son sujet c'est ce qu'il écrit. Il a ajouté que j'ai pris sa défense, il a noté précisément : « Florian a de nouveau installé la muraille autour de moi, il m'a sauvé. » Voilà comment je sais que mon frère m'aime. Je tuerais si quelqu'un lui faisait du mal. Bien des gens disent que c'est un fardeau, que je ne devrais pas m'occuper de lui tout le temps, que ce n'est pas mon rôle. Mais d'une, ils n'en savent rien et de deux, imaginez que vous êtes la seule personne en qui quelqu'un ait confiance, est-ce que vous la laisseriez tomber ? J'achève ma lecture et vais poser le carnet sur son bureau, m'arrêtant un instant près de son lit. Personne ne peut se douter de ce qui nous torture lorsque nous dormons. Et ce sont les seuls moments où il a l'air vraiment apaisé. Je fini par me mettre au lit aussi, sachant bien que je ne trouverais pas le sommeil, je déteste les premiers jours.
Le réveil sonne, il est 6h30, c'est notre premier jour de cours. Je suis assez stressé, mon frère l'est bien plus encore et c'est justement ce qui m'angoisse. Le petit déjeuner se veut silencieux. Ma mère a discrètement les yeux braqués sur Gabriel, surveillant la venue d'une trop forte angoisse qui pourrait déclencher une crise, pour le moment ça a l'air d'aller. Pendant que nous finissons de nous préparer dans la chambre je dis :
  • Ça va aller, pas vrai ? Tout va bien se passer. À midi on trouvera un endroit calme pour déjeuner et à 15h00 on rentrera.
Il ne bouge pas, je sais pourtant qu'il m'écoute. C'est notre mère qui nous accompagne au lycée. Assis à l'arrière, aux cotés de mon frère, je m'exclame :
  • On aurait put y aller à pied, ce n'est pas loin ! De quoi on va avoir l'air en se faisant accompagner au lycée par notre mère ?
  • Oui et bien que ça vous plaise ou non je vous conduirais à l'école tous les matins.
Gaby donne un coup sur le siège entre nous, ma mère questionne :
  • Qu'est-ce qui se passe ?
  • Rien, il a juste tapé sur le siège.
  • Pourquoi ?
  • Mais j'en sais rien ! Peut-être qu'il n'est pas d'accord avec le fait qu'on ait un chauffeur. Arrêtes-toi là s'il te plaît.
  • Pourquoi ?
  • Tu vois le lycée est là, on ne va pas se perdre.
  • Florian ! s'exclame-t-elle.
  • Maman arrête, je suis désolé d'accord. Je déteste les premiers jours.
  • Hum. Bonne journée.
  • Il faut qu'on aille voir le proviseur, dis-je à l'attention de mon frère qui s'en moque éperdument.
Le proviseur nous rappelle qu'il a prévenu tout le monde et qu'on ne devrait pas avoir de problème. Ce qui me pose problème c'est le « devrait. » Il poursuit :
  • Vos parents m'ont dit que vous vouliez déjeuner à l'écart.
  • Oui, le monde l'angoisse.
  • Donc, il y a une salle à coté de la salle des professeurs. L'escalier juste là vous y conduira et une autre porte donne dans le self.
  • Ok. Et pour les cours ça ne dérange pas qu'on entre après les autres ?
  • Non, il n'y a pas de problème.
  • D'accord, merci. On devrait peut-être y aller d'ailleurs.
  • En effet.
Mon frère quitte la pièce le premier, le proviseur va pour accompagner sa sortie en posant sa main sur son épaule. Je l'arrête juste à temps :
  • Non, monsieur !
  • Ah oui, oui c'est vrai, pardon.
On a échappé de peu à la catastrophe et il n'est même pas 8h00 du matin. Tout se passe bien pour le moment, quelques personnes de notre classe regardent mon frère étrangement, mais ne font pas de remarques et garde leurs distances. Sauf que là, nous sommes au gymnase. Gabriel est recroquevillé sur le premier banc des gradins imitant une fois de plus le mouvement d'un métronome pendant que le prof fait l'appelle. Lorsqu'il arrive à mon nom il s'exclame :
  • Florian Anderson !
  • Ouais.
  • Gabriel Anderson !
  • Il est là aussi.
  • Et tu réponds souvent à la place de ton frère ?
  • Il ne vous répondra pas.
  • Il est où d'abord ?
  • Là, dis-je en désignant le banc.
  • C'est ridicule, soupire-t-il.
Je me retiens de répliquer le temps qu'il envoi les autres à l'échauffement, puis balance :
  • Je peux savoir ce qui est ridicule ?
  • Ça, dit-il en pointant Gabriel du doigt.
  • Ce n'est pas une chose, c'est mon frère !
  • Peu importe, sa place n'est pas ici.
  • Et la place d'un con elle est où ?
  • Tu veux 2h00 de colle ?
  • Le proviseur les fera sauter à la seconde où je lui dirais que vous avez traité mon frère de monstre.
  • Ce n'est pas ce que j'ai dis ! se défend-t-il.
  • Ça sonne pareil pour nous.
Je soutiens son regard, il fini par céder en disant :
  • Très bien, je passe l'éponge, va t'échauffer.
On est séparé en quatre équipes pour faire des matchs de handball, et pour le moment celle dans laquelle je suis ne joue pas. Je m'assois par terre en me laissant glisser contre le mur et observe mon frère. Il n'a pas l'air bien du tout, pas au point de hurler, mais il serait mieux à la maison. Une fille à coté de moi m'interroge :
  • Ton frère va mal ?
  • T'es devin ? C'est incroyable !
  • Du calme ! Pourquoi tu m'agresses ?
  • Tu poses des questions stupides ! Pour engager une conversation avec moi, se servir de l'état de mon frère n'est vraiment pas une bonne idée.
Elle se lève pour s'éloigner de moi. Un autre gars me dit :
  • Tu ne risques pas de te faire des amis en envoyant balader tout le monde de cette façon.
  • Qui t'as dis que je voulais me faire des amis ?
Une heure et demie plus tard le prof siffle la fin du cours. Je rejoins immédiatement Gaby pour lui dire :
  • Je vais me changer et on rentre à la maison, d'accord. J'en ai pas pour longtemps.
Je jette un coup d’œil autour de nous avant de voir Gaby, la tête baissée comme à son habitude, regarder furtivement les gens de notre classe puis moi. L'envie de dire quelque chose pour le rassurer me dévore toujours, malheureusement aucune phrase n'apaise jamais son tourment. En rentrant à la maison, la première chose que je dis à ma mère c'est qu'il faut qu'elle récupère Gabriel à 13h00 le lundi, il ne faut pas qu'il reste au gymnase, ça lui fait trop de mal.
  • Très bien, je passerais le prendre dès lundi prochain. Et sinon ça a été ?
  • Oui.
Je passe sur mon altercation avec le prof de sport, sinon je vais encore avoir droit à une leçon de morale. J'y peux quoi si ça me fous en rogne que les gens ne tolèrent pas mon frère ? Je le vois parfaitement se replier davantage sur lui même lorsqu'il entend les autres dirent du mal de lui et je ne l'accepte pas. Un hurlement me réveil au milieu de la nuit : Gaby. Je saute de mon lit en allumant la lumière. À peine ai-je fais 3 pas vers son lit que les parents débarquent dans la chambre.
  • Qu'est-ce qui se passe ? questionne ma mère.
  • Un cauchemar, comme à chaque fois qu'il arrive dans un nouvel endroit.
Mon frère est recroquevillé au milieu de son lit et gémit tout en se balançant un peu plus rapidement qu'à l'ordinaire. Doucement, je me glisse derrière lui en même temps que ma mère dit :
  • Je vais chercher ses médicaments.
  • Non, ce n'est pas utile, répondis-je en passant mes bras par dessus ceux de Gaby.
Bien entendu il se débat en hurlant de nouveau.
  • Chut, calme-toi. Je ne te ferais pas de mal.
Il s'agite dans tout les sens, je tiens bon, j'ai appris à anticiper chacune de ses réactions. Notre mère poursuit :
  • Je ne te demande pas ton avis. Jusqu'à preuve du contraire je suis toujours sa mère.
  • Maman, je t'en prie, répondis-je en tentant de calmer mon frère, ne fais pas ça. Laisse-moi un quart d'heure et s'il n'est toujours pas calmé tu feras ce que tu voudras. Mais arrête de le droguer à chaque fois qu'il cri, en plus il avalera rien dans cet état.
Et comme pour confirmer mes dire il se met à hurler encore fois.
  • C'est pourtant la seule chose qui pourra le détendre.
  • C'est pas vrai... et tu le sais... très bien... Doucement... ça va aller.
  • Quinze minutes, pas une de plus, tranche mon père.
La porte se referme, Gaby cesse de s'agiter mais continu de gémir en versant quelques larmes. Ça me fait tellement mal de le voir comme ça.
  • Détends-toi, petit frère, ce n'était qu'un cauchemar. Juste des images créent de toutes pièces comme un dessin. Tu n'as plus à avoir peur. Personne ne te fera de mal, je veille sur toi.
Je le serre juste un peu plus fort. Ses larmes cessent de couler et lentement il se détend pour finir pas se rendormir dans mes bras épuisé par ses cris et sa souffrance. J'entends ma mère pleurer de l'autre coté de la porte et dire, une fois de plus, à mon père combien ça lui fait mal de ne pas pouvoir, elle même, rassurer son fils. Je voudrais aller la réconforter, mais je ne veux pas lâcher Gaby. C'est la même chose à chaque fois, lorsqu'il est calme, apaisé contre moi je n'ai plus envie de me séparer de lui pour de nouveau devoir garder mes distances. Les parents entrent dans la pièce doucement, ma mère s'approche et, lentement, fait glisser sa main sur le visage de Gabriel.
  • On va t'aider à le coucher et tu retourneras dormir. Il est quand même 3h00 du matin et vous avez cours demain, dit mon père.
Lorsqu'ils sortent, je retourne près de mon frère. Mes yeux se posent sur la photo qu'il a sur sa table de nuit. On est proche et en même temps si loin l'un de l'autre, de part son regard fuyant et son corps recroquevillé sur le banc. Je soupire de désarroi et fini par me réfugier dans mon lit. Les jours passent sans plus d'incident que d'habitude. Là, nous sommes vendredi et je tente de convaincre ma mère de nous laisser, Gaby et moi, rester dans la chambre plutôt que d'assister au dîner. Parce que mon père a invité l'un de ses collègues et sa femme.
  • Chéri, j'ai fais votre plat préféré en plus.
  • On va en manger, seulement on voudrait rester en haut, s'il te plaît. Gabriel déteste quand des gens viennent à la maison et il est suffisamment agité en ce moment pour piquer une crise en plein dîner. Et je doute que soit ce que vous voulez.
  • Non, en effet. Je voudrais qu'on dîne tous ensemble. Que mes garçons me fassent le plaisir d'être présent.
Sur ces mots la sonnette retentit dans la maison, Gaby se met à marcher rapidement dans la cuisine tout en gémissant, les bras repliés contre lui.
  • Maman ?
Elle soupire, ne sachant sûrement que faire d'autre, puis cède :
  • D'accord, je vous montrais le repas.
  • Merci.
Je me poste face à mon frère pour qu'il s'arrête puis lui dis :
  • Calme-toi, on ne va pas rester. On dit bonjour et on retourne à l'étage. Ça va aller, ils ne te feront rien, tu n'as qu'à rester derrière nous, si tu veux. Tout ira bien.
Je cherche désespérément son regard, il grimace en laissant échapper un faible cri.
  • Détends-toi, il y en a pour 2 minutes.
Mon père entre dans la cuisine accompagné d'un autre type et d'une femme, il nous les présente :
  • Donc, Michel, qui est professeur d'anglais aussi et sa femme, Katherine.
Ma mère les salue, j'en fais de même tout en restant près de Gaby. La femme s'avance vers lui tout en disant :
  • Tu dois sûrement être Gabriel.
Il fait un pas en arrière, je tend mon bras entre eux et dis :
  • Vous êtes trop proche.
  • Ah oui, désolé. Mon frère est votre professeur d'EPS, il me semble.
  • Bah j'espère que vous n'êtes pas comme lui.
  • Florian ! s'exclame mes parents d'une même voix.
  • Non, cela ne fait rien. Pierre m'a raconté ce qui s'est passé, et je comprends parfaitement ta réaction. À ta place j'aurais fais la même chose. Il est parfois si borné.
  • Qu'est-ce qui s'est passé en cours de sport ? Je croyais que tout s'était bien passé le premier jour, s'étonne ma mère, l'inquiétude pointant dans sa voix.
  • On va vous laisser, d'accord.
  • Pas si vite, Florian. Ta mère a posée une question.
Je soupire bruyamment et demande à Gaby de monter. J'attends qu'il soit sortit pour tout leur expliquer.
  • J'espère que ça ne va pas pourrir votre soirée, glisse-je en m'éclipsant.
Lorsque j'entre dans la chambre, Gaby est assis sur son lit en train d'écrire tout en répétant son mouvement favori. J'allume la télé et lance un film avant de me jeter sur mon matelas. Quelques minutes plus tard, je suis surpris de voir mon frère s’asseoir par terre à coté de mon lit pour continuer d'écrire. Je l'observe un court instant, cherchant à comprendre la raison de se rapprochement, puis n'ayant pas envie de me poser plus de question, je lui dis :
  • Viens t’asseoir là, il y a de la place pour deux. Je garderais mes distances, promis.
Je me décale jusqu'au bord opposé et attend. Il ne bouge pas, je me retiens de soupirer de désespoir avant de me replonger dans le film. Ce n'est qu'à cet instant qu'il grimpe à mes cotés. Il se rassoit en tailleur pour continuer de barbouiller les pages de son carnet tout en se balançant inlassablement. Une heure plus tard, notre mère monte le repas, et s'arrête en entrant dans la chambre.
  • Et bien, il y a longtemps que je ne vous ai pas vu si proche.
Elle dépose le plateau devant nous en ajoutant :
  • Bougez pas, je reviens tout de suite.
Je lève les yeux au ciel en me demandant ce qu'elle nous mijote encore. Elle revient une seconde plus tard avec son appareil photo, je me plains :
  • Maman, c'est pas le moment.
  • Ça suffit Florian, fais ça pour moi.
  • D'accord.
  • Gabriel, chéri, regarde maman.
Elle sait très bien qu'il ne le fera pas et qu'en plus il a horreur des photos. Mais qu'est-ce que vous voulez qu'on y fasse ? Les mamans on ne les changera pas. Elle repart sans qu'il ait fait le moindre mouvement de plus que son balancement habituel. J'attrape mon assiette avec le plus de délicatesse possible pour ne pas l'effrayer puis me recale loin de lui. Il est plus de minuit lorsque j'éteins le second film. Gaby s'est endormit, recroquevillé sur le bord du lit. Je descends jusqu'au salon et appelle :
  • Papa, tu pourrais venir 2 minutes, s'il te plaît ?
  • Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il en me rejoignant en bas de l'escalier.
  • Heu, Gaby dort sur mon lit. J'voudrais que tu m'aide à le coucher dans le sien. J'aimerais dormir aussi.
Je tire la couette pendant que mon père prend Gaby dans ses bras. Il l'allonge tout en douceur, pour éviter au maximum de le réveiller, avant de lui retirer son jeans. Il le recouvre et l'observe un instant, laissant glisser ses doigts sur son visage.
  • Il a toujours l'air si paisible quand il dort, alors qu'il est si agité la journée.
  • Je sais oui.
  • C'est vrai. Tu es plus proche de lui que nous ne le serons jamais.
  • Ça aussi, je le sais. Et il ne faut pas lui en vouloir, ce n'est pas de sa faute. Il voudrait que vous le preniez dans vos bras de temps en temps, mais il n'y arrive pas. Je sais que maman m'en veut parce qu'elle ne peut jamais le calmer, parce qu'il n'y a que mon contact qui le rassure. Même si j'ignore pourquoi. Ce que je veux dire c'est que je m'en fous qu'elle m'en veuille tant qu'elle ne lui en veut pas à lui.
  • Florian, on ne vous en veut ni à l'un ni à l'autre. Il ne faut pas que tu penses des choses pareilles, même si certains mots on put te le faire croire ce n'est pas du tout le cas. Gabriel est malade, on en a toujours été conscient et on a choisi de veiller sur lui nous même. On sait que malgré tout il nous aime tous les trois. Ta mère et moi désirons plus que tout pouvoir faire quelque chose pour qu'il aille mieux, mais on ne peut rien faire à part te laisser auprès de lui. Souvent on s'inquiète de ça, parce que tu t'occupe de lui tout le temps et tu ne vis pas.
  • Mais comment tu veux que j'arrive à vivre alors qu'à chaque fois que je sors sans lui je ne fais que me dire qu'il doit être tout seul, assis par terre dans un coin de la maison. C'est insupportable de le savoir enfermé dans cet enfer dont personne ne peut le sortir, pendant qu'on s'amuse ailleurs. Si j'ai arrêté de fréquenter d'autres gens c'est parce que certains était super mal à l'aise quand il était là et qu'ils ne supportaient pas de me voir toujours triste parce que je pouvais pas m'empêcher de penser à lui. Je me demandais : est-ce que ce film lui aurait plu ? Est-ce qu'il aimerait ce groupe ? Enfin, je n'ai pas très envie de profiter de la vie s'il n'en fait pas parti.
  • Je comprends, c'est pareil pour ta mère et moi tu sais. Il a toujours été impensable que nous laissions ton frère entre des mains inconnues. On a sut très tôt qu'il serait probablement toujours comme ça, mais il reste notre fils et nous devons nous occuper de lui et le protéger. C'est une promesse que tu t'ais fais alors que tu étais tout jeune. Tu ne t'en souviens sans doute pas, quand tu avais 6 ans l'une de vos maîtresses à dit à ta mère qu'il serait préférable de placer Gabriel dans une école spécialisée et tu t'es mis à hurler : « n'abandonnez pas mon frère. » Alors jamais on ne cherchera à te dissuader de prendre soin de lui, on te guidera de notre mieux pour que tu puisses faire ta vie comme tu l'entends, faire des projets et les réaliser, parce que c'est ce que nous avons fait. Aussi longtemps que tu le voudras et le pourras on te laissera veiller sur lui.
  • J'espère bien. C'est mon petit frère, et si les rôles étaient inversés je suis sûr qu'il en ferait autant.
  • J'en suis certain. Bon je vous laisse, parce qu'ils vont finir par se demander où je suis passé.
  • Merci papa.
  • Je vous aime.
  • Nous aussi.
Le lendemain, samedi, je sors seul, retournant marcher le long de la rivière, triste que Gaby n'ait pas voulu m'accompagner. J'ignore depuis combien de temps je suis là, quand un garçon passe à coté de moi. Il est plutôt grand, je dirais comme moi, peut-être un peu plus, il a les cheveux brun, ni trop court, ni trop long. Je crois bien qu'il est dans ma classe, que c'est même lui qui m'a dit que je me ferais pas d'amis en envoyant balader tout le monde au cours de sport lundi. Il me regarde perplexe, puis questionne :
- On... on ne serait pas dans la même classe ?
  • Je crois que si.
  • Je peux m’asseoir ?
  • Si tu veux.
Il s'installe en face de moi tout en se présentant :
  • Je m'appelle Alexandre.
  • Et moi Florian.
  • Qu'est-ce qui t'amène chez nous ?
  • Le boulot de mon père. Il est prof d'anglais au collège et vient d'obtenir sa mutation ici. On aurait dû arriver en septembre mais on a eu quelques soucis avec la vente de la maison.
  • D'accord. Et... t'as pas un frère ?
  • Si.
  • Vous êtes... Heu...
  • Non. C'est mon petit frère, qui est plus grand que moi de deux centimètres cela dit. Il a un an et cinq semaines de moins, mais comme il a sauté une classe...
  • Ah, c'est un intello !
  • Ouais, on va dire ça.
  • Comment il s'appelle ?
  • Gabriel.
  • Tu as d'autres frères et sœurs ?
  • Non. Mes parents n'ont pas voulu prendre le risque de... ouais, enfin, on s'en fout. Et toi ?
  • Non, je suis fils unique.
  • Comment ils sont les gens ici ?
  • Qu'est-ce que tu veux savoir exactement ?
  • Bah, au lycée les gens sont du genre à vouloir tout savoir sur tout le monde ou à s'occuper uniquement de leur vie ? En une semaine j'ai pas trop eu le temps de me faire une idée.
  • Comme partout je pense, ils sont curieux quand il y a des nouveaux, mais en général ça ne tourne pas à l'obsession. Comme vous arrivez en cours d'année ils risquent de vous posez des questions mais vous devriez y survivre.
  • Moi oui. Mon frère, je ne pense pas.
  • Est-ce que je peux te demander pourquoi ?
  • Gaby n'est pas comme nous. Tu l'as sûrement remarqué durant la semaine. Il va en cours comme nous parce qu’en maternelle et primaire il a suivi un programme d’insertion, mais il vit dans un autre monde. Il ne faut surtout pas le toucher, il ne parle pas et ne te regardera jamais en face. Il passe le plus clair de son temps à écrire ou à lire tout en se balançant comme une pendule.
  • Il est autiste ou quelque chose du genre ?
  • Plutôt quelque chose du genre. Et les premiers jours sont toujours délicats. Les gens veulent se présenter en te serrant la main ou te demande comment tu t'appelles et lorsqu’ils le voient rester immobile et silencieux, beaucoup le prennent mal. Cette semaine j'ai pus éviter les autres, mais c'est pas dit que ça dure.
  • Tu sais si... si tu me permets de rester avec vous je ferais en sorte qu’ils ne vous approchent pas.
  • À mon tour de savoir comment tu comptes t'y prendre.
  • Tout le lycée est persuadé que mon père fait parti de la mafia, alors qu'en fait il est courtier en bourse.
  • C'est quasiment la même chose.
Il éclate de rire, je souris timidement. Ça fait un bail que je me suis pas senti si bien en compagnie de quelqu'un. Quelqu'un qui ne juge pas mon frère. C'est vrai il ne l'a pas encore rencontré officiellement, mais à première vu il ne devrait pas y avoir de problème, en tout cas de son coté.
  • Tu vis ici depuis toujours ?
  • Oui.
  • Tu sais qui vit au château, là-bas ?
  • Ma tante.
  • Sérieusement ?
  • Hum hum. C'est la sœur de mon père.
  • En arrivant dimanche dernier j'y suis monté avec Gaby parce qu'il adore les châteaux, mais on a été reçu par un gorille.
  • Ah, c'est Alfred. J'imagine qu'il vous a viré ?
  • Ouais. Mais il m'a dit qu'il y a une journée porte ouverte bientôt. J'y emmènerais bien mon frère.
  • Tu n'es peut-être pas obligé d'attendre jusque là. Je peux vous y emmener demain.
  • Tu... tu ferais ça ? On ne se connaît même pas !
  • Bah, on fait connaissance là, non ?
  • Si, mais...
  • Mais quoi ? Ça ne la dérangera pas, elle adore faire visiter sa « demeure » comme elle dit. Je dois passer la voir demain, alors profites-en.
  • Je ne sais pas quoi dire.
  • Dis oui.
  • Le problème c'est que ça ne dépend pas entièrement de moi.
  • Ah oui, j'imagine que ton frère n'est pas toujours partant pour sortir.
  • Exacte. Notre vie est assez carrée, calculé pour ne pas l'angoisser et en général il faut le prévenir pendant longtemps avant de pouvoir faire quelque chose d'important. Mais, quand ce n'est qu'une sortie, il peut accepter même si on le prévient un peu tard.
  • Je te laisse mon numéro, tu lui en parle et dès que tu sais s'il veut y aller tu me préviens et je vous organise ça.
  • C'est vraiment gentil à toi.
  • C'est pas souvent que j'ai l'occasion de faire plaisir à quelqu'un. On va dire que je suis plutôt solitaire donc...
  • Pourquoi t'es venu me parler alors ?
  • J'essaye de me soigner, répond-t-il en esquissant un sourire.
Je ris et ajoute :
  • Bienvenu au club dans ce cas.
En rentrant chez moi quelques heures plus tard, je leur raconte que j'ai fais la connaissance d'Alexandre, qui est aussi dans notre classe et qu'il est de la famille de la personne qui vit au château.
  • D'ailleurs, si tu veux aller le visiter demain, il m'a proposé de nous y emmener, dis-je à mon frère en posant ma main près de son bras sur la table.
Il fait un mouvement de repli comme toujours, puis quitte la cuisine. Ma mère s'empresse de le suivre. Je soupire et me lève à mon tour, m'arrêtant juste avant de sortir de la pièce, pour savoir ce qu'elle va lui dire. Il s'est recroquevillé vers la fenêtre du salon, les mains posées sur ses oreilles il se balance rapidement tout en gémissant, alors elle s'agenouille face à lui, cherchant vainement son regard puis dit :
  • C'est une bonne idée cette visite, tu ne trouves pas ? Je sais que tu adores les châteaux, chéri.
Il reste cloîtré dans son mutisme, fuyant désespérément le regard de ma mère qui murmure :
  • J'aimerais tellement pouvoir te prendre dans mes bras, mon petit garçon.
  • Papa, appelle-je pour qu'il aille la réconforter.
Voilà, avec un simple geste j'ai réussi à pourrir la soirée qui avait pourtant bien commencée. Nous finissons le dîner dans le silence et sans Gaby. Lorsque je monte me coucher, il ne dort pas, il est assit dans son lit encore en train de se balancer, son carnet posé devant lui. Il le fait lentement glisser vers moi en jetant à peine un furtif coup d'œil dans ma direction. Je l'attrape doucement pour voir qu'une seule phrase est écrite et répétée : « le château est ouvert demain. » Je souris, repose le cahier devant lui et dis :
  • D'accord, on ira au château. Je téléphonerais à Alexandre demain matin. Il est un peu tard pour le faire maintenant.
Le temps que je me déshabille il s'est allongé, j'éteins la lumière tout en disant :
  • Bonne nuit, petit frère.
Il m'arrive encore parfois d'attendre une réponse. C'est dérisoire, mais je ne veux pas perdre l'espoir qu'elle viendra un jour. Il est 14h00 ce dimanche, Gaby et moi allons retrouver Alexandre en centre ville. En chemin, je dis à mon frère :
  • Tu verras, Alexandre semble être quelqu'un de bien. Il ne te fera pas de mal. Il sait qu'il ne doit pas s'approcher de toi, ni te toucher. Si tu as un minimum confiance en moi, tu n'as pas à avoir peur. Je ne me trompe pas sur les intentions des gens et les siennes sont tout ce qu'il y a de plus honnête.
J'ignore si cela le rassure, en tout cas il ne paraît pas plus effrayé que d'habitude. Alexandre me salue en me serrant la main, je lui dis :
  • Salut. Je te présente mon frère, Gabriel. Gaby, voilà Alex. Il va nous emmener au château.
Mon frère reste en retrait et lance un très rapide coup d’œil dans la direction d'Alex. Lui ne bouge pas et dit simplement :
  • Je suis ravi de te rencontrer Gabriel.
Gaby jette un nouveau regard vers lui. Alexandre tente de s'avancer en disant :
  • Alors comme ça tu aimes les châteaux ?
Mon frère fait un pas en arrière, Alex ne bouge plus, me regarde, semblant me questionner silencieusement. Alors j'explique :
  • Doucement, ne t'approche pas trop, ni trop vite.
  • Ah, d'accord. Si on y allait, hein ?
Sur le chemin, Alex et moi discutons un peu. Mon frère est calme et ne semble pas déranger par mon nouveau copain qui marche à ses cotés. Un instant plus tard, Alexandre, Gaby et moi arrivons devant l'entrée du château. Alfred nous conduit jusqu'à sa patronne, la tante de mon ami. Elle nous questionne quelques minutes puis entame la visite. Au bout de deux bonnes heures, après nous être promené dans les souterrains du château nous sortons dans le grand parc, faisons quelques pas avant de découvrir une cours tout en pierre, un puits en son centre. Il y a aussi une cascade entre les nombreux arbres et un ruisseau sans échappe, cours au milieu de l'herbe et serpentent jusqu'à la cours. Mon frère gémit en passant derrière moi, je murmure :
  • Chut, n'ait pas peur, on ne s'approchera pas de l'eau.
Madame Tyler nous propose alors de nous avancer encore un peu, pour aller voir les écuries et les armes datant du moyen-âge en nous précisant qu'une fois par an elle organise une fête médiévale afin que tout cela continue d'être utilisé. Elle nous montre aussi les costumes que les gens portent pendant la fête, demandant à mon frère s'il veut en mettre un. Il ne réagit pas, se promenant entre les portants de vêtements jusqu'à arriver devant un chevalier en armure. Nous l'observons de loin effleurer l'armure avant de s'emparer de l'épée, je m'apprête à l'arrêter, mais la tante d'Alexandre me retiens en chuchotant :
  • Non, laisse-le, il ne risque pas de se blesser elle n'est pas affûtée.
Je reste donc en retrait tout de même un peu inquiet sans vraiment savoir pourquoi, puis le vois fermer les yeux en passant ses doigts le long de la lame, remarquant cette légère expression de satisfaction sur son visage. Je tape sur le bras d'Alexandre tout en chuchotant :
  • Hé t'as vu ? T'as vu ça ?
  • Quoi ? me demande-t-il tout bas.
  • Il est heureux
  • Et c'est rare ? questionne-t-il intrigué.
  • Bien plus que ça, explique sa tante.
  • C'est la troisième fois en 16 ans que je le vois dans cet état. Pour moi c'est comme un petit miracle. Merci, merci de nous avoir amené ici.
  • Il n'y a pas de quoi.
  • Ah si, si, je te jure. Tu ne sais pas ce que je donnerais pour le voir sourire vraiment même juste une fois.
  • J'en ai aucune idée, c'est vrai. Mais vu comment ça te fais plaisir je veux bien comprendre que ça a une grande importance.
On s'attarde un peu dehors, sur le terrain qui accueil les jeux. Je guette la moindre ombre d'un nouveau moment de bonheur, mais rien. Lorsque nous rentrons, madame Tyler nous propose de prendre le thé avec elle, cependant je me trouve dans l'obligation de refuser son invitation car mon frère est planté devant la porte, attendant sans doute impatiemment qu'elle l'ouvre pour rentrer. Dans 2h00 il sera 20h00, le moment du repas, et avant cela il y a tout un tas de rituels pour lesquels il ne doit pas être en retard, décalé de quelques minutes le moindre geste le stress à un point épouvantable.
  • C'est vraiment gentil, madame, mais nous devons y aller.
Elle se tourne vers mon frère l'air triste puis répond :
  • Cela ne fait rien, une autre fois. Revenez quand vous voulez. Les amis d'Alexandre sont toujours les bienvenus dans ma demeure.
  • Merci.
Notre nouvel ami nous reconduit jusqu'à la maison, je le remercie de nouveau et il me dit :
  • On se voit demain, au lycée.
  • D'accord, à demain.
Je passe la porte après mon frère qui monte directement à l'étage et mes parents me sautent presque dessus pour savoir :
  • Alors racontes, comment ça s'est passé ? Il n'y a pas eu de problème ?
  • Aucun, ça lui a même fait extrêmement plaisir, si vous me suivez. Je vous jure. On est allé dans le jardin du château, qui ressemble plus à un immense parc en fait, et il y a tout un site qui ressemble aux cours des châteaux au temps du moyen-âge où Madame Tyler organise une fête médiévale, donc il y a tout les trucs que Gaby adore, même un soldat en armure, et la tante d'Alex l'a laissée jouer avec une épée, il a sûrement dû s'imaginer à cet époque ou je ne sais quoi, mais en tout cas il a presque sourit, il était très content.
Mes parents sont aux anges et je trouve ça génial. Chaque petit instant où Gaby sort un peu de son monde pour profiter et apprécier ce qu'il aime où il parvient légèrement à exprimer du plaisir c'est un cadeau des plus précieux pour nous. Au fil des semaines qui s'écoulent nous tissons une amitié forte avec Alexandre, qui fait extrêmement attention à tout ce qui concerne Gabriel, il est très attentionné avec lui. Je suis sûrement beaucoup trop protecteur, parce que cela m'inquiète parfois. Enfin, l'important c'est que Gaby aille bien, et qu'Alexandre ne fasse rien de stupide avec lui. Mon frère ne se barricade plus en présence d'Alex, il laisse ses bras le long de son corps et non pas repliés contre lui, comme lorsqu'il se protège des gens, il se fait doucement au fait qu'il est très souvent avec nous. On se voit tous les jours durant les vacances de Noël, Alex ne semble pas particulièrement tenir à rester avec ses parents pendant les fêtes, ou même n'importe quand, je crois qu'il passe beaucoup de temps hors de chez lui. Là nous sommes en janvier 2012, le vendredi 20 janvier pour être exacte et je rêve que cette journée s'achève depuis que j'ai ouvert les yeux. Comme tous les matins, nous retrouvons Alex devant le lycée, il salue d'abord mon frère, puis me serre la main en disant :
  • Joyeux anniversaire, mon pote.
  • Hum, merci.
  • Whao, ça a l'air de te faire autant plaisir que si je t'avais dis qu'on avait une heure de cours en plus.
  • Désolé. Je ne fête plus mon anniversaire depuis des années. Je hais cette journée, je veux juste qu'elle soit finie.
  • Est-ce que je... peux savoir pour quelle raison tu fais ça ?
  • Parce que ça fait trop mal de voir à quel point ça lui est égale, dis-je tout bas en désignant mon frère. C'est vrai, il se fout aussi de son propre anniversaire, que les parents célèbre quand même. Mais moi... je peux plus. Ils le savent et on fait comme si c'était une journée ordinaire.
  • Ça change pourtant rien, si je peux me permettre. Puisque ça a quand même l'air de te faire souffrir.
  • Change de sujet, s'il te plaît.
Alors, pour faire diversion il m'a parlé un peu des projets qu'on pourrait faire pour les proches vacances qui ne sont pourtant pas toutes proches. Alors que je regarde par la fenêtre durant tous les cours, Alex me fait sursauter en se tournant vers moi pour demander :
  • Tu veux qu'on le fasse ensemble ?
  • De quoi ?
  • T'as pas écouté, sourit-il.
Je secoue la tête négativement, il explique :
  • La prof vient de demander de se mettre par deux pour faire un exposer sur un des bouquins qui sont en listes pour l'examen de français.
  • Ah, bah, oui, ok.
Seulement, à la fin du cours, pendant que je nous inscris sur la liste, la prof me dit :
  • Rajoute le prénom de ton frère aussi. J'aimerais que vous le fassiez tous les trois. Lui ne se mettra avec personne et je ne vois pas pourquoi il devrait travailler seul alors que les autres sont deux.
  • Bien madame.
Comme l'exposer n'est pas à présenter tout de suite, nous convenons de le faire mercredi prochain, à la maison. Alex semble soulagé quand je lui explique qu'il est préférable pour Gaby qu'on reste chez nous. De toute façon, il ne nous a jamais proposé d'aller chez lui, même si je pense que c'est pour une bonne raison qu'il ne l'a jamais fait. Nous voilà mercredi, la sonnerie de fin de cours me fait sursauter, je n'ai absolument pas écouté les leçons de la matinée, je suis beaucoup trop stressé pour parvenir à me concentrer sur quoi que ce soit. C'est aujourd'hui qu'Alex rentre avec nous pour que nous commencions notre exposé. Sauf que c'est la toute première fois qu'il va mettre les pieds chez nous, dans l'univers de Gaby, où nous vivons à son rythme. Comme chaque jour nous attendons que la salle se vide avant de la quitter à notre tour. Nous marchons en silence en direction de la maison, déjà que le trajet n'est pas long, il me semble encore plus court ce matin. Mon angoisse augmente à mesure que nous avançons, il faut que je parle à Alex, et tout de suite :
  • Alex, il faut que...
  • Quoi ? Tu vas enfin me dire pourquoi tu es aussi inquiet aujourd'hui ?
Je jette un coup d’œil vers mon frère, quelques pas devant moi, puis me lance nerveusement :
  • C'est juste que... tu ne sais pas tout au sujet de... comment on vit... comment sont les choses chez nous.
  • Explique-moi. J'vais pas m'enfuir en courant si c'est ça qui t'inquiète.
  • Tu peux pas l'affirmer avant de connaître ce dans quoi tu vas mettre les pieds. Tout est réglé, calculé à la moindre seconde, les mêmes gestes, les mêmes actes sont répétés tous les jours. On vit en fonction de Gaby et pas en fonction de ce qu'on a envie de faire. En plus, je n'ai jamais travaillé avec lui, on fait nos devoirs en même temps et ça s'arrête là.
  • Guide-moi, apprends-moi ce qu'il faut faire, comment agir. Je n'arrête pas de te le demander, mais on dirait que tu ne veux pas, que tu ne me fais pas encore confiance.
  • C'est pas ça.... Si tu passes l'après-midi, alors d'accord.
Il sourit, mon inquiétude n'en n'est pas moins présente. Nous arrivons à la maison, j'arrête Alex sur le palier, restant près de lui pendant que Gabriel sonne deux fois, puis m'avance pour lui ouvrir la porte. Nous entrons derrière lui, je jette mon sac dans un coin en lançant :
  • On est rentré !
Maman surgit de la cuisine en répondant :
  • C'était bien cette matinée de cours.
  • Ouais. M'man je te présente Alex.
  • Ravie de te rencontrer enfin, lui dit-elle.
  • Moi aussi, madame.
Nous nous installons à table dans la cuisine, et pendant qu'Alex répond aux questions de ma mère je prends un morceau de pain, qu'elle récupère en me disant :
  • Attends ton frère.
  • Je meurs de faim ! Y en a encore pour 10 minutes. Je l'aurais fini avant qu'il revienne, me plains-je.
  • Je servirais le repas à 12h30, comme tous les mercredis et tu attendras jusque là.
Je soupire résigné. Puis Alex m'interroge :
  • Comment on fait pour l'exposé ? Tu y as réfléchi ou pas du tout ?
  • Le mieux se serait de faire un truc en trois parties, comme ça Gaby peut bosser tout seul. Je l'ai prévenu qu'on doit en discuter cette après-midi, donc... on verra bien comment il prend ça.
Il entre dans la cuisine, maman se lève pour lui montrer ce qu'elle a préparée, selon le rituel, puis il s'assoit à table pour patienter jusqu'à la fin de la minute restante. Sa montre sonne et nous mangeons enfin. Pour le moment Alex ne dit rien, cela ne semble pas le perturber. Après le repas, je lui précise qu'on a jusqu'à 14h00 pour faire un peu ce qu'on veut avant de se mettre à bosser, puisque le planning est établi de cette façon. Gaby s'absente un instant puis revient s'installer dans son fauteuil avec un livre. Alex le regarde se balancer lentement d'avant en arrière comme il le fait tout le temps, gardant le silence sur son ressenti, ne montrant rien de ce qui se passe en lui. Voyant que l'heure tourne je sors mes affaires, relisant rapidement les notes que j'ai prises sur le livre en question. 14h00 pile, la montre de mon frère sonne, il referme son livre et vient s'installer en face de nous. Je précise la situation pour Gaby, ainsi que notre façon de procéder, puis ajoute :
  • Voilà, Alex et moi on a proposé ces trois parties là, dis moi si ça te convient et laquelle tu veux prendre.
Alex me fixe perplexe pendant que je fais glisser vers mon frère le papier sur lequel j'ai noté le plan. Quelques secondes s'écoulent, Alex commence :
  • Heu Flo, tu crois que...
Je me tourne vers lui de façon à lui faire comprendre que je sais ce que je fais. Il n'ajoute rien, pourtant je vois dans ses yeux qu'un millier de questions lui tournent dans la tête. Et Gaby fini par écrire le titre de l'une des parties sur sa feuille.
  • Ok, tu prends la dernière. Et toi laquelle tu veux ?
Totalement perdu Alex ne sait que répondre, il regarde alternativement Gabriel puis moi et fini par faire son choix. Nous nous mettons au travail tout en discutant de choses et d'autres, nous rions et Gaby fini par quitter la pièce avec ses affaires pour aller s'installer dans la cuisine. Je soupire, les yeux rivés sur la table, Alex demande :
  • On a dit quelque chose qui ne fallait pas ?
  • Non. Il ne supporte pas qu'on fasse du bruit, c'est tout. Je fais toujours mes devoirs avec de la musique et je suis obligé de mettre un casque sinon il pique une crise. Je te l'ai dis, on vit en fonction de ce qu'il veut.
  • D'accord, j'ai bien compris ça, seulement il y a un truc qui m'échappe.
Je l'observe, attendant la question que je devine.
  • Tu... tu discutes souvent avec ton frère comme s'il pouvait te répondre.
  • Ouais. Je sais c'est probablement inutile, sauf que parfois... j'aime oublier.
Un peu plus tard, maman sort de son bureau et m'interroge inquiète :
  • Florian, où est ton frère ?
  • Dans la cuisine.
  • Qu'est-ce qui s'est passé ?
  • Rien, on discutait et ça le dérangeait.
  • Ah, d'accord.
Elle récupère le papier qu'elle était venue chercher, puis avant de retourner dans son bureau elle me dit :
  • C'est bientôt 4h00.
  • Je sais.
La porte se ferme, mon ami questionne :
  • Il se passe quoi à 16h00 ?
  • Tu verras ça dans 20 minutes. Il faut que tu te rendes compte par toi même.
Le silence s'impose, je ne me sens pas très bien, j'ai la sensation d'exposer mon frère comme une bête de foire. Je sais qu'il apprécie Alex et ne devrais donc pas le prendre mal, je m'inquiète quand même. J'entends sa montre sonner d'ici, puis du bruit dans la cuisine, je pose mon stylo, voyant Alex regarder dans cette direction. Je me lève en soufflant :
  • Viens.
Nous nous arrêtons devant la porte, Gaby a rangé ses affaires, et comme tous les mercredis il attend devant le plan de travail que notre mère lui prépare son chocolat. Elle entre dans la pièce une seconde plus tard, nous restons à l'écart comme je le fais tous le temps, c'est leur moment rien qu'à tous les deux et je ne veux pas y intervenir. Alex semble surpris que ma mère ne nous accorde pas la moindre attention, elle s'occupe juste du goûter de Gabriel. Il y a bien longtemps que cette mise à l'écart ne me trouble plus. Ma mère finie par dire à mon frère :
  • Fais attention, c'est chaud.
Il récupère son chocolat et la pomme, attend qu'elle lui ait caressé les cheveux avant de s'en aller, se remettre dans son fauteuil. Puis maman nous regarde en demandant :
  • Vous voulez quelque chose, les enfants.
  • Retourne travailler, j'vais le faire.
  • Sûr ?
  • Oui, c'est bon.
Cette fois, Alexandre ne pose aucune question après son départ, il semble assommé. Nous restons silencieux un très long moment jusqu'à ce que mon ami craque :
  • J'ai beaucoup de mal à imaginer ce que ça peut être que de vivre ça en permanence, mais je ne veux pas vous fuir pour autant.
Toujours pas convaincu par ses convictions je ne dis rien, il ajoute encore :
  • Tu m'as dis qu'il ne fallait surtout pas toucher Gabriel, mais ta mère l'a fait tout à l'heure, et il n'a rien dit.
  • C'est le seul contact qu'il tolère. Il fait... partie du rituel de l’après-midi.
Alex hoche la tête, enregistrant le flot d'infos sur le comportement de Gaby. Nous retournons au salon un instant plus tard, je demande :
  • Vous voulez faire quoi ? On continue l'exposé ou on va se balader ?
Alexandre regarde Gabriel se balancer, son livre à nouveau entre les mains, il est perdu dans son monde, je ne suis même pas sûr qu'il m'ait entendu.
  • Tu veux aller te promener avant qu'il fasse nuit Gabriel ? questionne Alex.
Il pose enfin son roman et part à l'étage, nous attendons son retour, il a mit sa veste donc nous pouvons sortir. Dehors, Alex ne lâche pas mon frère des yeux. J'ai vraiment du mal à cerner ses intentions parfois ou peut-être que comme il est le premier à vouloir être aussi l'ami de mon frère, j'ai peur de lui faire confiance. Je ne laisserais personne se rapprocher de lui pour lui faire du mal ensuite. C'est vrai, Alex ne cesse de me répéter qu'il ne veut surtout pas faire souffrir Gaby. Seulement, à cause de son état le blesser est beaucoup plus simple que l'approcher. Gaby marche devant nous et tout bas Alex demande :
  • J'ai passé le test ou pas ?
  • Autant te le dire, je reste méfiant. J'y peux rien, t'es le premier à t’intéresser autant à lui, à vouloir être aussi son ami.
  • Et d'après toi ce n'est pas normal ?
  • C'est pas ce que j'ai dis. Je m'inquiète, je veux juste le protéger, c'est tout. Et si c'est un crime tant pis.
  • Non, je comprends très bien. Le seul truc c'est que je ne vois pas comment te prouver, vous prouver que je ne tiens pas à faire quelque chose de stupide.
  • Est-ce que je peux... répondre à tes questions, peut-être, pour me faire pardonner.
  • Je ne t'en veux pas, Flo, ne crois pas ça. Et j'ai... pfft, des milliers de questions, mais je ne vais pas te prendre la tête. Il y a deux trois trucs que je voudrais vraiment savoir.
  • Bah vas-y, je t’écoute.
  • Heu... en fait je me demandais comment ça se passe avec vos parents. Ta mère a des petits moments avec lui, mais ton père et toi en avez aussi ?
  • Mon père ouais, ils passent du temps ensemble le soir avant que Gaby se couche. Il lit un passage de roman ou lui chante une berceuse qui le calme. Après moi, j'ai heu... tous les autres moments en quelque sorte.
  • Et tu passe du temps avec tes parents ? Juste toi et eux, comme le fait Gabriel ?
  • Non, qu'est-ce qu'on ferait de lui ?
  • Et ça ne te gêne pas ?
  • T'as pas d'autres questions ?
L'espace d'une seconde il me regarde troublé, puis enchaîne :
  • Comment vous communiquez tous les deux ? J'suis sûr que vous êtes plus proche que je ne peux vraiment m'en rendre compte.
  • Bah, d'abord, comme ça. Gaby, Alex veut savoir comment on discute, je peux lui dire ?
Mon frère ne bronche pas, j'explique :
  • Tu vois, s'il ne réagit pas c'est qu'il donne son accord. Et nous avons un truc secret, que même les parents ignorent, alors il aurait forcément dit quelque chose s'il ne voulait pas que je te le dévoile.
  • Et, qu'est-ce que c'est ?
  • Il écrit. Presque constamment, dans un cahier où il raconte un peu tout et quand il veut me faire savoir quelque chose il me le donne.
  • D'accord. Et... quand il ne veut pas, qu'il est contre un truc, ça se passe comment ?
Je ne suis pas sûr d'avoir envie de lui montrer, mon frère n'est pas un animal de cirque. Pourtant une partie de moi veut qu'il sache pour voir sa réaction et je prendrais une décision ensuite.
  • On est d'accord, c'est la seule fois où tu me demande un truc pareil !
  • Attends, qu'est-ce que tu vas faire ? Le torture pas, je t'en prie.
Je secoue la tête, puis lance à l'attention de mon frère :
  • Gaby, prend à gauche, on va aller au parc.
Il se stoppe immédiatement, se met à crier, ramenant ses bras contre lui en gémissant.
  • Qu'est-ce qui lui arrive ? demande Alex inquiet.
Cependant je l'ignore pour aller rassurer mon frère. Me plaçant face à lui, j'approche lentement ma main en signe de paix comme toujours, répétant :
  • Du calme, Gaby, doucement. On n’ira pas part là. Tout va bien, chut. Désolé d'avoir dis ça, j'suis idiot tu le sais bien. Calme-toi, on va rentrer, viens.
Il cesse de s'agiter, puis repart en direction de la maison, je ferme les yeux une seconde et rejoint Alex.
  • T'étais pas obligé de faire. Il va mal maintenant.
  • Non. Enfin, c'est rien en comparaison de ce qu'il vit au quotidien et surtout à certains moments.
  • Pourquoi il a réagit comme ça ?
  • Il a peur de l'eau. Tu vois quand on était petits nos parents nous lavaient ensemble dans la baignoire, et une heure avant c'était déjà l'enfer, il hurlait tout le temps. Après il suffisait que je fasse une toute petite vague pour qu'il cri encore plus fort et qu'il essaye de s'échapper. Du coup, ils ont prit l'option douche, beaucoup moins effrayante pour lui. Sauf que ce qui était censé être un moment de jeu et de détente est juste devenu un truc banal.
  • J'voudrais surtout pas être lourd ou avoir l'air de parler de chose dont j'ignore tout sauf que... t'as vraiment l'air de souffrir de la situation.
  • Non. Si, peut-être un peu, j'sais pas. On s'en fout de toute façon.
  • T'as le droit d'exister aussi, tu sais. Il n'y a pas que ton frère dans le monde.
  • Dans le mien, si. Et je préfère qu'on arrête là cette discussion.
  • Comme tu veux. T'es sûr que Gabriel va bien ? interroge-t-il après une seconde de silence.
  • Ouais, ça va ne t'inquiète pas. Je me ferais pardonner.
  • Tu pense qu'il t'en veut ?
  • J'en sais trop rien. Mais, je connais sa peur de l'eau et lui sait qu'en temps normale je n'aurais jamais proposé de prendre ce chemin, donc... on verra.
Nous arrivons à la maison, Alex rassemble ses affaires, mon frère en fait autant et part à l'étage. Mon ami me regarde étonné, je hausse les épaules lassé d'expliquer. Les parents n'y prête pas attention, c'est bientôt l'heure de sa douche, donc ils ne poseront aucune question, sauf que moi j'ai peur que ça cache autre chose. Maman propose à Alexandre de rester dîner avec nous, ce qu'il accepte volontiers et pendant qu'il prévient ses parents, ma mère m'interroge :
  • Tu as encore du mal à baisser la garde, hein ? Il à l'air très bien ce garçon, très attentionné avec ton frère en plus, alors essaye de te détendre.
  • J'essaye, mais c'est pas pour autant que ça marche.
Gabriel ne réapparaît que deux minutes avant le repas. Tout comme ce midi Alex le suit des yeux quand il va voir ce que maman a préparé, puis il vient s'installer en face de moi, à sa place habituelle. Je me sens affreusement coupable, je ne sais pas s'il m'en veut, ni comment il va et ça m'inquiète. Il remonte immédiatement après avoir mangé, Alex m'observe, pensant sûrement à la même chose que ce qui m'obsède depuis notre sortie. Juste un peu plus tard, il me dit :
  • J'vais rentrer, on a cours demain, donc...
  • Attends, j'vais te raccompagner. J'ai juste besoin d'une minute.
  • Pas de problème. Dis lui que je lui souhaite une bonne nuit.
Je souris en hochant la tête, et file le rejoindre. Il est installé dans son lit en train d'écrire. Je m'assois sur le mien et commence :
  • Tu sais Gaby, pour tout à l'heure, je suis désolé. Alex me posais pleins de questions, il voulait savoir... J'aurais pas dus faire ça, je te demande pardon. Je le referais plus jamais, je te le promets. Il fallait que je sache si... si on peut vraiment lui faire confiance.
Il laisse échapper un gémissement, je poursuis :
  • Je pense qu'on peut lui donner une chance, il le mérite et maman le crois aussi.
Un nouveau gémissement vient confirmer mes paroles, j'ajoute encore :
  • Je le raccompagne et je reviens d'accord. Il... heu, te souhaite une bonne nuit. Et je vais demander à papa de monter, il faut que tu dormes, t'as l'air très fatigué. J'espère... que tu ne m'en veux pas trop.
Là, il ne dit plus rien, je sors de la pièce en respirant profondément. Au salon, je dis à mon père :
  • Heu papa, je pense que tu ne devrais pas trop tarder à monter voir Gaby.
  • Pourquoi ? Ce n'est pas l'heure encore.
  • Je sais, mais il risque de dormir avant. Donc si tu veux... enfin, tu vois. À tout à l'heure.
Alex et moi marchons en silence dans le froid de la nuit jusqu'à ce qu'il demande :
  • Tu as parlé avec Gabriel ?
  • Hum. Il a pas spécialement réagit, il était en train d'écrire donc je verrais en rentrant.
  • Et, il y a... enfin, il faut vraiment que je te dise quelque chose. Pardon si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais... Tu devrais parler avec tes parents, leur dire ce qui se passe pour toi.
  • Non, ils le savent. Et, on est proche quand même, je t'assure. Je ne sais pas pourquoi je t'ai dis tout ça tout à l'heure. Parfois je craque. Mais ça ne m'étais jamais arrivé de raconter tout ça à quelqu'un. J'aurais sûrement pas dû le faire, j'suis désolé.
  • Bien sûr que si ! Tu dérailles ou quoi ? On est censé être ami, non. Tu peux tout me dire.
  • J'ai pas l'habitude.
  • J'avais remarqué, ouais, rit-il.
Comme nous sommes proches de chez lui je m'arrête, puisqu'il ne veut jamais qu'on s'approche de sa maison quand ses parents sont là. Nous discutons encore un peu avant de nous séparer. Mon père est encore avec Gaby lorsque j'arrive, donc je m'installe au salon avec ma mère, qui me questionne à nouveau à propos d'Alex et du fait que je n'arrive pas à lui faire entièrement confiance. Je lui fais comprendre que je n'ai aucune envie de poursuivre cette discussion, que je préfère profiter d'un peu de calme. Alors, elle se tait. Gardant tout de même son regard maternel posé sur moi, toujours un peu inquiète quand je refuse de parler, puis je monte me coucher quand mon père redescend. Il me dit que Gabriel dort, sauf qu'en entrant dans la chambre je le vois se remettre dans son lit, voyant qu'il vient de poser son cahier sur le mien. Je me glisse sous les draps, souhaitant une bonne nuit à mon frère avant d'ouvrir son cahier. Pour ne pas le déranger trop longtemps avec la lumière, je lis que ce qui concerne la journée. Il a noté : « Alexandre est mon ami et pourtant j'avais peur qu'il vienne à la maison et vois le monstre que je suis. C'est la première personne proche de Florian qui m'aime bien, je ne voulais pas le faire fuir. Je crois qu'il accepte ce que je suis sans aucune restriction. Cependant, même si ça me plaît, ça me fait aussi très peur. Je sais que Florian me protégera comme il le fait toujours, mais j'espère qu'Alex est sincère. » Ensuite, un peu plus bas, il s'adresse directement à moi, ce qu'il fait rarement : « Au début, je n'ai pas compris pourquoi tu as fais ça, pourquoi m'avoir demandé de m'approcher de l'eau alors que tu sais que j'en ai peur. Puis, je me suis souvenu que je t'avais entendu parler à Alex de ma façon de... vivre. Donc je me suis dis que tu voulais seulement lui montrer comment je réagis pour qu'il en soit informé. Et c'est justement ce que tu m'as expliqué tout à l'heure, je ne t'en veux pas, c'est promis. J’espère juste qu'Alex à passé le test et que tu vas vraiment lui faire confiance. Montre-moi comment on fait, grand frère. Et s'il te plaît, arrête de dire tout le temps que tu es idiot ce n'est pas vrai. » Je souris, me tourne une minute vers lui avant de me coucher à mon tour. Plusieurs semaines sont passées, nous sommes proches des vacances de février et ce soir nous avons une réunion de famille. Les parents et moi sur le canapé et Gaby dans son fauteuil, pas trop loin de nous. Soudain maman commence :
  • Les enfants, on voudrait vous dire quelque chose à propos des vacances.
  • Ouais.
  • On a la possibilité de partir les 15 jours, ajoute notre père.
  • Oui et où ? questionne-je curieux, car nous sommes jamais allés nulle part, parce qu'avec Gaby s'est compliqué.
  • Vous vous souvenez de l'île qui a été découverte il y a quelques mois ? On a gagné 4 places pour aller la visiter, grâce à un concours.
Mon frère s'agite, il gémit tout en se recroquevillant davantage.
  • Calme toi chéri, personne n'a dit qu'on allait y aller, lui dit doucement maman.
« Je crois que la discussion va mal tourner. »
  • Je peux vous parler à la cuisine un moment ? leur demande-je pour éviter d'inquiéter Gabriel.
  • Qu'est-ce qu'il y a ? interroge mon père.
  • Vous avez très envie de ces vacances, pas vrai ?
  • On mérite tous ces vacances, rétorque ma mère.
  • Je suis d'accord, mais... ce sera l'enfer pour lui. L'avion et 2 semaines sur un bout de terre au milieu de tonnes d'eau. Même si pour l'avion tu as ta « solution miracle. » On fait quoi pour le reste ? On l'enferme pendant 15 jours ? Sérieusement, il a une peur bleue de l'avion et une immense phobie de l'eau. Je ne vais quand même pas vous rappeler à quel point c'était atroce de lui faire prendre un bain quand il était petit. Il ne s'approche jamais de l'eau à moins d'1m50.
  • Tu as raison, on a réfléchi à tout ça nous aussi. On pourrait quand même essayer, peut-être que ça se passera bien.
  • Moi, j'ai une autre idée.
  • Explique-toi, même si je doute qu'elle nous plaise.
  • Vous devriez partir là-bas tous les deux. Je m'occuperais très bien de Gabriel, de toute façon ça fait des années que je prends soin de lui et jusqu'à présent vous vous en êtes pas plains.
  • Non, c'est une très mauvaise idée ! S'il arrive quoi que ce soit tu ne pourras compter sur personne.
  • Mais, qu'est-ce que tu veux qu'il arrive ? On sera en vacance ! On évitera de trop sortir pour éviter les problèmes et puis c'est tout. En 17 ans vous n'êtes pas parti une seule fois tous les deux, même pas un week-end, vous méritez ces vacances. Je ne veux pas aller deux semaines là-bas pour passer mon temps à rassurer Gaby, ce sera épouvantable autant pour lui que pour nous. Mais vous, vous devez partir.
  • Je ne pense pas.
  • Papa, je suis parfaitement capable de m'occuper de mon frère. Tu n'as pas déjà oublié notre discussion de l'autre soir.
  • Non, bien sûr que non. On ne doute pas que tu en sois capable. Seulement deux semaines c'est long.
  • Le temps passe vite quand on ne le regarde pas s'écouler. Faites-moi confiance, je vous en prie. Au moins, promettez-moi d'y réfléchir.
  • D'accord, approuve ma mère après un instant de silence.
On retourne au salon. Gabriel est toujours aussi agité, et rien ne s'arrange lorsque ma mère nous montre les photos qu'ils ont reçues avec les billets. Quand je les lui tends il donne un coup dedans en criant, les faisant s'éparpiller sur le sol. Je quitte le canapé pour m'approcher de lui, juste ce qu'il faut, puis dis :
  • Hey, du calme, on n’ira pas là-bas. Toi et moi on va rester là. On va passer deux semaines sans les parents, on fera la fête tous les soirs, on se couchera à 3h00 du mat. Ça va être génial !
Je pourrais raconter n'importe quoi il s'en fout complètement, mais le fait d'entendre qu'on ne part pas semble le rassurer. Je répète donc :
  • On va rester là, tous les deux. D'accord ? Juste toi et moi.
Il cesse de gémir tout en continuant son balancement, ça il n'arrête jamais de le faire. La nuit est difficile, Gaby cri dans son sommeil, il a peut-être pas totalement digérer l'histoire des vacances. Heureusement qu’on n’a pas cours demain. La semaine juste avant les vacances les parents nous confirme qu'ils ont prit la décision de partir sur cette fameuse île. On a une nouvelle grande réunion de famille ce soir, parce que ma mère tient à nous expliquer ce qu'on devra faire en cas de problème. Que les numéros d'urgence sont sur le frigo et que si besoin est le nouvel ami de papa pourra passer à la maison, que de toute façon il passera une ou deux fois par semaines pour voir si tout va bien. Je me retiens difficilement de lui dire que je n'ai plus 5 ans et que de nous trois je suis quand même le mieux placé pour m'occuper de Gabriel. Lui, reste tranquille, aucun son ne sort de sa bouche, alors j'essaye de me calmer puisque le départ des parents ne semble pas l'angoisser.
  • Florian, tu m'écoutes ?
  • Heu... oui.
  • Qu'est-ce que je viens de dire ?
  • Maman, on n'est pas en cours, là, me plaigne-je
  • Je te disais que nous partons samedi, le 25 en fin de journée et que nous serons de retour le dimanche 11, dans l'après-midi.
  • Hum, d'accord.
  • J'irais faire des courses vendredi pour que vous ne manquiez de rien.
  • Des courses ? Le frigo et les placards sont pleins !
Mon père esquisse un sourire comme pour confirmer l'inutilité de la chose. Voilà, 18h00 sonne tout juste en ce samedi 25 février et les parents sont dans l'entrée.
  • Vous allez me manquer, mes chéris ! s'exclame ma mère.
Elle me serre dans ses bras et désire plus que tout en faire de même avec Gabriel, mais lorsqu'elle s'approche de lui il fait un pas en arrière. Elle s'arrête, tend un peu sa main vers son visage puis lui dit :
  • Veille sur Florian, d'accord.
Notre père pose sa main sur son épaule pour la consoler puis me serre contre lui tout en murmurant :
  • Prend soin de ton frère.
  • Compte sur moi.
  • À dans 15 jours les enfants, soyez sages.
  • Tu nous connais, on est des anges, lui dis-je en souriant.
Ils nous font signes à travers les fenêtres de la voiture puis disparaissent au coin de la rue. Quand je referme la porte, Gaby n'est plus derrière moi, je l'appelle, sachant pertinemment qu'il ne me répondra pas. Je le retrouve dans le salon, assis dans son fauteuil en train d'écrire. Alors pour ne pas le laisser seul j'allume la télé en me glissant sur le canapé. Cela fait cinq jours que les parents sont partis et tout se passe bien. Gaby est calme et plutôt détendu malgré que ce soit la première fois qu'on se retrouve juste tous les deux. Je reviens de la cuisine, dépose un verre de jus de fruit sur la table basse pour mon frère qui se met à gémir. Je demande :
  • Hé, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que t'as fais de ton cahier ?
Il jette un furtif regard en direction de la table, du coté opposé à celui où j'ai mis le verre.
  • Ok, j'ai compris le message.
Instantanément il se tait et se balance un peu plus doucement. Je récupère son carnet pour me plonger dans la lecture des dernières nouvelles. En arrivant quasiment aux dernières lignes je souris en lisant qu'il est content qu'on soit resté là tous les deux, que ça lui plaît que les parents ne le traite pas comme un fardeau qui les empêchent de vivre. Je lui rends son calepin en disant :
  • Moi aussi je suis content d'être avec toi, petit frère.
Nous sommes aujourd'hui samedi, cela fait une semaine tout juste que nous sommes seuls à la maison et c'est vraiment sympa. On sort au moins une heure tous les jours, quelques fois accompagnées d'Alexandre qui vient justement passer la nuit à la maison. La sonnette retentit et mon frère ne bronche pas. Lui qui s'énerve généralement à chaque fois qu'elle sonne. Je le préviens depuis plusieurs jours qu'il doit venir donc je prends son absence de réaction comme une acceptation de sa présence. Je fais entrer notre ami en le saluant puis questionne :
  • Le puzzle, c'est pour quoi faire ?
  • Pour ton frère.
  • Ah ouais ! Tu aimes prendre des risques.
  • Explique.
  • Oh rien, c'est juste que s'il n'est pas d'humeur, il peut très bien faire valser à travers le salon tes 1500 pièces.
  • Bah, je prends le risque. Ma mère est médecin et m'a dit que les personnes qui ont les mêmes types de problèmes que ton frère aime bien faire ce genre de truc. Je me suis dis qu'au lieu qu'il reste tout seul dans son coin il pourrait peut-être faire ça.
  • C'est sympa. Il est là, donne-le-lui.
Il s'arrête à presque deux mètres de Gaby, je souris puis lui dis :
  • Tu peux t'approcher, il ne mord pas.
Il se marre et commente :
  • Désolé, j'ai encore du mal avec les distances de sécurité.
Alex fait quelques pas, je l'arrête :
  • Là, c'est bien.
Il s'accroupit face à mon frère et commence :
  • Salut Gabriel, je t'ai apporté ça. Je ne sais pas si t'aime faire des puzzles mais j'ai pensé que ça pourrais te plaire. Alors si ça te tente tu peux construire la Tour- Eiffel.
Gaby ne réagit pas, comme toujours. Voyant qu'Alex ne bouge pas non plus il s'agite un peu. Et, désarmé face à ses gémissements, il me demande :
  • Tu traduis.
  • J'ai pas toujours le décodeur, mais je crois qu'il veut que tu t'éloignes.
  • Ah, ouais.
Après avoir choisi des films pour notre soirée nous nous installons sur le canapé. Alex jette un œil vers Gabriel qui n'a pas touché à la boite posée devant lui. Il me dit un peu triste :
  • Il n'a pas l'air très intéressé.
Je hausse les épaules ne sachant que lui répondre. Puis une bonne heure plus tard, veillant à ce qu'il ne s'endorme pas assis par terre, je le vois s'activer à placer les pièces les unes après les autres comme s'il savait précisément où est la place de chacune. Je donne un petit coup sur le bras d'Alexandre tout en posant mon doigt sur mes lèvres pour lui indiquer de ne rien dire et de regarder discrètement dans la direction opposé. Il sourit avant de murmurer :
  • C'était une bonne idée finalement.
Lorsque nous allons nous coucher, à un peu plus de minuit, je veux montrer notre chambre à Alexandre qui n'est jamais venu jusqu'à l'étage. Mais Gaby, qui n'a pas voulu aller dormir à l'heure habituelle, me devance pour entrer et referme la porte derrière lui.
  • Oh ! m'exclame-je surpris.
  • Il y a un souci ?
  • J'ai comme l'impression qu'il ne veut pas que tu vois son repère. C'est aussi sa chambre, je ne peux pas...
  • Hey, ce n'est pas grave, ce n'est qu'une pièce. Ne t'en fais pas.
  • Tu es... tellement différent des gens que j'ai rencontré avant.
  • Et ? questionne t-il.
  • Et, rien du tout. Je trouve ça vraiment bien, c'est juste que... non rien. Je ne devrais pas dire ces choses là.
Alex éclate de rire avant de commenter :
  • À quoi servent les amis si ce n'est à tout entendre ?
  • C'est vrai, mais...
Il lève les deux mains tout en disant :
  • Je ne te forcerais pas à parler. Tu veux te confier, je t'écoute. Tu ne veux pas, je ne t'y obligerais jamais.
  • Merci, souffle-je.
Je l'accompagne dans la chambre d'amis. On discute encore un moment, je fini par lui avouer qu'en fait je me demande encore s'il n'a pas un vice caché que je découvrirais à mes dépends ou ceux de mon frère. Il rit encore puis me rassure en disant qu'il est juste comme ça. Je le laisse enfin pour rejoindre mon frère qui est déjà couché lorsque j'entre dans la pièce. Sachant qu'il ne dort pas encore, je lui dis :
  • Je ne ferais pas visiter cet endroit à Alex si tu ne le veux pas. Même si je ne comprends pas pourquoi tu refuses. Tu sais que je ne ferais jamais rien qui puisse te faire du mal, alors cette pièce restera close.
Je me glisse ensuite sous ma couette tout en lançant :
  • Bonne nuit.
Je donnerais n'importe quoi pour que l'écho me revienne un jour. Le lendemain, après le départ d'Alexandre, je trouve de nouveau le carnet de mon frère posé sur la table. Il veut m'expliquer sa réaction d'hier soir, il à noté, je cite : « notre chambre c'est notre monde à tous les deux, même les parents n'y viennent que rarement. C'est notre univers et personne ne doit y venir. La chambre, c'est notre monde à tous les deux. » Je lève les yeux vers lui et répond à son message muet :
  • D'accord, notre monde, j'ai compris. Personne n'entrera, je te le promets. J'espère juste que tu sais qu'Alex ne nous veut pas de mal. Il est notre ami. Pour lui on est un peu les frères qu'il n'a pas. Avant de nous rencontrer il était aussi solitaire que nous, tout ce qu'il veut c'est des amis, rien de plus.
Il gémit doucement comme pour répondre à mes semblants de questions, j'ajoute :
  • C'est la première fois qu'on a un ami digne de ce nom, je comprends que ça puisse te faire peur, ça m'effraie toujours un peu aussi. Mais je pense qu'on devrait lui laisser une chance. Il le mérite.
Je prends son silence pour une approbation, puis monte dans le bureau de notre père chercher un carton pour mettre le puzzle. Je veux que les parents le voient quand ils reviendront. Pour le moment je ne leur ai rien dis pour leur faire la surprise, même si je suis tenté de cracher le morceau à chaque appel de maman. Mercredi 7, c'est la seconde semaine des vacances, il est 18h30 et la sonnette retentit dans la maison. Gaby grogne, je lui dis :
  • Hé du calme, c'est juste le collègue de papa qui vient s'assurer que tout va bien. Tu n'as qu'à rester là si tu veux.
  • Bonsoir, dit-il lorsque je lui ouvre.
  • Bonsoir. Vous voulez entrer une seconde ?
  • Oui, merci. Ton frère n'est pas là ?
« Dois-je lui rappeler que Gaby ne sortirait sans doute jamais si on ne l'y forçait pas un peu. » Je retiens un soupir pour répondre :
  • Il est dans le salon.
La seconde d'après il se tient à coté de moi. Le pote de notre père lui dit :
  • Bonsoir Gabriel. Ça va ?
« Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas s'empêcher de lui poser cette question ? N'importe qu'elle autre je veux bien, mais pas celle là ! Même s'il pouvait y répondre il dirait non et il n'y a pas besoin d'avoir bac plus 15 pour le savoir. »
  • Vous n'avez besoin de rien ? Tout se passe bien ?
  • Ouais, ça va. On à plus 5 ans vous savez.
Il sourit avant de répondre :
  • C'est vrai, mais vos parents s'inquiètent tout de même.
« Sans blague ? Détend-toi Florian, dans deux minutes il sera partit. »
  • Bon, je vais vous laisser si vous n'avez pas besoin de moi.
  • Hum.
  • Soyez sage, dit-il en tendant son bras vers mon frère.
  • Non ! crié-je trop tard.
Gaby se met à hurler parce que le gars à posé sa main sur son épaule. Il s'agite pour l'éloigner, mais Michel reste figé. Je passe derrière mon frère et lui attrape les bras tout en criant au mec :
  • Dehors ! tout de suite !
  • Je suis désolé, je ne voulais pas...
  • Sortez !
  • J'vais attendre dehors.
« Putain, il va se barrer ou pas ? »
Mon frère continu de hurler tout en se débattant et sa colère le rend difficile à maîtriser. Je nous entraîne vers le mur, m'y appuis en me laissant glisser jusqu'au sol, l’entraînant avec moi.
  • Chut, ça va aller. Il ne l'a pas fait exprès. Calme-toi Gaby, c'est pas grave.
Des gémissements font place à ses cris. Il ne s'agite plus, se positionne de manière à pouvoir poser sa tête contre mon épaule. Je desserre l'emprise autour de ses bras sans pour autant le lâcher, il me laisse même caresser ses cheveux doucement. Chose qu'il n'a jamais fait avant.
  • Détends-toi, il est parti maintenant. Je l'empêcherais de t'approcher la prochaine fois. Non mieux, il attendra dehors et puis c'est tout. On est plus des gamins, ça suffit, dis-je un peu fort.
Gaby laisse échapper un cri une nouvelle fois.
  • Pardon, j'voulais pas crier.
Je sais qu'il déteste quand les parents ou moi élevons la voix, mais ce type m'a mit hors de moi. C'est pourtant pas la première fois qu'on lui dit de ne pas approcher Gabriel. Il se calme doucement puis fini par se taire. Je n'exerce plus aucune pression pour le retenir et suis heureux de constater qu'il reste dans mes bras. Sauf que quelqu'un gâche tout en frappant à la porte. Gaby grogne avant de s'en aller. Je ferme les yeux en soupirant. On était si bien là. Est-ce que quelqu'un sait que je les comptes ces moments privilégiés avec mon frère. Ça frappe une nouvelle fois, je balance :
  • Ouais, j'arrive !
J'ouvre sans aucune délicatesse puis en voyant le type qui me fait face, je lance :
  • Vous êtes encore là !
  • Je voulais m'assurer que tout allait bien.
  • Ça ira.
  • Je suis désolé, j'ai pas réfléchi.
« C'est vrai ? J'avais pas remarqué ! »
Je reste silencieux, toujours un peu énervé, alors il ajoute :
  • Bon, bah, j'vous laisse.
Je claque la porte lorsqu'il tourne les talons puis part à la recherche de mon frère. Je l'aperçois enfin dans le jardin, recroquevillé contre l'un des pieds de la balançoire. Je ne sais pas quoi faire : aller le rejoindre ou le laisser tranquille. J'opte finalement pour la première solution, m'asseyant à distance sur la seconde balançoire sans rien dire. Je le regarde discrètement et remarque qu'il essuie ses yeux. « Non, pas ça ! » La torture que m’infligent ses larmes est plus forte à chaque fois. Tout comme le fait de ne pas pouvoir le prendre dans mes bras, là tout de suite. Et, que, quoi que je puisse dire, rien n'apaise sa souffrance parce que, de toute façon, on en ignore l'étendu. La seule chose que je fais dans ces moments là, c'est me mettre à chanter. Je ne chante pas très bien mais en général ça le rassure un peu. Je fais le maximum pour tenter de ramener un peu de calme sur son visage, j'ai même préparé son dessert préféré et c'est bien le seul instant où j'ai vu un peu de tendresse dans ses traits. De tout évidence quelque chose l'a mit en colère et le blesse profondément. Sans que je sache réellement de quoi il s'agit. Là, nous sommes dans le salon, moi devant la télé tandis que Gaby est dans son fauteuil. Il écrit relativement vite, le visage crispé en une expression assez indéchiffrable. Puis quand la pendule sonne 22h30, il se lève rapidement pour partir à l'étage. Mon regard reste fixé un instant sur la montée d'escaliers où il a disparu, et se tourne ensuite vers l'endroit où il était encore assit il y a quelques secondes. Je remarque qu'il a laissé son carnet sur le sol. Je me lève pour le récupérer, cherche la dernière page que j'ai lu puis poursuit. Les mots me blessent. Il revient sur l’événement de tout à l'heure avec Michel pour expliquer que les gens viennent toujours gâcher les seuls moments de bonheur qu'il arrive à obtenir même avec violence. J'imagine qu'il fait allusion aux instants où je le prends contre moi. Il dit qu'il aimerait énormément en avoir d'autres, sans que cela soit forcé. Qu'il désire aussi que les gens cessent de toujours vouloir savoir comment il va et surtout qu'ils cessent de l'approcher. Sauf sa famille, bien entendu. Il parle, juste après, de son « évasion » dans le jardin. Il précise qu'il aurait voulu que je le prenne dans mes bras quand je me suis aperçus qu'il pleurait. Qu'il sait que je ne l'ai pas fais parce qu'il nous l'interdit depuis toujours. Il a écrit : « Je voudrais sortir de ce néant dans lequel je suis plongé, comprendre pourquoi je suis comme ça, et arrêter de leur faire du mal. Je leur refuse la seule chose qu'ils désirent plus que tout, et qui me fait du bien. Je me déteste tant ! » Je chasse une larme de mon visage en refermant le carnet. Est-ce que cela signifie que la prochaine fois il nous laissera le consoler sans se débattre ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas quoi faire, là tout de suite. Monter le voir alors qu'il s'est couché ou le laisser tranquille et attendre qu'il pique une crise pour tenter quelque chose. Je soupire de lassitude puis continu de regarder les images défiler sur l'écran de télé sans leur prêter la moindre attention. Une heure plus tard, je m'écroule sur mon lit, et m'endors sans difficultés malgré l'agitation de mon esprit. Un cauchemar me réveil en sursaut au milieu de la nuit, comme très souvent lorsque quelqu'un touche à mon frère. J'allume la lampe de chevet juste pour m'assurer qu'il va bien. Ce n'est qu'un rêve, je sais bien, pourtant je vérifie à chaque fois. Il est aussi assit dans son lit. Je l'ai sûrement tiré de son sommeil. J'ai peut-être hurlé en vrai ce que je criais dans mon rêve. Je le vois jeter un furtif regard vers moi puis remarque une seconde plus tard que des larmes parcourent son visage en silence. Je saute de mon lit le cœur encore affolé, puis m'approche du sien, m'agenouillant à ses cotés. Je dis :
  • Hé, qu'est-ce qui se passe ? C'est moi qui fais un cauchemar et c'est toi qui pleure, c'est le monde à l'envers.
Cela ne le fait pas rire du tout. Je réfléchi une seconde et me relève pour essayer de le prendre dans mes bras sauf qu'il se repli, ramenant ses bras contre lui tout en gémissant. Alors, je fais un pas en arrière en disant :
  • D'accord, je ne te toucherais pas. Mais sèche tes larmes, je t'en prie, elles n'ont pas de raison de couler en cet instant. Ce n'était qu'un rêve, juste des images inventées de toutes pièces. Et je vais bien, tu vois.
Je m'accroupis de nouveau, cherchant vainement son regard avant d'ajouter tout bas :
  • Pleure plus, s'il te plaît.
Il essuie son visage d'un revers de main puis se recouche en me tournant le dos, recroquevillé sur lui même. Je me retiens de soupirer en allant m’asseoir sur mon lit. La lumière reste allumée, puisqu'elle ne semble pas le déranger et mon regard reste posé sur lui. Quand il s'est enfin rendormit je retourne auprès de lui, m'asseyant délicatement à ses cotés, puis fais lentement glisser ma main sur sa joue.
  • J'aimerais tellement savoir ce qui te fait si mal pour pouvoir t'aider. Je me sens si inutile face à ta souffrance. Si au moins tu me laissais faire ce dont tu as envie aussi, petit frère.
Nous voilà dimanche, c'est le début d'après-midi, Alexandre est à la maison, nous discutons de tout et de rien assit dans le salon. Gabriel est un peu agité, je ne sais pas si c'est le fait de revoir les parents après deux semaines d'absence ou si, justement, il aurait préféré que les vacances durent un peu plus longtemps. À un moment, il referme son cahier bruyamment avant de se relever. Alex se tourne pour le regarder marcher de long en large dans la pièce tout en gémissant, puis en se remettant face à moi il demande :
  • Qu'est-ce qui se passe ?
  • Je ne sais pas. Tu m'accordes un moment.
  • Oui, oui bien sûr.
Je vais récupérer le carnet et lis : « J'ai pas envie que les parents rentrent maintenant, j'ai pas envie qu'ils reviennent si tôt ! On est si bien tous les deux, entre frère. J'ai pas envie que papa et maman rentrent aujourd'hui. » Je le pose ensuite sur la table basse et rejoins mon frère, l'arrête lorsqu'il fait de nouveau demi-tour.
  • Hey, j'ai pas spécialement envie qu'ils rentrent si tôt. J'aimerais bien prolonger les vacances. Mais tu sais bien que ces choses-là sont impossibles. Alors, calme-toi. Ça ne sert à rien de te mettre dans des états pareils, tu te fais du mal pour rien. Je... commence-je en approchant ma main de son bras.
Il ferme les yeux, je la laisse glisser très lentement tout en murmurant :
  • Ça va aller, tu verras. Est-ce que tu as envie de faire quelque chose ? Aller faire un tour dans le quartier pour te détendre un peu ?
Il rouvre les yeux, la tête toujours baissée bien évidement, je retire ma main pendant qu'un léger gémissement vient approuver ma suggestion. J'esquisse un sourire, me tourne vers le canapé et questionne :
  • Alex, ça te tente une balade ?
  • Oui.
  • Ok. Tu récupère ton pull, je vais chercher nos vestes, dis-je à l'intention de mon frère.
Alexandre arrive vers nous, il sourit gentiment, je dis :
  • J'arrive tout de suite.
Je m'arrête un instant dans les escaliers, écoutant Alex dire à mon frère :
  • Alors, ça t'as plus ces vacances juste avec ton frère ? En tout cas, lui, il a adoré passer un peu de temps seul avec toi.
Gaby gémit doucement, comme pour lui dire qu'il est déjà au courant. Alex ajoute :
  • Un jour je saurais t'apprivoiser. Je finirais par te comprendre. Si bien sûr tu le veux aussi.
Plus aucun d'eux ne réagit, je les rejoins en disant :
  • On y va !
Gabriel marche légèrement en avant de nous alors mon ami en profite pour me demander :
  • C'était le premier contact sans cri ?
  • Tu nous as vus ?
  • Oui. Tu m'en veux ?
  • Non, pas du tout. Et, en effet, c'était le premier contact sans cri en 16 ans. Ça n'a durée que quelques secondes, mais c'est déjà énorme autant pour lui que pour moi.
  • C'est bien mieux qu'un cadeau de Noël, hein ?
  • Oh oui, bien mieux que n'importe quel cadeau. Bien sûr ce n'est pas dit qu'il me laisse recommencer un jour. Je verrais bien. Au moins c'est arrivé une fois. Ce que j'aimerais, c'est qu'il laisse notre mère l'approcher quand il va très mal parce que c'est dur pour elle de ne jamais pouvoir le prendre dans ses bras dans ses moments de profondes détresse.
  • Ouais, je comprends. Je trouve que vous vous en sortez plutôt bien quand même. Votre famille est bien soudée, vous êtes tous très proche.
  • Il faut bien. Tu imagines l'enfer si ce n'était pas le cas.
  • Hum, chuchote-t-il en baissant la tête.
Je m'arrête un instant, perturbé par sa réaction et questionne tout bas :
  • Ce n'est pas comme ça chez toi ?
Il lève les yeux vers moi, un peu trop brillants à mon goût, puis esquisse un sourire. Il lance, tout en se remettant à marcher :
  • J'ai pas du tout envie de retourner au lycée, demain !
Je le suis, un peu perdu. Me disant que s'il avait envie de me parler il le ferait certainement, mais je ne l'y obligerais pas, vu qu'il fait la même chose pour moi. À 19h00, les parents passent enfin la porte. La première réaction de notre mère est de lâcher ses valises pour courir vers nous.
  • Oh, mes chéris !
Elle me serre contre elle avec force, je tends la main vers Gaby en disant :
  • À l'aide, j'étouffe.
Il ne fait aucun geste vers moi, bien entendu. J'aimerais tellement arriver à le faire rire un jour. Mon père vient à mon secours en disant :
  • Ça suffit, il est tout bleu.
Nous rions, sans mon frère. Un voile de tristesse se glisse dans le regard de maman qui s'approche de Gabriel. Pour une fois, il ne cherche pas à fuir, il ramène simplement ses bras contre son torse, comme il le fait toujours. Elle cherche son regard sans le trouver puis dit :
  • Tu m'as manqué trésor.
Bien évidement, ils nous questionnent sur ce que nous avons fait et si tout s'est passé sans problème. Je passe sur le souci que nous avons eu avec le collègue de papa et résume rapidement que tout a roulé. Ils nous racontent à leur tour leur séjour puis maman sort deux paquets de l'une de ses valises avant de les poser devant nous sur la table. Notre père explique :
  • Un après-midi, nous sommes partis nous balader juste tous les deux, et au milieu de la forêt, alors qu'on se croyait seuls, nous avons rencontrés un homme. Il ressemblait à un vieux marabout ou sorcier, chamane ou je ne sais quoi. Enfin, bref, il nous a fait cadeau de ça en disant que les pierres qui sont dessus sont magiques.
  • On a bien essayé de lui demander en quoi elles sont magiques, mais il n'a rien voulu nous dire. Il a seulement précisé que c'était à nous de le découvrir. Bon, si on oubli ces sottises, c'est très beau et c'est pour ça qu'on les a gardés.
  • Et, on a le droit de savoir ce que c'est ? Ou on doit le deviner ?
  • Allez-y, ouvrez-les, dit papa.
Je détache le ruban, puis retire le papier avant d'ouvrir la petite boite pour voir, enfin, un fin bracelet de cuir serti d'une pierre noire assez étrange. Je le passe à mon poignet tout en remerciant mes parents. Nous continuons de parler de leurs vacances, tout en feintant de ne pas regarder Gabriel pour qu'il ouvre à son tour le paquet. C'est ce qu'il fait quelques minutes plus tard. Lui à un collier presque identique à ce que je porte sauf qu'il y a quatre pierres noires. Le fait qu'il l'attache à son cou montre que le cadeau lui fait plaisir et mes parents arborent un joli sourire de satisfaction. Vers 23h00, je monte me coucher, Gaby l'est déjà depuis une demi-heure. Avant que je passe la porte de ma chambre, mon père m'interpelle :
  • Florian, tu peux venir là une minute ?
  • Qu'est-ce qu'il y a ?
  • D'où ça sort, ça ? questionne-t-il en montrant le puzzle.
  • Ah ouais, j'ai oublié de vous en parler. C'est Gaby qui l'a fait.
  • Ah bon ? Quand ?
  • La semaine dernière, c'est Alex qui lui a apporté. Au début on a pensé qu'il n'en n'avait rien à faire, mais dès qu'on a détourné la tête il l'a fait. Il n'a pas mit longtemps, en plus. Et il semblait vraiment intéressé.
  • Il faut que je le dise à ta mère ! s'exclame-t-il heureux.
  • Il y a autre chose qu'il faut que je vous dise alors si tu peux aller la chercher, je vous attends.
Ils reviennent quelques instant après, c'est maman qui commence :
  • Ton père vient de me dire pour le puzzle. S'il aime ça on devrait lui en acheter d'autres. Comme ça, de temps en temps, il pourrait faire autre chose qu'écrire et lire.
  • Je pense aussi que c'est une bonne idée et... si vous voulez bien écouter ce que j'ai à dire sans poser de question ce serait bien.
  • Oui, on t'écoute.
  • Gaby a vraiment besoin de notre présence comme vous le savez, et il aimerait qu'on le prenne dans nos bras parfois. Alors, je sais que c'est lui qui refuse, mais il voudrait au moins qu'on essaye de le faire de temps en temps. Bien sûr, s'il ne veut vraiment pas, il ne faut pas le forcer. Je sais très bien que vous ne ferez jamais une chose pareille. Seulement, tout à l'heure il était un peu agité à cause de votre retour et il m'a laissé poser ma main sur son bras sans se débattre, sans crier. Ça n'a duré que trois ou quatre secondes, mais c'était génial, et ça l'a vraiment apaisé. Il a besoin de ces contacts tout autant que nous. Faites-le pour lui.
  • Bien sûr qu'on le fera. On attend ce moment depuis tellement de temps.
  • Je sais, maman, je sais. Lui aussi il l'attend, et s'il le refuse... n'oubliez pas que ce n'est pas de sa faute, ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est...
  • Ne t'en fais pas, on sait tout ça, dit-elle en me prenant contre son cœur.
  • Va dormir, maintenant, il est tard et tu as école demain.
  • Bonne nuit.
  • Bonne nuit, chéri.
Sept heures moins le quart, lundi matin. Le réveil sonne, je me retourne pour l'éteindre, sauf que je ne peux pas bouger parce que Gaby est installé derrière moi. Je m'assois dans mon lit tout en disant :
  • Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
Le réveil hurle toujours, et Gaby ne bouge pas d'un millimètre. J'étends le bras au-dessus de lui pour stopper le vacarme. J'aime bien trouver quelqu'un endormi à mes cotés le matin, je préfère quand même quand c'est une fille. Ma mère entre dans la chambre en disant :
  • Allez, debout les garçons.
Elle s'arrête en nous voyant, et questionne :
  • Qu'est-ce qui s'est passé ?
  • J'en ai aucune idée. Mais je descends avant qu'il soit de retour parmi nous.
Lorsqu'il arrive dans la cuisine il glisse un regard un peu gêné dans ma direction puis s'installe en face de moi. J'aimerais lui dire quelque chose, lui dire que ce n'est pas grave, sauf que comme les parents sont là j'en n'ai pas trop envie. Je lui parlerais quand on sera seuls. Donc, quand nous nous retrouvons dans la chambre pour finir de nous préparer, lui tournant le dos, je commence :
  • Tu sais, ça ne me dérange pas que tu dormes avec moi parfois, je voudrais juste savoir pourquoi t'es venu la nuit dernière.
« Si seulement je le savais. » Cette phrase résonne brusquement dans ma tête, sauf que ce n'est ni ma pensée, ni ma voix. Je me retourne vers mon frère qui jette des regards inquiets dans ma direction.
  • Qu'est-ce que tu as dis ?
Un silence me fait face et m'attriste. Lui s'agite, de toute évidence encore plus effrayé que moi. J'ignore comment s'est arrivé et même si c'est réellement arrivé ou si j'ai rêvé. Je m'approche de Gaby, et chuchote :
  • Calme-toi, ce n'est rien, d'accord. Ne t'inquiète pas. Et même si ça se reproduit, essaye de ne pas en avoir peur. Je ne sais pas comment s'est arrivé, ni même si c'est vraiment arrivé ou si je déraille complètement. Mais je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, quoi que ça puisse être.
J'avance lentement ma main vers lui, il fait un pas en arrière en ramenant ses bras contre lui pour se protéger. Je m'éloigne tout en disant :
  • Ok, pas de contact. Il faut qu'on y aille.
Un « pardon » surgit dans ma tête et me fais sursauter encore une fois. Je me stoppe sans me retourner. C'est tellement étrange ce qui arrive, et d'autant plus parce que ce n'est pas totalement normale d'entendre les pensées des autres. Et que je ne connaissais pas le son de sa voix quand il ne hurle pas. La matinée de cours passe sans que je lui accorde la moindre attention. Je n'arrive pas à me concentrer sur autre chose que ce qui s'est passé entre Gaby et moi. C'est tellement étrange, je ne sais pas comment l'expliquer. La seule réponse qui me vient est que cela est dû à la soit disant magie des pierres que nous portons, sauf qu'il y a bien longtemps que je ne crois plus à ces choses-là. Nous sommes en train de manger dans notre coin comme tous les midis. Alex s'inquiète de mon absence autant physique que verbale, alors tout en déposant sa main sur mon bras il demande :
  • Hé, ça va ?
  • Heu, ouais.
  • T'as l'air complètement ailleurs depuis ce matin.
  • Hum, je pensais à quelque chose, désolé.
  • Ne t'excuse pas, t'as le droit d'être ailleurs. Ça c'est bien passé, hier soir, avec vos parents ?
  • Ouais. D'ailleurs, je voulais te dire que le puzzle que t'as apporté l'autre soir à Gaby était vraiment une excellente idée. Les parents étaient aux anges. Ils ont décidés de lui en offrir d'autres.
  • Ça c'est cool ! Si ça fait plaisir à tout le monde je suis content.
  • Merci, souffle-je.
Une demi-heure plus tard, nous attendons que ma mère vienne récupérer mon frère, j'entends : « Je voudrais rester avec toi. Imagines qu'elle aussi entende ce que je pense. C'est trop bizarre tout ça. Je veux rester avec toi. » En même temps il s'agite, marchant de long en large en gémissant. Je l'arrête puis chuchote :
  • Calme-toi. Je ne pense pas que quelqu'un d'autre écoute, d'accord. Je comprends que ça puisse t'effrayer, mais... Est-ce que ça te dérange que j'entende ?
« Non, mais ce n'est pas normal. »
  • En effet. Personne n'a besoin de savoir. Quand tu rentres, va directement dans la chambre. Maman ne te poseras pas de question. Et tu seras mieux là-bas qu'au gymnase. Ça va aller, je serais rentré dans un peu plus de 2h00.
Il est 15h45, je rentre chez moi. La maison semble déserte, alors je monte directement à l'étage. Gaby est recroquevillé par terre et se balance comme à son habitude. Je demande :
  • Maman est sortie ? C'était fermé en bas.
Le silence qui suit est assez horrible. « Alors ça n'aura duré que quelques heures à peine ? » Je lâche mon sac avant de m'approcher de mon frère doucement, je m'assois à une distance raisonnable, puis en soupirant lui dit :
  • Ça me plaisait bien qu'on puisse communiquer. J'aurais enfin pût savoir précisément ce que tu voulais et à quel moment.
« Tu n'as jamais eu besoin de ça avant. Pourquoi aujourd'hui ça a tant d'importance ? »
Je le regarde en souriant, heureux que ce lien étrange existe encore et répond :
  • Parce que ça fait 16 ans que j'espère entendre le son de ta voix.
« Mais, moi j'veux pas ! » s'exclame-t-il en se relevant pour arpenter la chambre tout en gémissant.
  • Pourquoi ? Pourquoi tu te mures dans le silence ?
« Je ne sais pas. J'veux pas, c'est tout. »
  • Tout à l'heure, tu as dis que ça ne te dérangeais pas que j'entende. Tu as changé d'avis ?
« Comment s'est arrivé ? »
  • Je ne sais pas. J'ai une pseudo théorie, qui est un peu ridicule.
« Explique quand même. »
Est-ce que c'est une bonne idée ? Je l'ignore. Pourtant je me dois de lui répondre.
  • C'est une supposition, hein. Tu te souviens de ce que les parents nous ont dit à propos des pierres qu'on porte ?
Il hoche la tête sans me regarder, pour changer.
  • Je ne crois pas à la magie, sauf qu'aucune autre explication me vient. Si t'en as une meilleure, je t'écoute.
Il se stoppe et commence à enlever son collier. Je me redresse rapidement pour lui attraper les mains tout en disant :
  • Non, je t'en prie, ne fais pas ça.
Il se met à hurler pour que je le lâche, ce que je fais immédiatement. Puis en s'éloignant de moi il retire son collier et le pose négligemment sur son bureau. Je laisse échapper un long soupire avant de me jeter sur mon lit. Gaby se rassoit par terre pour reprendre son activité préféré : imiter le métronome. Lorsque je me réveille, mardi matin, mon frère est de nouveau endormit près de moi.
  • À quoi tu joues, petit frère ?
J'éteins le réveil tout en remarquant qu'il porte de nouveau son collier. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou s'il le fait juste pour me faire plaisir. Je ne veux pas qu'il soit contraint de faire quelque chose parce que j'en ai envie. S'il refuse que je l'entende, de me parler, je ne veux pas et ne peux pas l'y forcer. Dans les escaliers, je lui dis :
  • Tu as remis ton collier.
« Seulement pour un temps. »
  • Et... je peux te demander... pourquoi t'as encore dormi avec moi ?
Cette fois, il reste silencieux, et j'ai un mal fou à l'accepter. Ça fait 16 ans qu'il ne dit rien, là on a un moyen de se parler presque pour de vrai, et il continu de s'enfermer dans le mutisme. Ce matin, pour la première fois nous partons au lycée à pieds. Gaby à l'air tendu, je demande :
  • Qu'est-ce qui t'arrive, Gaby ?
« Je... j'ai fais des rêves étranges. »
  • Du même style que ceux que tu fais d'habitude ?
« Non, c'était pas des cauchemars. »
  • Alors, qu'est-ce qui est bizarre ?
« Le fait qu'ils étaient bien. »
  • C'est à cause de ces rêves que tu...
Il ne dit plus rien, alors j'ajoute :
  • Si t'as envie d'en parler, je suis là.
Le soir même en allant me coucher je trouve son carnet sur mon lit. Je regarde mon frère une seconde, il a l'air de dormir paisiblement, peut-être que cette nuit il ne viendra pas me rejoindre. Je m'installe sur les draps puis commence la lecture. Il explique que l'apparition de cette connexion l'a un peu effrayé, et qu'il ne sait pas vraiment s'il doit être content de ce phénomène. Il aime qu'on puisse échanger quelques mots, mais apparemment il n’est quand même pas adepte des longues conversations. Il parle ensuite des rêves qu'il a fait ces deux dernières nuits. C'est tellement précis, tellement détaillé que j'ai l'impression de les avoir fais aussi, ou bien même de les avoir vécu. Sauf que si j'avais pus partager de tel moments de complicité avec Gaby je m'en souviendrais bien plus précisément que cet effet étrange que je ressens. Enfin, tout cela ne m'explique pas ce qui le pousse à dormir avec moi. Trop fatigué pour réfléchir davantage je m'écroule. Je dors super mal depuis quelques jours et cette nuit ne fait pas exception. Je suis au milieu de la rue, mon frère à mes cotés est en train de me dire :
  • Tu sais, j'aime beaucoup Alexandre. Il est super sympa et très attentionné envers moi. Personne à part toi et les parents l'avait été autant avec moi.
Je le regarde en demandant :
  • Je suis en train de rêver, c'est ça ?
  • Peut-être. Peut-être pas ! On retourne près de la rivière, me demande-t-il.
  • Je croyais que tu avais peur de l'eau.
  • C'est vrai, mais j'ai moins peur quand t'es là.
Je lui souris tendrement. Un instant de silence se fait, puis je lui dis :
  • Notre inconscient est quand même cruel. M'offrir des rêves pareils ! Demain matin j'aurais tout oublié. Je trouve ça horrible !
  • Tais-toi Flo ! Pourquoi faut-il toujours que tu analyse tout ? On est là, profitons-en. Réel ou pas, on s'en moque. On est là et je veux vivre !
Le réveil sonne, brutal. Sa phrase résonne dans ma tête : « je veux vivre. » Voyant mon regard insistant, il me questionne :
« Pourquoi tu me regardes comme ça ? J'aime pas, tu le sais.  »
Comme les parents sont aussi dans la cuisine, je me contente de secouer négativement la tête, lui faisant comprendre que ce n'est rien. Au lycée, mon frère et moi sommes tout aussi silencieux, alors à l'heure de la pause Alex nous demande :
  • Vous allez bien tous les deux ?
  • Ouais. On a juste mal dormis.
  • Ah bon ? Il s'est passé quelque chose avec Gabriel ?
Cette façon qu'il a de toujours s’inquiéter pour mon frère, je trouve ça touchant et effrayant. Jamais personne, des gens que j'ai rencontré, ne s'est intéressé à lui comme ça.
  • Non, il ne s'est rien passé. On n’a juste pas très bien dormis.
Il est encore tôt, ce jeudi soir, mais je suis si fatigué que je ne cherche pas à rester éveillé plus longtemps. L'église sonne 23h05, mon frère à mes cotés, rit aux éclats. Je l'observe une seconde et me jette dans ses bras.
  • Oh, petit frère ! Si tu savais depuis quand j'espère t'entendre rire.
  • Tu radote frangin.
  • Quoi ?
  • Laisse tomber. Viens.
  • Où est-ce qu'on va ?
  • Jouer au tennis !
Je ne comprends pas tout, et ne cherche pas à savoir. Tout ça n'est sûrement pas réel. Autant profiter de ces instants bizarres et ne pas réfléchir. Le réveil sonne beaucoup trop tôt. J'ai l'impression de ne pas avoir dormis et Gaby n'a pas franchement l'air mieux.

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